Renard (r)usé

4 juin 2022 à 21:17

Comme j’ai des passe-temps tout-à-fait normaux, je faisais un peu de lecture aléatoire sur Wikipedia… quand je suis tombée sur l’article portant sur Zorro. Il y a plein de détails à propos de ce personnage que j’ignorais, donc la lecture m’a été profitable ; jusqu’à ce que j’arrive au bas de l’article. Est-ce que vous saviez que ce sont pas moins de TROIS projets d’adaptation qui ont été mis en chantier ces derniers temps ? Trois ! Qu’est-ce qu’on va faire d’autant de Zorros ?!
Dans les mois à venir, on se prépare donc à découvrir :
Zorro, pour Amazon Prime ; 10 épisodes ont été commandés le mois dernier, donc on va pas y couper. La série est co-produite par la société de production espagnole Secuoya ;
Zorro, pour Disney+ ; le projet a été annoncé en décembre dernier, et même si à l’époque il n’était question que de développement, Wilmer Valderrama en parle comme si c’était assuré de se produire ;
– et puis, on a Zorro, pour The CW. Cette version-là, qui promet une version féminine du personnage (comme si Queen of Swords n’avait pas été suffisant), est un long projet qui se trimbale de network en network depuis des années, et qui en est à sa 712e version. Alors certes, pour le moment on ne parle que de script, donc de toutes ces adaptations, c’est probablement la moins avancée ; mais vu que le mois dernier elle a vu sa commande augmenter (passant d’1 à 7 scripts au total)… il y a quand même de grandes chances.
Je suis désolée, je peux pas créer de tags pour ces séries, vous vous rendez pas compte : à part la co-production espagnole, il n’y a RIEN pour distinguer ces projets sur le papier. A noter que de nombreuses batailles juridiques ont été engagées autour du personnage de Zorro au fil des ans ; celui-ci est né dans un roman qui aujourd’hui appartient au domaine public, mais plusieurs copyrights spécifiques liés au personnage sont toujours détenus par la compagnie Zorro Productions, qui semble très procédurière… Du coup elle est créditée comme co-productrice des trois séries, dans le doute ! On imagine que les finances se portent plutôt bien chez Zorro Productions. A défaut d’avoir bonne réputation…

Bref, du renard masqué, on va en bouffer dans les temps à venir. Du coup, par curiosité, j’ai jeté un oeil à la toute première série télévisée sur Zorro, initialement diffusée en 1957 par ABC. C’est certainement la version que nous, spectatrices françaises, connaissons le mieux, étant donné qu’elle a été multi-rediffusée, notamment sur France3 ; mais je n’en avais jamais vu le premier épisode.

Au risque d’insulter votre intelligence, récapitulons quand même de quoi parle Zorro. On est en 1820, et Don Diego de la Vega a passé les trois dernières années à étudier en Espagne ; la série démarre alors qu’il est dans le bateau qui le ramène en Californie, ayant écourté ses études d’une année à la demande (vague) de son père. Il apprend du capitaine du bateau que, depuis son départ, les choses ont bien changé, en particulier depuis que l’armée s’est trouvé un nouveau chef local, le capitaine Enrique Sánchez Monastario. La population vit sous son joug, et la répression est forte contre quiconque s’élève ne serait-ce qu’un peu contre Monastario ; en outre, ses soldats semblent aussi corrompus et cupides que lui.
Fort de cet avertissement, Diego décide d’endosser un double-rôle, dans le but de se faire passer pour inoffensif auprès du capitaine Monastario tout en lui opposant résistance. Bon, l’idée est en fait celle de Bernardo, son fidèle compagnon, un employé de maison muet qu’il ramène d’Espagne. Don Diego entreprend donc de jeter par-dessus bord tout ce qui pourrait prouver qu’il est un bretteur émérite, et de prétendre être ce qui, pour 1820, est grosso-modo un geek ; Bernardo a quant à lui l’idée encore plus fine de faire croire qu’en plus d’être muet il est également sourd, ce qui lui permettra d’espionner ni vu ni connu. Honnêtement j’espère qu’au moins une des trois nouvelles versions de la série rendra justice au génie de Bernardo, qui est clairement le cerveau de notre affaire.

