Qui sème le chaos…

9 juin 2022 à 21:09

Savez-vous pourquoi il y a toujours d’épais tapis dans les bureaux des gens importants ? C’est pour cacher les rayures qu’ils ont laissées dans le parquet avec leur dents.
Juan Carrasco est le type de politicien que tout le monde déteste ; ou, du moins, que tout le monde détesterait si son existence n’était pas si anecdotique. Arrivé au gouvernement par miracle après avoir eu une carrière essentiellement locale, Carrasco n’a pourtant aucun intérêt pour son job actuel, à la tête du ministère de l’Agriculture et de la Pêche (bon, et de l’Environnement, tu parles), et caresse des rêves de grandeur. Et, ma foi, le meilleur moyen de voir se réaliser ses rêves, ça reste encore de manipuler les circonstances ! …En tout cas, quand vous travaillez en politique, ça marche comme ça.

Vote Juan est une comédie politique lancée assez discrètement en 2019 par la chaîne TNT (branche espagnole de la chaîne câblée étasunienne du même nom). Si elle n’a pas fait énormément de bruit, elle a cependant trouvé son public au point de connaître un sequel, Vamos Juan, l’année suivante, qui lui-même a trouvé un sequel un an plus tard sous le titre de Venga Juan. On en est donc à trois séries sur ce personnage, et, ayant déniché le premier épisode de la série par laquelle tout a commencé, il était grand temps que j’en touche quelques mots.

Dans cet épisode d’exposition, il suffit de 3 minutes pour comprendre parfaitement à qui nous avons affaire, alors que Juan Carrasco tient une réunion avec ses trois employées principales. Il y a Macarena Lombardo, la conseillère presse, connaissance de longue date depuis ses mandats en région ; Carmen Müller, la cheffe de cabinet qui lui a été imposée et le méprise ; et puis Víctor Sanz, le jeune conseiller technique inexpérimenté, sauf lorsqu’il s’agit d’être un lèche-cul. Leur conversation porte sur la crise des piments de Padrón, dont la consommation a récemment suscité des diarrhées inquiétantes chez certaines personnes qui en ont consommé. Enfin, non, il ne faut pas employer le mot « crise », qu’en haut lieu on a indiqué vouloir éviter… Reste que les syndicats de productrices de piments de Padrón, en Galicie, ont exigé qu’on rassure la population, faisant pression sur le gouvernement de Galicie, d’autant que d’autres régions qui produisent des piments commencent à en profiter pour prêcher pour le boycott des produits venus de Galicie. Ok, ça ressemble à une crise, mais surtout, ne pas dire que c’en est une.
Tout ce que Juan a à faire, c’est tenir une conférence de presse rassurante, affirmer qu’il n’y a pas de problème sanitaire, croquer un piment de Padrón, et tout rentrera dans l’ordre. Calmement.

Sauf que Juan n’a pas trop envie de faire ça. Bon, déjà, croquer dans un piment, bof. Et puis, pourquoi l’envoyer lui, alors que le ministre de la santé aurait pu le faire ? Et puis merde, cette histoire de piments, c’est nul, voilà. C’est pas un truc qui va faire de lui un politicien qui compte sur la scène nationale. Or, Juan a envie de grandes choses, et il en a marre de ne pas être pris au sérieux. Après que la conférence de presse soit un échec (mais un échec même pas remarqué dans les journaux), il décide donc d’aller se présenter dans le bureau du Président pour lui poser un ultimatum : soit on lui promet qu’au prochain remaniement il aura un portefeuille d’importance (genre le ministère de l’Intérieur, mettons), soit il quitte le gouvernement. En chemin, toutefois, il apprend de son chauffeur (mieux informé que lui !) que le Président n’a pas l’intention de se présenter à sa propre réélection, son épouse étant tombée malade.
Changement de plan : Juan décide qu’il va se présenter aux présidentielles. Mais personne ne sait qui il est, et il n’a pas la stature d’un présidentiable, alors que faire ?

Vota Juan a une qualité majeure, c’est que même si son personnage central est un gros nul, il n’est pas non plus stupide. Juan souffre, certes, de défauts courants dans les comédies politiques : il est imbu de sa personne (donc facile à flatter), porté par ses illusions de grandeur, et n’a aucune conviction politique propre ; mais il n’est pas complètement idiot. En outre, l’air de rien, il est bien conseillé, même s’il n’écoute ce qu’on lui dit qu’une fois sur deux. Cela fait de Vota Juan une comédie politique un peu plus fine que la moyenne.
Dans ce premier épisode, on va voir Juan faire des calculs politiciens pour chaque action, et, si ses efforts n’apportent pas toujours les résultats espérés, leur plus gros défaut reste ce qui les motive avant tout. Juan a en effet une idée géniale (… même si c’est pas la sienne mais celle de Víctor) : transformer cette non-crise des piments en une crise, puis la résoudre. C’est la seule façon de sortir de l’anonymat politique, et, au vu de la fin de ce premier épisode, il se pourrait bien que ça commence à fonctionner… Dans d’autres séries similaires, un personnage comme Juan Carrasco serait voué à l’échec, ou au moins au succès uniquement par chance des débuts ; mais là, rien n’est moins sûr. Il a peut-être ses chances aux présidentielles après tout, ce con !

Le cynisme droit de Vota Juan, toutefois, ne limite pas le problème qu’à Juan. Par exemple sa cheffe de cabinet Carmen est elle aussi une ambitieuse : elle a été mise à son poste par l’un des proches du Président, Luis Vallejo, qui lui a promis le ministère dés que Juan aurait échoué. Sauf qu’elle est aussi la maîtresse de Luis, et que les choses commencent à se compliquer, et ses intérêts pourraient être un peu plus mouvants… L’épisode met aussi en place, l’air de rien, une critique de la presse, de ce qui l’intéresse ou non, du genre de politicien qu’elle met en avant ou non. Elle a son rôle à jouer dans les ambitions de Juan, et j’aimerais bien voir si la série compte continuer à exploiter la co-dépendance élastique des journalistes et des politiques.
Il ne faut pas, bien-sûr, attendre énormément de complexité de la série au-delà de ces quelques dynamiques. Vota Juan reste une comédie d’une petite demi-heure qui est surtout là pour nous rappeler que les politiques ne pensent qu’à leur cul, quel que soit le degré de chaos qu’il faut générer dans le pays pour se faire remarquer. M’enfin, par les temps qui courent, même si en surface il ne s’agit que de piment, on ne peut pas dire que ce soit un propos totalement dénué d’intérêt…


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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

2 commentaires

  1. Tiadeets dit :

    Effectivement ce genre de propos est toujours quelque chose qu’il est intéressant de rappeler. Je me demande si la relation avec les media est aussi quelque chose qui est exploité plus en longueur parce que c’est vraiment quelque chose de prépondérant et dont on ne parle pas assez.

    • ladyteruki dit :

      Il y a des séries qui en parlent, mais généralement du point de vue de l’attachée de presse ou des trucs comme ça. Mais dans ce pilote, la conseillère presse Macarena n’est pas du tout celle qu’on voit interagir avec la presse, ironiquement. Elle se contente de conseiller Juan sur sa façon de répondre ou son attitude (il aime bien les « air quotes » et elle essaie d’en faire cesser l’emploi).

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