Puisque j’aime à répéter qu’il n’y a pas de retard en matière de téléphagie, et que les séries n’ont pas de date de péremption, alors voici une occasion de le prouver ! Le lancement ce mois-ci de la saison 2 de la série brésilienne Irmandade m’a en effet rappelé que je n’avais pas du tout regardé la première… C’est pas grave, c’est jamais grave : on va en parler aujourd’hui.
Irmandade (ou Brotherhood de son titre international), c’est l’histoire d’un frère et d’une sœur qui, ayant grandi dans les favelas, ont assisté à la même chose : la misère, la violence, l’injustice… mais qui en ont tiré des conclusions très différentes. Cristina Ferreira est devenue avocate, et a rejoint le bureau de la procureure, où elle essaie de travailler dans le sens de la Justice. Edson Ferreira est quant à lui devenu un criminel ; 20 ans plus tôt, il a été arrêté et envoyé en prison, et désormais c’est là qu’il est retenu, sans que Cristina n’ait eu de ses nouvelles depuis son arrestation.
Jusqu’à ce qu’un jour, elle découvre par hasard son dossier. Bien qu’encore en prison, il est sur le point de comparaître dans le cadre d’une affaire d’évasion et de meurtre ; les autorités pensent en outre qu’Edson est à la tête d’Irmandade (« Confrérie » en français), une faction violente qu’il dirigerait depuis sa cellule.
Initialement lancée en 2019, quand elle était alors la deuxième série originale de Netflix au Brésil, Irmandade (ou Brotherhood de son titre international), ne fait aucun mystère de son propos. Ce premier épisode, ciselé avec précision, revient sur l’évènement fondateur de l’intrigue, le moment où le parcours de la sœur et du frère ont bifurqué : l’arrestation brutale d’Edson, alors un jeune homme, sous les yeux de sa sœur Cristina, beaucoup plus jeune. Ce passage est présent deux fois dans l’épisode inaugural d’Irmandade : d’abord de façon factuelle, en ouverture de la série ; puis, plus tard, avec un ajout de contexte supplémentaire qui termine d’expliquer pourquoi le frère et la soeur ont pris des chemins si différents, mais aussi, finalement, la raison pour laquelle ces chemins se rejoignent.
Depuis lors, Cristina a continué son chemin seule ; à la mort de leur père, c’est à elle qu’est revenue la charge d’élever un troisième frère encore plus jeune, qui n’était qu’un bébé au moment de l’arrestation et n’a donc aucun souvenir en commun avec Edson. Malgré les origines modestes de la famille, elle a su s’élever un peu socialement ; elle vit toujours dans un quartier populaire, mais au moins, elle travaille désormais comme avocate dans le centre-ville. Pour la famille Ferreira, c’est un progrès qui apparaît comme inédit.
Tout vole naturellement en éclat lorsque, sans s’y attendre, Cristina tombe donc sur le fameux dossier où figure le nom de son frère. A la simple mention de ce nom, les souvenirs remontent, et la jeune femme décide d’assister au nouveau procès d’Edson ; c’est là qu’elle découvre un homme approchant la quarantaine, sombre et violent, qui ne cache pas son mépris d’institutions que, elle, respecte profondément. Se montrant trop peu docile devant la Cour, Edson est bientôt renvoyé en prison, et c’est là que Cristina, alarmée, comprend ce que vit son frère. Même si la perspective de la jeune femme est majoritaire dans ce premier épisode, on suivra un peu Edson dans sa vie carcérale, et notamment on constatera par nous-mêmes que ce qu’il tentait de décrier au tribunal (la violence des institutions à son égard, et plus largement la déshumanisation des prisonniers dans leur ensemble) est très réelle. De gré ou de force, on essaie de lui extirper des aveux…
Cristina réalise qu’elle n’a plus beaucoup de temps si elle veut sauver la vie de son grand frère, qui est bien parti pour succomber à la torture en prison. C’est à son tour de se heurter aux limites du système que pourtant elle connaît bien, et le premier épisode d’Irmandade l’accompagne dans sa réalisation (rapide, parce que ce n’est pas le cœur de cette introduction) que les moyens juste et légaux, qu’elle tenait pour acquis dans sa droiture morale imprenable, ne lui seront d’aucun secours.
