Les histoires d’amour finissent mal

5 juin 2022 à 17:51

Dites, ça fait depuis avril que je ne vous ai pas parlé de « série d’appétit », c’en devient inquiétant. Rassurez-vous : notre série du jour va venir remédier à cela !
Si vous avez loupé les épisodes précédents, une « série d’appétit » est un sous-genre très particulier, circonscrit au Japon, dans lequel les protagonistes… bon, pour simplifier, disons qu’elles mangent. Vraiment, ceci est une grosse simplification, parce que c’est en fait plus nuancé que cela, et je vous invite à consulter quelques unes des nombreuses, nombreuses reviews qui ont détaillé les nuances de ce type de dorama par le passé, comme l’explication basique quand j’ai parlé de Hokusai to Meshi Sae Areba, la question centrale de la satisfaction lorsqu’il s’est agi de Konya wa Konoji de, l’étonnante richesse de sa structure rigide au moment de la review sur Homeraretai Boku no Mousou Gohan, ou encore le rôle intime de la nourriture comme dans la review de Boukyaku no Sachiko. Il y en a eu d’autres ; je vous laisse cliquer à l’intérieur de ces divers articles au besoin.
Bref, je pourrais parler des heures des « séries d’appétit », et… euh, bah, d’ailleurs, je l’ai fait !

La série du jour revendique pleinement d’être une « dramédie d’appétit », si vous me pardonnez ce nouveau néologisme. Shitsuren Meshi, lancée par Amazon Prime en janvier dernier, s’intéresse à une dessinatrice qui publie, dans le magazine pour lequel elle travaille, un manga qui raconte des histoires de cœur qui finissent mal… avec un twist culinaire.

Ou plutôt : elle essaye de raconter ces histoires. Dans le premier épisode, Miki Kimimaru est en effet la proie d’une page blanche, et cherche désespérément quelqu’un qui pourrait lui raconter une anecdote sur une rupture un peu douloureuse histoire de l’aider à rendre son travail à temps. Evidemment, c’est une quelque chose d’un peu délicat à demander ; mais elle se rend au bureau dans l’espoir de trouver une idée qui pourrait lui permettre de boucler.
Dans la petite structure où elle travaille, elle n’a que 3 collègues : Satou ou « numéro 1 », le chef, qui a toujours des idées fumeuses notamment pour insérer de la pub dans les pages du magazine ; Satou ou « numéro 2 », l’éditrice très psycho-rigide mais un peu mystérieuse ; et enfin Satou ou « numéro 3 », la secrétaire très bavarde et curieuse. Oui, il s’avère que tout le monde porte le même nom de famille, même s’il ne s’agit absolument pas d’une entreprise familiale et que ces personnages n’ont aucun lien qui ne soit professionnel.
Hélas, au bureau, Miki échoue à trouver ne serait-ce qu’une idée à partir de laquelle écrire sur une rupture douloureuse. Personne ne semble même avoir vécu de rupture douloureuse !

Ses pas la conduisent donc dans un temple voisin, apparemment spécialisé dans les problèmes de cœur. Au moment exact pendant lequel elle prie pour trouver l’inspiration, une jeune femme vient prier juste à côté d’elle…
Or, son attitude intrigue immédiatement Miki : au lieu de jeter une pièce symbolique dans le saisen, la jeune femme y jette une autre pièce, puis un billet, et finit par y vider tout son porte-monnaie. Il n’y a pas que cela… l’inconnue semble aussi un peu agitée, quand bien même elle fait son possible pour le cacher. Miki décide de la suivre « discrètement » (bon… elle a de la chance que les scénaristes soient de son côté), et l’inconnue la conduit dans un petit restaurant de quartier. Ce qui tombe drôlement bien, parce que Miki a également faim !
Mais comme nous toutes, Miki, comme nous toutes, parce que pour le moment, Shitsuren Meshi est un peu légère niveau bouffe. Cependant, si vous vous souvenez bien, je vous ai dit que prétendre que la « série d’appétit » consiste uniquement à manger est une vaste simplification ; c’est, avant tout, un type de fiction qui se pose la question de la satisfaction d’un besoin, la nourriture n’étant que le déclencheur et/ou la métaphore qui permette de se rassasier l’âme.