Une fois arrivé à Los Angeles, Don Diego commence donc à mettre son plan à exécution. Lorsque ses affaires sont « contrôlées » (en fait fouillées par les soldats de Monastario), Diego en profite pour se faire passer pour un intellectuel un peu maladroit, et Bernardo pour quelqu’un qui ne communique que par signes. C’est l’occasion aussi pour notre héros de retrouver le sergent Garcia, un soldat un peu idiot mais pas méchant, ainsi que de rencontrer Monastario. Le premier épisode trouve le capitaine Enrique Sánchez Monastario très occupé, d’ailleurs : il a fait arrêter Torres, le voisin des de la Vega, pour avoir osé protester contre les injustices qui se produisent à Los Angeles ; il le fait arrêter pour trahison. Pour cela, il s’est assuré de l’aide d’un juriste qui, discrètement, l’aide à se débarrasser des familles les plus riches des environs, qui ainsi ne peuvent plus soutenir de mouvement contestataire. Mais très explicitement, Monastario dévoile aussi, voire surtout, que son but est de devenir riche : il se saisit des biens des personnes qu’il fait arrêter !
Don Diego de la Vega n’a pas toutes ces informations, mais on présume que son père lui en dévoile plusieurs, quoi que ses explications se fassent hors camera. A son plus grand regret, Diego doit maintenir son image de rat de bibliothèque mou devant son père aussi (ainsi que devant le personnel de la demeure de celui-ci), afin de ne pas lui attirer d’ennuis potentiels. Seul Bernardo est au courant de sa double-vie. Finalement, après un peu d’installation et quelques « dialogues » d’exposition avec Bernardo, Diego prend sur lui d’aller libérer Torres de prison. Et pas une minute trop tard : il s’avère que Monastario veut faire croire à Torres qu’il est libéré, le faire sortir de geôle, puis alerter la garde en faisant croire que le prisonnier s’échappe, pour mieux l’exécuter !
C’est, grosso-modo, ce troisième acte qui constitue la marque de fabrique de Zorro : le renard masqué se glissant dans l’enceinte de la base militaire, jouant un tour à Garcia pour le mettre hors d’état de nuire, se montrant plus malin que les militaires (y compris Monastario) pour libérer les opprimés, et finissant par s’échapper au grand galop sur son cheval noir… Ces dernières scènes sont à la limite du gimmick, et avec le recul expliquent bien pourquoi une telle série était considérée par de nombreux diffuseurs comme « familiale ».

Toutefois, ces ingrédients ne doivent pas faire oublier que, en son cœur, Zorro est quand même une série assez engagée. La façon dont la série présente la situation ne laisse aucun doute à ce sujet ; le capitaine du bateau explique ainsi : « Everything is rules and regulations, military forces taking over« , ce qui pousse Don Diego à parler à Bernardo d’un dictateur en parlant de Monastario. La série aurait très bien pu s’arrêter là, et juste associer son « méchant » à cette image de violence caricaturale. Au contraire, l’épisode va plus loin en nous exposant les vraies motivations de son antagoniste, qui a l’audace de déclarer face camera que « nothing shall stop me from being the richest man in all of California« . Pourtant, Don Diego ne s’inquiète pas pour sa fortune, mais pour son père et plus largement les habitantes de Los Angeles ; lorsque Torres lui demande son nom, il déclare ainsi qu’il est « a friend of the people« . On est d’accord que, comme pour Batman, c’est plus facile d’être l’ami du peuple que d’en être, hein… surtout quand on a de quoi avoir un cheval secret, un serviteur qui sert d’espion, et toutes sortes de ressources que personne d’autre en ville n’a (ou que celles qui l’avaient n’ont plus). Reste que Zorro est très intentionnelle dans son discours. Le méchant n’est pas juste méchant, ou, disons, sa méchanceté a des racines explicites.

Naturellement, la série de 1957 n’est qu’une des très, très nombreuses interprétations du personnage à travers les décennies. Il sera donc intéressant de comparer comment trois séries différentes, produites à la même époque, peuvent s’emparer du sujet… si, évidemment, elles parviennent toutes jusqu’à la ligne d’arrivée qu’est la diffusion/mise en ligne. Le fait, qui plus est, que tous les personnages soient hispaniques, puisque la Californie est à l’époque une colonie espagnole, apporte une dimension potentielle supplémentaire (même si ici plusieurs acteurs sont pris en flagrant délit de brownface). L’épisode manque aussi de personnages féminins, y compris dans des rôles secondaires/tertiaires, ce qu’au moins une des adaptations en développement à l’heure actuelle a décidé de faire différemment.
Cela devrait, au moins un peu, atténuer l’impression de redite. De là à nous éviter l’indigestion, ça reste par contre à prouver.


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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

2 commentaires

  1. Tiadeets dit :

    Oh cette série, qu’est-ce que j’ai pu la voir ! Tous les dimanches avant Barnaby ou Murdoch, on regardait Zorro. Il me semble que j’avais regardé ce premier épisode et qu’on s’était fait la réflexion avec ma mère qu’on ne l’avait jamais vu justement. Trop d’adaptations tuent l’adaptation. A voir si c’est bien ou non au final.

    • ladyteruki dit :

      L’avantage c’est qu’on sera dans la rare situation d’avoir le choix entre les adaptations 😛 Personnellement, j’essaierai sûrement de voir toutes les versions qui finiront par voir le jour, parce que comparer est un exercice qui me remplit de joie, mais pour la plupart des spectatrices normales, ce sera juste une question de trouver l’incarnation de Zorro qui correspond le plus à leurs attentes.

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