Du discours d’Edson à la lente compromission (mais pour une bonne cause) de Cristina, tout dans l’exposition d’Irmandade est profondément politique, et ne demande qu’à remettre en question nos convictions sur la Justice. Plusieurs protagonistes secondaires (la procureure, le directeur de la prison, et l’immense majorité des magistrats dans la cour le jour du procès) vont être très claires quant à leur totale acceptation de brutalité du système : tout est justifiable quand on a décidé que l’autre était foncièrement mauvais, et qu’on était forcément du bon côté de la loi. Sauf qu’à la différence d’Il Re dont je parlais il y a peu (même si, considérant les dates de lancement des deux séries, cette comparaison peut sembler antichronologique) et dont le premier épisode m’avait tant ulcérée, Irmandade n’adopte à aucun moment la posture de ces personnages-là. Son approche est de condamner, fermement, ces petits arrangements avec la moralité sous prétexte de corriger la mauvaise herbe.
A cet égard, ce n’est absolument pas un hasard que les Ferreira soient, pour le moment, les seules protagonistes noires de la série. Tout le monde, en particulier parmi les autorités, est « blanc » (disons, blanc pour le Brésil, mais dans ce contexte c’est clairement une partie du problème qui ne relève pas du détail), et cela participe profondément au discours de la série. On peut même sans trop pousser voir un symbolisme supplémentaire dans le fait qu’Edson est de peau foncée, tandis que Cristina est lightskin…
Irmandade ne se cache pas de vouloir dénoncer (même sous prétexte d’être dans une série historique : l’intrigue principale se déroule dans les années 90) l’aveuglement d’un pays qui pense fonctionner de façon juste. Je ne saurais pas dire, au vu de ce seul premier épisode, ce que la série veut raconter d’autre par la suite. Il est évident que les risques pris par Cristina dans cette introduction vont la conduire, elle-même, à devoir renégocier sa vision de la Justice, et même de sa propre moralité (son dilemme pendant cet épisode est à lui seul déchirant), mais ça ne semble pas être tout. Mais je n’ai pas l’impression que l’intrigue carcérale soit son seul objectif en ligne de mire ; on n’a pas l’air d’être dans Prison Break, ici.
Irmandade apparaît décidée à dépeindre une violence qui ne vient pas d’où l’on croit, au point, potentiellement, de justifier des formes de violence supplémentaires en réaction à ces oppressions. Un point de vue intéressant, et finalement assez rare dans des séries. Je ne sais pas où ça mènera, mais, même 3 ans après son démarrage, maintenant j’ai très envie de le découvrir par moi-même.
Je sais que je le dis souvent, mais très, très intéressant comme sujet. Il y a un post qui circule depuis quelques jours sur tumblr sur le fait que les droits de l’Homme s’appelle ainsi parce que tout le monde y a droit, qu’importe qui iels sont, d’où iels viennent et ce qu’iels ont fait. Même quelqu’un qui a fait quelque chose d’infâme à le droit à un avocat et de vivre dans la dignité. Ça peut être compliqué à comprendre et à accepter, mais c’est toujours bon à rappeler.
C’est sûr, quand bien même il y a des situations où on voudrait s’en affranchir (par vengeance par exemple, ou dans le cas de crimes atroces). Le premier épisode d’Irmandade (j’ai enfin récupéré tous les suivants, je vais essayer de finir la première saison rapidement mais juin va être très compliqué pour ça) semble aussi vouloir parler de la façon dont les droits sont « distribués » par l’Etat, et que l’Etat est aussi l’entité qui décide qui les mérite, et qui punit ceux qui enfreignent la loi ; il y a un côté très « juge et partie » dans la façon dont la série montre le fonctionnement du système. J’explique pas forcément très bien >_< Mais quand tu es un homme noir et que tu fais 20 ans de prison pour du deal dans une favela, quelles sont tes chances d'avoir accès au droit, en fait ?