Léa a 17 ans et, comme toutes les adolescentes au monde, elle est la seule au monde à avoir des préoccupations. Noyée dans l’impression qu’elle a de n’avoir rien pour elle, la voilà qui se retrouve, à quelques jours du Bac 2021, à consommer de la drogue pendant une fête, puis d’aller s’isoler un peu plus loin. Les idées noires, elle a plus ou moins décidé, sur le moment, de mettre fin à ses jours… avant de trébucher et trouver un cadavre dans les mêmes gorges où elle a failli mettre fin à sa vie. Dés lors, Léa devient fascinée par cette affaire, et tente d’en comprendre les tenants et aboutissants.
Ce point de départ morbide, c’est celui de la série française Les 7 Vies de Léa, une production Netflix lancée cette semaine, et que je ne m’attendais pas à apprécier autant. C’est certainement un des meilleurs thrillers adolescents de ces dernières années… et il a été produit chez nous ?! Et, en plus, c’est une série fantastique (décidément les séries de genre se portent bien en ce moment chez Empreinte Digitale). Je sais pas quoi vous dire, c’est inespéré.
Car oui, la façon dont Léa mène son investigation personnelle sur le cadavre qu’elle a trouvé est, à son insu, une méthode surnaturelle : chaque soir, en s’endormant, elle se retrouve dans la peau de quelqu’un vivant à quelques jours du Bac 1991 ! Ce bond de 30 ans en arrière n’est, en outre, pas aléatoire : le corps qu’elle a trouvé par accident est celui d’Ismaël, un jeune homme qui était l’ami d’enfance de ses parents. Nuit après nuit, Léa se retrouve donc à vivre l’existence de gens qui lui sont plus ou moins proches, dont, oui, ses parents, avec lesquelles elle est (là encore comme toutes les ados) particulièrement en mauvais termes. C’est toute une page de leur existence qu’elle va ainsi découvrir, et par ce biais, elle tente de progressivement lever le voile sur les circonstances de la mort d’Ismaël en 1991. Mais évidemment, ces expériences dans le corps d’autres gens sont éphémères : sitôt que la personne s’endort, Léa retourne à sa vie en 2021… et découvre les conséquences de ses actions.
Les 7 Vies de Léa, disons-le franchement, est assez peu intéressée par l’aspect mythologique de ce voyage dans le temps par le rêve (et c’est son droit le plus strict, absolument pas une critique : parfois, c’est ce qu’une série a besoin de faire, comme c’est le cas par exemple dans Plan B). On ne nous dira pas vraiment comment ou même pourquoi tout cela se produit. Léa, évidemment, comme la parfaite adolescente romanesque qu’elle est, s’imagine immédiatement avoir un lien intemporel avec la victime : il faut dire qu’elle en tombe éperdument amoureuse, quand bien même 30 années (et la mort) les séparent. La série en revanche est bien moins définitive ; d’une façon générale, Les 7 Vies de Léa n’a pas envie de donner les règles de fonctionnement à la partie fantastique de son intrigue. Le mieux qu’on aura, c’est une affirmation que le passé peut être influencé par Léa pendant l’une de ses incarnations, et que quand elle se réveille le lendemain, elle peut en constater les conséquences. Mais en-dehors de ça, la série est beaucoup plus intéressée par son aspect dramatique.
Ce qui tombe bien, parce que moi aussi ! D’ailleurs c’est fascinant ce que fait Les 7 Vies de Léa, parce que, si l’aspect fantastique change des choses sur la forme… sur le fond, on est ici dans une série qui, fonctionnellement, fait du 13 Reasons Why. MAIS ! Du 13 Reasons Why bien fait. Sans le discours et le cadre narratif malaisants autour du suicide, en particulier (qui étaient les reproches que j’adressais à ce que j’ai vu de la série).
A chaque retour dans le passé, Léa se retrouve donc à endosser une nouvelle identité, et à faire l’expérience de la vie de cette personne pendant une journée : c’est à peu près le même principe que les cassettes. Sauf qu’au lieu de reposer sur la recherche d’indices de culpabilité (et dans le cas de 13 Reasons Why, cette culpabilité était qui plus est présentée comme morale avant tout), l’approche de la série française est de plonger Léa dans un quotidien qui révèle les difficultés de la vie d’autrui, souvent invisibles aux autres. Ces difficultés en question peuvent être socio-économiques (Les 7 Vies de Léa est l’une des rares séries françaises à embrasser toutes sortes de classes sociales, chose encore rare sur nos écrans, hélas), mais aussi familiales, amoureuses, identitaires… et généralement à l’intersection de tout cela. Léa ne ressent pas les émotions de la personne dont elle emprunte l’existence, mais elle en découvre tout de même les tourments, qui la touchent personnellement parce que, eh bien, pour quelques heures, ce sont les siens ! Son enquête se fait donc par le biais de l’empathie, et quasiment à chaque fois, l’héroïne se retrouve à essayer, au moins un peu, d’améliorer leur vie et de faire de bons choix. Souvent, ces choix coïncident avec les intérêts d’Ismaël, puisqu’elle s’est mis en tête de lui sauver la vie, mais pas exclusivement ; il y a des passages pendant lesquels, véritablement, Léa se retrouve à avoir de l’affection pour ces gens, et essayer de changer leur destin pour le meilleur. Même pour les personnes dont elle n’incarnera jamais l’identité, on la trouvera à ressentir de la bienveillance (c’est le cas par exemple pour un personnage secondaire dont elle se dira « c’est triste… j’espérais vraiment un autre destin pour lui »).
