The minds they are a-changin’

15 juin 2022 à 22:28

En toute honnêteté, au départ je n’avais pas prévu de regarder Sort Of. Quand la dramédie canadienne est apparue, fin 2021, ce que j’en lisais me laissait penser qu’on allait suivre une fois de plus des péripéties de quelque protagoniste célibataire. Certes, cette fois-ci, il s’agirait de protagoniste transgenre, mais ça reste quand même le type de série qui n’arrive pas en haut de ma to-watch list.
Toutefois, au fil des mois, il a bien fallu reconnaître que la petite série de CBC commençait à trouver son public. Son relatif anonymat au moment de son lancement s’est transformé en une reconnaissance internationale (en grande partie grâce à HBO Max), si bien qu’en février finalement elle a décroché une seconde saison. En avril, Sort Of a même réussi à se distinguer pendant les GLAAD Awards, si bien qu’il devenait difficilement tenable de refuser d’y jeter un oeil.

Il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis ; me voici donc devant vous aujourd’hui avec une review de la première saison.

La vie de Sabi est chaotique : le jour, iel s’occupe de Violet et Henry, les enfants du couple qui l’emploie, Paul et Bessy ; plusieurs nuits par semaine, iel officie dans un lieu communautaire LGBT à mi-chemin entre la librairie, le café et le bar. Ce n’est pas exactement une existence idéale : l’accumulation de petits boulots ingrats et peu rémunérateurs ne l’enchante guère, mais enfin, c’est mieux que rien (et c’est mieux que travailler dans l’électricité, secteur pour lequel iel a obtenu un diplôme qui en réalité ne l’intéressait pas). Qui plus est Sabi vit en co-location avec sa sœur, Aqsa, qui a trouvé le succès dans sa carrière au sein d’une compagnie d’assurances, et dont la vie sexuelle est en prime bien plus riche.
Les deux adelphes ont grandi dans une famille d’origine pakistanaise conservatrice ; leur père travaille à l’étranger (on entendra parler de lui sans le voir pendant cette première saison), quand leur mère Raffo vit seule dans la maison familiale, en banlieue de Toronto. Les mœurs d’Aqsa n’y seraient pas populaires si elles venaient à être connues ; mais surtout, l’identité de genre de Sabi a soigneusement été cachée jusque là. D’ailleurs Sabi a carrément évité sa mère depuis quelques temps, ce qui conduit Raffo à venir lui rendre visite… et surprendre Sabi dans une présentation plus féminine qu’attendu. Ce coming out de fait envoie une onde de choc qui va se faire ressentir pendant toute la saison.

En soi, ç’aurait déjà fourni une série plutôt intéressante (pas foncièrement originale, mais intéressante). Toutefois, et à ma grande surprise, il se passe quelque chose de tout autre dans cette saison inaugurale de Sort Of.
Tout commence lorsque 7ven (prononcer « Seven »), la meilleure amie de Sabi dont la personnalité haute en couleurs pousse régulièrement notre protagoniste à sortir de sa zone de confort, lui propose de partir pour Berlin. L’idée est séduisante : tout plaquer, et suivre 7ven qui a décroché un boulot inespéré dans une galerie de la capitale allemande, dont elle ne cesse de vanter la qualité de vie pour la communauté LGBT. Mais elle est aussi effrayante, surtout pour Sabi qui n’a pas vraiment un tempérament prompt à la prise de risques. Pourtant, à sa propre surprise, après avoir appris que Paul et Bessy voulaient ne plus faire appel à ses services à partir de Noël, Sabi accepte la proposition et commence à se faire à l’idée de partir pour un autre pays avec sa meilleure pote ; iel laisse un message sur le répondeur de 7ven, et retourne travailler le lendemain.
Sauf que le lendemain, précisément, Bessy a un accident de vélo sur le chemin du travail. Dans l’urgence, Paul demande à Sabi de l’aider avec Violet et Henry, pendant qu’il court à l’hôpital ; iel accepte immédiatement, par affection pour les deux enfants mais aussi pour Bessy, pour laquelle iel s’inquiète sincèrement.

A partir de là, Sort Of prend une direction assez incroyable : Sabi change d’avis. Iel décide d’annuler le voyage à Berlin avec 7ven (qui évidemment n’est pas ravie), et de même faire des heures supplémentaires auprès de cette famille qui a tant besoin d’aide à un moment critique. Au lieu d’être l’histoire d’une décision qui change sa vie, la série devient… ma foi, l’histoire d’une décision qui change sa vie aussi. Mais pas comme espéré. Et pas juste la sienne.
Sort Of va ainsi passer beaucoup de temps sur les relations entre Sabi et les deux enfants, en particulier Violet qui commence à entrer dans l’adolescence et est à fleur de peau, pour qui les événements que traverse sa famille sont d’autant plus bouleversants (il y aurait pourtant matière à se poser des questions quant à Henry, mais la première saisons n’a pas trop de temps pour). Jamais Sabi n’a eu autant le sentiment d’avoir un job important, et iel le prend très à cœur ; cette évolution, qui lui semble naturelle, ne va pourtant pas de soi à tout le monde. A travers cela, c’est aussi l’étrange tandem formé avec Paul qui est exploré, la série interrogeant cette étrange relation co-dépendante que Paul et Sabi ont développé alors qu’avant, iels n’étaient pas proches du tout (Paul était même, dans une certaine mesure, mal à l’aise avec iel). Sabi semble, plus que jamais, faire partie de la vie de cette famille, qui l’appelle à toute heure du jour et de la nuit, et compte sur iel pour tant de choses… mais cela reste un emploi et Sort Of ne perd jamais de vue que, quand bien même personne n’est à blâmer pour la situation, certaines limites sont parfois franchies dans le feu de l’action. Et qu’en réalité, elles ont peut-être été franchies bien avant l’accident, quand Sabi a reçu les confidences de Bessy…
Iel semble avoir trouvé une famille de substitution dans laquelle s’investir au lieu de se confronter à Raffo (et, à travers elle, à sa famille toute entière). L’évitement n’étant pas toujours possible, Sabi va devoir faire des choix douloureux, qui bizarrement lui apparaissent plus facilement que jamais malgré les inconvénients… et les exhortations d’Aqsa à essayer de se conformer, au moins devant sa famille, aux attentes genrées traditionnelles.

De nombreuses scènes de cette première saison sont incroyablement émouvantes et, pour certaines, éprouvantes. On est loin de la dramédie légère à laquelle je m’attendais. Même 7ven passe de comic relief à force vive au sein de la saison (elle ne reste par à Berlin très longtemps), ses échanges avec Violet comptant parmi les meilleurs moments de la saison.
Sort Of décrit des hésitations et des tâtonnements, mais ils ne sont pas celles auxquelles je m’attendais du tout. Le sérieux avec lequel la série traite ses intrigues, la façon dont ses personnages se révèlent à eux-mêmes comme à leurs proches pendant une période critique, les rencontres improbables qui se font alors que personne ne cherchait vraiment à nouer de nouveaux liens (j’ai absolument adoré le personnage d’Olympia, sur la fin de saison)… Sort Of mérite son good buzz, et plus encore. Il y a décidément du bon à changer d’avis.


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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

1 commentaire

  1. Tiadeets dit :

    Super intéressant ce que tu dis de cette série. Ça me fait plaisir de voir que de nouvelles histoires sont racontées avec des protagonistes qui sortent de la norme (sans pour autant sortir de l’ordinaire, j’ai au moins un.e pote desi.e non binaire et plusieurs queer).

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