Smart voices in my head

22 mai 2022 à 21:58

Il est des tropes dont on a l’impression de les connaître par cœur après les avoir vus recyclés mille fois, mais qui, entre de bonnes mains (ou simplement des mains inconnues), recèlent des trésors insoupçonnés. Combien de fois avons-nous eu droit à des fictions où une greffe d’organe s’accompagnait d’une greffe de personnalité ? Eh bien la série égyptienne Ansaf Manjaneen vient nous apporter une lecture légèrement différente de cette situation (étrangement) devenue banale dans les séries.

Cela fait plusieurs années maintenant que je vous parle (par exemple ici) de Viu, la plateforme d’origine hongkongaise qui ne cesse de gagner du terrain. Elle n’est toujours pas disponible dans nos contrées, mais elle poursuit ses efforts dans différentes régions Ansaf Majaneen en est l’illustration, qui se veut panarabique ; l’intrigue de la série se déroule à cheval sur l’Egypte et le Liban, et est l’adaptation d’un roman saoudien. La série démarre en effet alors qu’un frère et une sœur vivent dans deux pays différents : Mahmoud et Reem sont toutes deux des intellectuelles travaillant dans deux universités différentes, ce qui les tient artificiellement éloignées. Toutefois, le frère et la sœur sont très proches, et s’appellent régulièrement pour parler de leurs vies respectives ou simplement échanger sur des sujets de réflexion qui les passionnent.
Mahmoud, plus âgé, est un professeur respecté et un auteur d’ouvrages philosophiques. Ses derniers écrits en date s’intéressent à la nature de l’âme, à l’incarnation et même à la réincarnation, à travers ce que les différents penseurs du monde en ont dit et écrit. Cela fascine sa jeune sœur, mais cause parfois du scepticisme ou même du rejet hors de leur cercle familial ; il y a par exemple une scène de cet épisode introductif pendant laquelle l’un de ses propres élèves est choqué de devoir considérer des approches non-musulmanes sur la question de l’âme, que Mahmoud essaie d’apaiser et ouvrir à la réflexion.

Pourtant, j’ai menti. Ansaf Majaneen ne commence pas exactement en s’intéressant à la fratrie ou à ses centres d’intérêt, mais plutôt à un personnage qui pour le moment semble étranger à tout cela. Anas est un homme qui semble s’auto-détruire à petit feu ; outre des problèmes cardiaques qui menacent sa vie, il souffre surtout d’entendre des voix qui, à longueur de temps, le dénigrent et lui rendent le quotidien impossible. L’attente d’une greffe est ainsi le cadet de ses soucis, et il a des pensées suicidaires.
Avant même que l’intrigue à proprement parler ne démarre, et j’y reviens dans un instant, la superposition de ces deux thèmes est intéressante. Elle suggère d’emblée que dans l’univers de la série, ces voix ne sont pas un signe banal d’aliénation mentale (ce qui est généralement la façon dont ce phénomène est décrit), quand bien même Anas, lui, est convaincu de perdre la raison, comme l’indique une scène dans laquelle il s’ouvre à un oncle mutique. Dans la cacophonie de voix qui lui envahit la tête (et pour laquelle il a développé des stratégies, comme par exemple jouer de la batterie pour les faire taire), on sent qu’il y a des personnalités distinctes, ce qui est assez rarement décrit dans la fiction. Mais surtout c’est le discours de la série relative aux opinions de Mahmoud qui rend cela encore plus intéressant : si l’âme existe et qu’elle s’incarne simplement dans un corps, alors ces voix sont des personnes, des vraies ; pas juste l’expression de la folie d’Anas. Et ce thème-là m’a rendue curieuse.

L’épisode ne durant qu’une demi-heure, il faut bien que les choses se mettent en branle sans plus disserter sur ces sujets abstraits, cependant. Ansaf Majaneen met alors en scène, par une belle matinée parfaitement quelconque, la routine quotidienne de Mahmoud et Reem ; or, toutes les deux tombent, au même moment : l’un pendant un malaise, l’autre dans un accident de voiture. Quelques minutes plus tard, Anas est réveillé en urgence par son père : un cœur l’attend à l’hôpital, qui lui est compatible. A son réveil, une quatrième voix lui est apparue, mais celle-ci, pour la première fois, est réconfortante et sensée.

Evidemment, ces sujets ne sont pas les miens et je peux me tromper, mais j’ai l’impression que l’intrigue surnaturelle (et potentiellement mélodramatique, vu les liens entre le frère et la sœur) a trouvé un angle à la fois original et respectueux. Son approche du thème des voix humanise à la fois celui qui les entend et, dans une certaine mesure, ces voix elles-mêmes, qui dépassent plusieurs des clichés habituels. Quant à l’histoire de la greffe, elle semble s’accompagner d’autre chose qu’un simple mélo (ou pire, une bête romance, ce qui semble être le thème de Pálpito, à laquelle je n’ai pas encore touchée), les résumés d’Ansaf Majaneen semblant suggérer qu’Anas va aider sa nouvelle voix à percer un mystère, vraisemblablement d’ordre intellectuel vu la mise en place de la série.
Hélas, seul le premier épisode est visible pour les pays non couverts par Viu, et je ne suis pas en mesure de le confirmer avec certitude. De toute façon, les certitudes, c’est un peu surfait.


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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

4 commentaires

  1. Tiadeets dit :

    J’ai toujours du mal avec les séries qui ont ce thème-là, mais ça me rappelle qu’il y a A Tale of Thousand Stars qui est sorti l’année dernière dans le même genre qu’il faudrait que je regarde étant donné que tout le monde l’a bien aimé.

    • ladyteruki dit :

      Ah oui ça avait l’air plutôt populaire cette série… mais j’avoue que je ne l’ai pas regardée.

      • Tiadeets dit :

        Toi ? Ne pas avoir regardé un BL thaïlandais ? Tu me surprends. 😛 (Cela dit si tu veux tenter l’aventure, je peux te conseiller Not Me qui est qualifié de BL, mais est autant concentré (voir même plus) sur le reste que sur la romance et est la meilleure représentation de l’activisme dans une fiction que j’ai pu voir et qui a un discours sur les minorités, l’activisme, les inégalités, le capitalisme, la violence policière (pareil l’une des meilleures utilisations d’un personnage de flic dans une série).)

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