Beaucoup de séries parlent de guerres ; peu parlent de l’après. C’était ce qui me fascinait dans le synopsis de Maa Waqf El Tanfeez (ou Suspended, de son titre international), une série syrienne sur… bon, ça me paraît assez évident.
Diffusée pendant le Ramadan qui vient de s’écouler, elle se déroule dans un petit quartier de Damas qui, comme tant d’autres, s’était vidé pendant la guerre civile. Or, environ trois mois avant que ne commence l’intrigue, les habitantes ont commencé à revenir…
Maintenant, il faut donc remettre le quartier sur pied. D’abord il a fallu retirer les débris, remettre en place toute l’infrastructure. Quand démarre le premier épisode, tout le quartier se prépare à accueillir le gouverneur, venu symboliquement ouvrir les robinets après que l’eau courante soit enfin rétablie. C’est vous dire si tout est à recommencer.
Sauf que bien-sûr, ce n’est pas tout-à-fait vrai. Chaque maison du quartier a une histoire. Et ces histoires, parfois, rendent la reconstruction douloureuse, voire difficile. On ne repart pas vraiment de zéro quand les souvenirs s’entremêlent avec le présent.
La série s’ouvre alors que dans l’une des maisons du quartier, la famille de feu Abu Hashim Al-Bari s’entredéchire avant la guerre : Attab, la fille de la famille, est accusée de tous les vices (sorcellerie, tentation, et surtout, adultère), et ses trois frères sont parfaitement préparés à l’exécuter pour ses péchés. Leur mère, une vieille femme qui commande le respect, les arrête juste à temps, prétendant qu’elle va tuer sa fille de ses propres mains et envoyant ses fils hors de la maison pour quelques heures. En réalité elle ordonne à Attab de quitter le pays et ne jamais revenir ; elle ne pardonne pas ses crimes à sa fille, mais elle lui sauve la vie, c’est déjà ça. Puis, elle prétend l’avoir assassinée et enterrée de ses propres mains, donnant ainsi satisfaction à ses fils.
Mais depuis, évidemment, beaucoup de choses se sont passées. Et la maison de feu Abu Hashim Al-Bari s’apprête à être ébranlée par les révélations de la vieille femme sur son lit de mort…
Dans la maison voisine vivent le professeur Haleem et sa fille. L’ambiance y est très différente : la jeune femme est libre de s’habiller comme elle le souhaite, d’avoir une vie sociale (dans les limites de la décence évidemment)… Son père est plutôt tolérant, et lui donne même de l’argent pour ses sorties. Toutefois une pomme de discorde les oppose : Haleem voudrait que sa fille prenne au sérieux ses cours à l’université. D’une façon générale, il est très attaché à l’éducation, et on le verra plus tard dans l’épisode réclamer la réouverture des écoles du quartier, toute une génération de jeunes n’ayant eu aucune sorte d’éducation.
D’autres habitants du quartier nous sont également introduits, bien qu’avec moins de détails : un chauffeur de taxi louche (dont je ne suis pas sûre d’avoir une fois entendu le nom) ; Fozan Falallah, un entrepreneur local ambitieux et obséquieux (une combinaison qui le rend bien souvent insupportable) ; ou encore le Sheikh Rabah, figure respectée dans le quartier, qui voudrait y ouvrir un orphelinat. Il faut aussi mentionner Jenan, qui n’habite plus ici ; la jeune femme travaille désormais aux côtés du gouverneur, et apparemment est en grande partie responsable du retour de l’eau courante. On apprendra quels sont ses liens réels avec le voisinage en cours d’épisode.
C’est compliqué, une série sur la reconstruction, et plus encore quand celle-ci est contemporaine ; dans une série historique, la distance avec les spectatrices est induite par la chronologie (et ses manifestations telles que les costumes ou la technologie). Mais ici, on est dans l’un des rares cas pour lesquels cette reconstruction n’est pas vue avec du recul, mais avec le regard douloureux d’une série syrienne qui parle de ce que ses spectatrices syriennes vivent. Une entreprise qui requiert un doigté tout particulier.
Cela se sent par exemple dans le fait qu’à aucun moment, j’ai bien dit AUCUN, Maa Waqf El Tanfeez ne mentionne la guerre : la seule référence à peu près explicite que ce premier épisode y fera tient dans une réplique qui parle de « circonstances ». Paradoxalement, cette absence est partout : l’intrigue de la série tourne autour de l’après ; mais dire après quoi est trop douloureux.
Cette introduction d’une quarantaine de minutes met en place, notamment grâce à la cérémonie pendant laquelle le gouverneur est reçu par le quartier, toutes sortes de dynamiques entre les personnages. Ce sera de toute évidence le point focal du reste de la série. Maa Waqf El Tanfeez n’est pas là pour nous parler de l’eau courante, de l’électricité, même pas vraiment des écoles ou de l’orphelinat. Elle est là pour nous dire comment le passé informe la façon dont, au présent, le quartier se reconstruit ; les tensions qui l’animent, souvent plutôt à l’intérieur d’un même foyer qu’entre différentes familles, sont la plus grande menace à l’équilibre fragile que le quartier tente de retrouver.
Dés que je l’ai repérée parmi les nouveautés du Ramadan 2022, Maa Waqf El Tanfeez m’a rendue très curieuse. C’est, en fait, la première série que j’ai lancée cette semaine via mon compte tout neuf sur Shahid. Depuis un bout de temps maintenant, je vous parle de cette plateforme (adossée au groupe MBC), et j’ai remarqué qu’elle offrait, à l’occasion du Ramadan cette année (et même quelques jours plus tard), une promotion exceptionnelle réduisant son abonnement à près de 3€ par mois pour un an. Grâce aux contributions généreuses du mois d’avril sur uTip (et un mois relativement calme côté frais vétérinaires), j’ai enfin pu sauter le pas, et je voulais vous en remercier.
Cette review de pilote n’aurait jamais vu le jour sans vous. Et j’ai hâte d’avoir le temps, à l’avenir, pour des reviews de saison.
Oh, intéressant comme sujet. Je serai curieuse de savoir comment la série a été reçue en Syrie et dans la région. Les séries (et la fiction en général) peuvent être très utiles pour faire réfléchir, mais aussi pouvoir faire le point sur ce que l’on ressent et cette série semble particulièrement apte sur ce point.
J’ai beaucoup de mal à trouver des retours dans une langue que je pratique, hélas ^_^; Mais oui, on imagine que c’est le genre de séries dont les gens ont probablement besoin.