Lorsque du test de la plateforme Showmax, je vous avais prévenues que je n’y avais pas regardé que des séries sud-africaines. Eh bien aujourd’hui en est l’une des démonstrations, avec cette review du premier épisode d’ENO, une série ghanéenne… et, en fait, la toute première série originale ghanéenne de la plateforme, lancée en mars 2022. Le fait est donc très récent !
Et cette première série est créée par une femme, Shirley Frimpong-Manso, dont la carrière a jusque là été très prolifique au cinéma et à la télévision traditionnelle. Je n’ai pour ma part eu l’occasion de voir aucune de ses séries précédentes, mais j’aurais bien voulu tenter Shampaign, une série politique dont le sujet aurait parfaitement collé à mes préférences personnelles ; hélas celle-ci n’est disponible que sur la plateforme attitrée de la société de production de Frimpong-Manso, Sparrow Station.
En attendant, il y avait donc le premier épisode d’ENO à découvrir, et quel épisode !
C’est par une scène d’exposition pas comme les autres que démarre le premier épisode d’ENO : pendant près de 6 minutes sans discontinuer, nous assistons à la prière matinale d’une femme du nom d’Abena Baafi. C’est une façon très intéressante d’introduire les différentes protagonistes de la série : tour-à-tour, Abena va les mentionner, suppliant Dieu de donner à chacune ce qu’elle imagine pour elles.
On apprend ainsi qu’elle a trois filles : Tessa, l’aînée, qui est d’une nature aimable et docile ; Yolanda/Safowaa, la seconde, qui n’aime rien tant que lire et étudier (son nom de baptême est Yolanda, mais elle insiste, au grand dam de sa mère, pour se faire appeler Safowaa) ; et enfin Kendall, la plus jeune, charmeuse et très superficielle, animée d’ambitions similaires à celles de sa mère. Toutes les trois sont encore célibataires, et Abena ne veut rien tant que leur trouver des maris de qualité, qui sachent prendre soin d’elles. Abena a également quelques mots pour son patron, Edward Grant Senior (ou juste « Senior »), un homme riche dont elle est la gouvernante, et qui grâce à son succès lui a permis, par ricochets, de faire vivre sa famille ; mais surtout, Senior a un fils, Edward Grant Junior (« Junior », donc), qui après 15 années passées à Londres, est revenu au Ghana pour prendre la suite de son père à la tête de ses affaires. Et comme Junior est célibataire, vous imaginez bien qu’il est présent dans les prières d’Abena !
C’est vraiment une façon intéressante d’introduire les personnages, et ce, avant même de les rencontrer. Naturellement, une telle méthode introduit un biais conséquent : ENO ne nous présente pas à ce moment-là les motivations de chacune de ses protagonistes, mais uniquement les ambitions d’Abena pour elles. Les choses sont beaucoup plus complexes sitôt que l’on prête attention à ce que chacune veut pour elle-même…
C’est ce à quoi est dédié le reste de l’épisode, qui se déroule dans la demeure des Grant, où une fête est organisée pour célébrer le retour de Junior au bercail. Abena, qui a de la suite dans les idées, a insisté pour que ses trois filles viennent (et s’est montrée pointilleuse sur leur apparence avant de partir), mais elle s’assure de les faire inviter officiellement une fois sur place, demandant à Tessa, Safowaa et Kendall de rester cachées dans une chambre d’amis le temps de s’en assurer.
Finalement, Abena réussit à faire semblant de n’avoir pas été à l’origine de l’idée d’une invitation, et elle introduit ses trois filles pendant la fête. Son idée ? Junior va tomber sous le charme de l’une d’entre elles, si possible Kendall qui s’est convaincue d’être son âme sœur. L’ambitieuse mère garde également l’oeil ouvert sur d’autres hommes riches présents au cocktail, notamment un riche entrepreneur du nom de Chris. Est également présent le meilleur ami de Junior, Kofi, qui travaille également avec les Grant.
Lentement, ENO dévoile au fil de ces étapes qui sont réellement les filles d’Abena. Et le petit coup de génie de cet épisode introductif est de nous démontrer que les filles ne collent pas vraiment à l’idée que s’en fait leur mère, et ont leurs propres intentions !
Ainsi, Tessa a beau être une jeune femme douce et effacée, en réalité elle n’est pas la fille malléable que sa mère pense pousser dans les bras d’un homme : elle entretient une relation secrète avec Jerry, dont elle est très amoureuse ; autant dire qu’elle n’a pas vraiment remarqué que sa mère s’est déjà convaincue que Chris ferait un bon parti. De son côté, Safowaa ne semble pas du tout intéressée par les hommes (et certainement pas par Junior, avec qui elle a une interaction quelque peu déplaisante) ; elle a toutefois un ami, Kwao, qui est charpentier, ce qui a le don de scandaliser Abena… car évidemment un charpentier ne serait pas assez bien pour sa fille ! Enfin, la plastique de rêve de Kendall est peut-être à son avantage, mais sa vanité a tendance à ne pas exactement attirer les hommes qu’elle voudrait, et au lieu d’intéresser Junior, c’est Kofi qui va lui faire des avances.
Les plans d’Abena sont donc menacés, sans qu’elle ne le sache encore, par le libre-arbitre de ses filles et/ou les aléas de la vie. L’introduction progressive d’autres perspectives, et de secrets dont elle n’est pas au courant, montre que si Abena est effectivement la personne qui autour de laquelle gravitent les autres personnages, en revanche n’est pas tout-à-fait l’héroïne de la série : celle-ci ne prend, en réalité, pas son parti. La thèse d’ENO semble être que l’obsession de la mère pour le mariage de ses trois filles ne va pas forcément lui donner toute la satisfaction qu’elle imagine, quand bien même elle se donne beaucoup de mal pour parvenir à ses fins ; et si sa manière de gérer les vies amoureuses de ses filles (et surtout de s’ingérer dedans) n’est pas altérée, elle risque d’envenimer leurs relations futures…
ENO est ce qu’on pourrait qualifier de primetime soap… sauf qu’évidemment le terme sonne un peu comme désuet pour une série proposée par une plateforme de streaming. Mais vous saisissez l’idée. La série promet avec cet épisode introductif de parler beaucoup de romance, de couples (ce qui n’est pas toujours la même chose), d’ambition, d’argent.
En tant qu’amatrice d’épisodes d’exposition, je trouve très intéressant la façon dont celui-ci procède : d’abord en établissant la perspective d’Abena, puis, lentement, en montrant que cette perspective n’est ni celle de la série, ni celle des autres protagonistes, qui ont des idées très différentes sur ce à quoi devrait ressembler la suite des événements. Cela augure, évidemment, de conflits ; mais aussi d’un potentiel discours intéressant sur l’autonomie de ces trois jeunes femmes qui vont soit vouloir, soit devoir, se détacher de ce que veut leur mère si elles veulent trouver le bonheur. Vous ne me verrez pas contester ce genre de message.
Ce que j’aime avec tes avis, c’est de lire tes analyses et tes résumés des séries et ensuite de m’imaginer à quoi ça ressemble pour les séries que je ne regarderai très sûrement jamais. Comment est-ce que différents créateurs développent leurs personnages et amènent les conflits. C’est passionnant.
Merci, ça me fait plaisir à lire, des choses comme ça ? C’est pour les lectrices comme toi que j’écris, et que je me régale autant de venir parler de mes trouvailles sur les mille et une façons dont l’art télévisuel peut s’exprimer.