Or donc, la jeune femme commande un saba miso (soit du maquereau cuit dans une sauce de soja épaisse), et Miki décide de commander la même chose ; dans la foulée, elle décide aussi de surnommer la jeune femme « Sabako » pour ses notes personnelles. Elle finit par lancer la conversation avec Sabako, qui a l’air d’avoir besoin de quelqu’un à qui vider son sac.
L’histoire de Sabako est à la fois simple et absurde : elle a eu pendant de long mois un petit ami, Yuu, qui ADORAIT le saba miso. Il en mangeait souvent, en cuisinait avec elle, et elle a pris l’habitude d’en manger régulièrement dans les divers restaurants où elle se rendait avec lui. Et puis, ça devenait sérieux, avec Yuu, alors un jour, Sabako a pris son courage à deux mains, et lui a indiqué qu’elle était prête à se marier.
A la suite de quoi Yuu lui a offert un bouquet et l’a félicitée pour ses fiançailles.

La relation n’existait que dans la tête de la jeune femme. L’humiliation ! Et depuis, forcément, elle a du mal à digérer la rupture… ainsi que le saba miso. Celui qu’elle a commandé, là, aujourd’hui, il n’est même pas sûr qu’elle y touche. Maintenant que Miki a commandé la même chose, forcément, c’est un peu embarrassant ; mais lorsque Miki goûte son plat, et semble tellement se régaler, Sabako finit par prendre une bouchée aussi, et réalise que… bah, Yuu ou pas Yuu, en fait elle aime ça, le saba miso. Peut-être qu’elle peut le digérer. Peut-être aussi qu’elle peut digérer la rupture…
Ainsi donc, le repas partagé par les deux jeunes femmes, qui ne se connaissent pas, n’échangent pas leur nom, et ne se reverront plus jamais, aura-t-il eu un impact sur elles. Pour Miki, bien-sûr, c’est une histoire à raconter (avec l’autorisation de Sabako), imaginant même qu’après leur rencontre la jeune femme n’a sûrement plus eu besoin d’aller au temple. Pour l’inconnue, c’est une façon de panser ses plaies. Le repas vient donc satisfaire leurs besoins, pas juste l’appétit physique. Même quand l’histoire d’amour a mal fini, il y a quand même un happy ending possible…!

Donc voilà, Shitsuren Meshi n’est pas exactement une série révolutionnaire, pas même pour une « série d’appétit » : elle emploie tous les codes du genres, y compris en n’omettant pas d’expliquer dans le détail chaque sensation qu’apporte une bouchée de saba miso. Même son angle de la romance n’est pas totalement nouveau : des séries comme Tokyo Sentimental ou plus récemment Homeraretai Boku no Mousou Gohan ont inclus la question amoureuse dans leur quête de satiété. Le ton de la série est très léger, et même si la fin de l’épisode semble faire mine d’introduire un vague fil rouge, on ne nous trompe pas vraiment sur la marchandise. Shitsuren Meshi, avant tout, est là pour passer un bon moment, sans complication.
Et pour nous dire qu’il n’y a aucune peine de cœur qu’un bon petit plat ne sache soigner.


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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

4 commentaires

  1. Tiadeets dit :

    Bien sympathique cette série, dis-moi donc ! Et j’ai fait un gros « oh non » en lisant le « A la suite de quoi Yuu lui a offert un bouquet et l’a félicitée pour ses fiançailles », vraiment le pire moment, la pauvre.

    • ladyteruki dit :

      Cette scène est super efficace parce qu’elle se focalise non pas sur la reconstitution de la réaction de Yuu, mais sur la réaction de Miki en apprenant cette anecdote. Ca va de paire avec le fait que le budget de la série pousse celle-ci à se passer dans le moins de décors possibles, mais ça accentue aussi le côté léger plutôt que dramatique… et c’est précisément ce qui m’a fait pousser un « oh no » aussi 😛

      • Tiadeets dit :

        Ca me fait à certaines séries qui après un budget qui s’est agrandit au fil des ans devient de pire en pire. Comme dirait l’autre « Sometimes things that are expensive are worse » et inversement la créativité arrive parfois quand on doit faire avec seulement trois bouts de ficelle et du scotch.

        • ladyteruki dit :

          Surtout pour certains genres télévisuels ; à mon sens le (relatif, tu peux pas non plus tourner ça dans la cuisine de ton T2) manque de budget des « séries d’appétit » est aussi une partie de son charme, renvoyant à une expérience plus intime que des séries à grand budget ne peuvent, par définition, jamais offrir. J’en parlais dans la review de Konya wa Konoji de : ce ne sont pas des séries chères. Et c’est une des raisons de leur succès.

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