Lancée en décembre dernier par la plateforme Shahid, Anbar 6 est une série carcérale libanaise se déroulant dans une prison pour femmes. On a pu parler de plusieurs de ces séries récemment, notamment à l’occasion de ma review du premier épisode de la série sud-africaine Lockdown. J’y mentionnais entre autres le fait que ces séries incluent systématiquement une protagoniste présentée comme « innocente » (même si cette innocence est parfois relative dans les faits, elle est réelle sur un plan moral), avec laquelle les spectatrices sont invitées à entrer dans le monde carcéral et en apprendre les codes.
Eh bah vous n’allez pas croire ce qui se passe dans le premier épisode d’Anbar 6.
…Exactement la même chose que d’habitude. Franchement, si quelqu’un arrive à penser à une seule série carcérale féminine n’employant pas ce procédé dans son épisode introductif, je veux vous entendre en parler. C’est incroyable à quel point c’est tissés dans la nature-même du sous-genre genre, alors que les séries carcérales masculines sont infiniment plus variées à ce sujet. Fascinant, vraiment.
Donc Anbar 6 nous invite à découvrir cette prison principalement à travers les yeux de Rahaf, une fiche femme d’environ la cinquantaine qui semble accablée par son arrivée en prison. De brefs flashbacks nous indiquent pourtant que ce n’est pas une surprise : nous l’avons vu insister pour revendiquer un meurtre. Avec tant de désespoir, bien-sûr, que nous devinons rapidement qu’elle n’en est pas l’autrice, quand bien même nous n’en connaissons pas plus de détails. L’entrée derrière les murs de la prison est une épreuve pour elle ; elle va passer la plus grande partie de l’épisode en état de choc et/ou en larmes.
Fort heureusement, plusieurs prisonnières la prennent en pitié ou en affection, et essaient de lui montrer comment fonctionne la vie derrière les barreaux, ou simplement de lui faire la conversation.
Cette prison (je ne pense pas que son nom ait été prononcé ?) a d’ailleurs une population intéressante. Au fur et à mesure qu’elle est accompagnée de pièce en pièce, Rahaf découvre que, pour l’essentiel, les autres prisonnières sont plutôt amicales ; plusieurs d’entre elles ont son âge ou sont même plus âgées, les plus jeunes sont deux jeunes adultes joyeuses, une qui semble avoir des problèmes de santé, et une troisième très pieuse. Il n’y a pas grand monde de menaçant, en réalité, si ce n’est Halime et ses deux sbires. Halime nous a été présentée dans une scène à part, dans laquelle elle a fait mine d’aider une prisonnière à s’échapper mais lui a en fait tendu un piège pour la faire envoyer en isolement ; elle n’est pas commode, c’est certain, mais le reste de la prison semble vivre de façon si détendue qu’on la croit sans trop de peine quand elle annonce à Rahaf que, tant qu’on suit ses règles, tout se passe bien. Cela semble être vrai.
Evidemment, ce type de nuance échappe à Rahaf dans sa terreur ; sa première journée dans la prison va être bien maussade, si bien qu’elle va même refuser de se rendre au parloir alors qu’elle a reçu une visite. C’est vous dire si elle n’a pas le moral, malgré les promesses de certaines de ses compagnes de cellule qui lui promettent que la première nuit est la plus difficile et que ça s’arrange ensuite.
Toutefois, le plus étonnant c’est que, même si Anbar 6 a résolument décidé que Rahaf était son héroïne principale, et que son point de vue allait dominer pendant cet épisode d’exposition… ce n’est pas avec elle que commence la série.
Anbar 6 démarre en fait avec une opération quasi-militaire pendant laquelle une unité d’intervention armée jusqu’aux dents pénètre dans un appartement cossu en pleine nuit, et procède à l’arrestation d’une vieille dame sous les yeux de sa fille adulte, Layla. Nous ne savons pas pourquoi, ni ce qui justifie de telles mesures. Plus étrange encore en matière de choix narratif, la dame âgée, qui s’appelle Alia, réapparait plus tard dans l’épisode, lorsque Rahaf apprivoise la prison… Sauf qu’elle semble avoir été emprisonnée depuis très longtemps à ce moment-là, et est devenue un pilier de la petite communauté carcérale. Il y a vraisemblablement eu un bond dans le temps entre la première scène de l’épisode et les scènes qui la suivent, mais la série ne nous dit pas de combien de temps, et n’explicite même pas vraiment qu’il a eu lieu. Je vous confesse que c’est un peu déroutant parce que, vous savez, moi, naïvement, je pensais que, vu la panique générée par les conditions de l’arrestation, nous étions supposées éprouver de l’empathie pour ce personnage ! Mais non. Alia apparaît ainsi comme plutôt secondaire pour deux raisons : l’une qui constitue le cliffhanger de la fin de cet épisode, et que je tairai donc ; et l’autre… parce que chaque fois qu’Anbar 6 nous en dit plus sur cette intrigue, c’est par le biais de sa fille Layla.
La pauvre femme est torturée : Layla s’inquiète de résultats ADN qui devraient déterminer si Alia est bien sa mère ! Mais… pourquoi ?! La série ne le dira pas pendant cet épisode introductif. En tout cas, la jeune femme ne peut accepter l’éventualité que ce ne soit pas le cas. Outre le fait que son stress la rend extrêmement émotive et la conduit à hurler sur des subalternes au bureau, on verra surtout Layla s’inquiéter de ces fameux tests ADN, s’inquiéter du qu’en-dira-t-on, se repasser de vieux messages vocaux d’Alia qui la touchent, et aller visiter la vieille dame au parloir. Anbar 6 est déterminée à nous détailler de toutes les façons possibles à quel point Layla est attachée à sa mère, à quel point les deux femmes partagent de la tendresse, et à quel point la situation est bouleversante pour la fille. Mais à aucun moment cet épisode ne veut nous dire, précisément, pourquoi ce lien maternel est remis en question ; on ne peut que présumer qu’il y a eu une sorte de vol d’enfant ? Probablement ? C’est vraiment étrange la façon dont la série se refuse à mettre les termes sur ce qui se produit ; cependant, il ne fait aucun doute vu la conclusion de l’épisode qu’il faudra en reparler par la suite.
Malgré ces choix un peu déstabilisants, je dois dire que pour une série carcérale, Anbar 6 est étrangement apaisée. Bien-sûr, il y est question d’une prison, avec les tropes habituels (la traditionnelle fouille au corps étant, cependant, remplacée par une douche au jet ; certes filmée pudiquement). On y trouve une part non-négligeable de violence au tout début, pendant la bagarre qui sert à masquer la tentative d’évasion (cette scène est d’ailleurs finement chorégraphiée et filmée avec une énergie surprenante). Mais, globalement, Anbar 6 est et reste une série dramatique s’intéressant plutôt à des émotions et/ou des interactions. La plupart des séries carcérales féminines sont des études de personnalité, c’est un fait, mais rarement autant que celle-ci. A cela encore faut-il ajouter que la prison est, à défaut d’être un palace, plutôt propre et plutôt facile à vivre ; honnêtement, on est plus proches de l’esprit d’une prison moderne comme Unité 9, effet renforcé par l’âge moyen des prisonnières.
Il faut également ajouter que, pour le moment, la série n’a qu’un seul personnage masculin avec une (relative) importance dans l’intrigue : Adam, un journaliste un peu idéaliste qui écrit régulièrement des articles sur le monde carcéral (au grand dam de son rédacteur en chef qui trouve que ce n’est pas vendeur et qu’il faut qu’il arrête ses conneries… mec, c’est pas le job du rédacteur en chef de déterminer quels articles finissent par être publiés ?!). Adam a apparemment fait libérer une vieille dame de prison pour qu’elle puisse finir ses jours parmi les siens, même si, encore une fois, on n’a pas trop les détails de l’affaire. Pour l’instant il n’a interagi avec aucune des autres protagonistes, mais il est décrit comme un tel bienfaiteur que ça ne va sûrement pas tarder. A part lui, absolument tous les autres rôles d’importance sont féminins, et j’ai eu l’impression que ça participait à l’ambiance de la série.
Comme un grand nombre de séries arabophones que j’ai pu consommer au fil des années (mais je ne demande qu’à être détrompée), l’accent est mis sur les discussions aussi anodines que sincères entre personnages. Ce sont très souvent des séries très bavardes, dans le bon sens du terme (j’ai eu l’occasion par le passé d’en parler). Cette approche a un impact incroyable étant donné les spécificités du genre d’Anbar 6. J’ignorais que j’en avais besoin avant d’en voir un exemple, mais oui : quand une série s’intéresse plus à ce qu’elle peut faire dire à ses protagonistes plutôt qu’à ce qu’elle peut montrer d’elles, ça change incroyablement de choses ; et ce, en particulier dans un genre réputé violent comme la série carcérale. J’ai donc été décontenancée par une partie des choix de cet épisode introductif, oui, mais aussi incroyablement charmée. De toute façon, pour mieux comprendre les tenants et aboutissants qui me manquent pour le moment, le meilleur moyen, c’est de regarder la suite.
Intéressant ce que tu dis. J’aime quand des séries posent des questions qui nous laissent confuses et n’y répond qu’après. J’ai récemment fini le drama coréen Beyond Evil que j’ai bien aimé, ce n’est pas du tout le même style de série que celle-ci, mais on est laissé avec plein de questions et j’aime quand un série est comme un oignon dont on enlève les couches une par une.
Et en même temps les questions qu’on se pose ne semblent pas être celles sur laquelle la série a envie de s’arrêter. Ce qui intéresse cet épisode c’est d’une part l’arrive de Rahaf en prison et le choc que cela occasionne pour elle ; et d’autre part l’inquiétude de Layla. Comme si Anbar 6 voulait mettre un point d’honneur à montrer que c’est l’émotion qui la dirige, et non le suspense. J’apprécie vraiment ce mode opératoire.
Oui et d’ailleurs ça me fait penser que c’est quelque chose que permet la télévision et les séries d’une manière qu’un autre média ne pourrait pas forcément.