Ce travail poussant Léa à se mettre (littéralement ET émotionnellement) à la place d’autrui est vraiment au cœur de l’intérêt de la série. Parce que l’intrigue ne porte pas sur un mort lambda, mais sur un proche de ses parents, c’est l’occasion pour l’héroïne de remettre en question ses certitudes sur ses parents (et sa famille au sens large), qu’elle considérait jusque là d’un oeil très négatif, bien-sûr. L’enquête que Léa mène lui permet de comprendre que, même si ses parents sont imparfaites, elles contiennent aussi des nuances et contradictions insoupçonnées qui les rendent humaines. C’est une partie importante du passage à l’âge adulte qui se joue ici, et qui prouve que, en plus du reste, Les 7 Vies de Léa est une série coming-of-age prenant très au sérieux le parcours intérieur de sa protagoniste éponyme. En plus de lui donner une chance de résoudre le mystère entourant la mort d’Ismaël trois décennies plus tôt, l’intrigue lui donne aussi l’opportunité de grandir. L’empathie pour mieux connaître les autres, oui, mais aussi pour mieux se connaître soi. Tout cela se produit en outre à quelques jours du Bac, je l’ai dit, alors que Léa n’a aucune idée de ce à quoi son avenir pourrait bien ressembler : elle est convaincue de ne jamais passer le Bac, de n’avoir aucune passion, de n’avoir aucun projet. Ces retours dans le passé, paradoxalement, vont l’aider à se projeter dans le futur, du moins autant que faire se peut en l’espace d’une semaine (puisque c’est là la chronologie de la série pour la partie se déroulant en 2021).
Même si j’ai été un peu laissée circonspecte par sa conclusion (j’ignore si c’est la même que dans le livre dont elle est l’adaptation, d’ailleurs), dans l’ensemble j’ai été très convaincue par ce qu’a accompli Les 7 Vies de Léa pendant cette saison. Elle doit beaucoup à une distribution solide, qui tire pleinement partie des talents de jeunes actrices qui doivent en fait interpréter deux rôles : le leur, et Léa quand elle les incarne. C’est très souvent réussi, et il y a dans ce générique des noms dont il faudra se souvenir.
Certains dialogues sont un peu « raides », comme souvent dans les séries françaises hélas (c’est notre plus gros talon d’Achille national), mais d’autres sont très bons. Sur la question du ton, aussi, bien que jonglant avec plein de choses, la série réussit plutôt bien à trouver un équilibre tout en s’autorisant à expérimenter. Il y a un épisode en particulier que j’ai trouvé très réussi, quand la série commençait à prendre son rythme, qui jouait ainsi très bien sur les changements d’identité mais aussi d’époque… Léa illustrant, à son corps défendant, combien les ados de 2021 voient les choses différemment de celles de 1991 sur plusieurs sujets. Plutôt que de tourner cela comme un détail cosmétique, Les 7 Vies de Léa emploie ses deux intrigues parallèles pour souligner l’évolution des mentalités sur le sexisme ou la masculinité toxique par exemple, ce qui parfois provoque un choc sincère lorsque la jeune fille se retrouve dans les années 90. Il faudrait aussi parler de l’incroyable utilisation des décors provençaux de la série, qui participent tellement à son univers que j’ai failli dire que la Provence est un personnage à part entière (du coup je l’ai pas dit, là !). Les 7 Vies de Léa emploie le drone le plus chanceux de l’univers, qui nous le rend bien.
Vraiment, sans aller jusqu’à dire que c’est une série parfaite (mais quelle série l’est ? d’autant que je ne suis certainement pas dans la cible de celle-ci, vu que j’ai quasiment l’âge des parents de Léa !), on est ici devant une série réussie. C’est déjà pas mal, surtout pour un investissement de seulement 7 épisodes, qui passent incroyablement vite. Si vous n’avez pas encore jeté un oeil à Les 7 Vies de Léa, je ne peux que vous encourager à vous y mettre au plus vite.
Et qui sait, peut-être même qu’une deuxième saison permettrait d’en changer la conclusion ?
Concernant la fin, sur le moment j’ai bien aimé, parce que justement je ne m’attendais pas à ça. Mais plus j’y repense, plus le paradoxe temporel me gêne.
Sinon j’ai bien aimé aussi qu’elle apprenne à connaître toutes ces personnes et se rende compte que la réalité est souvent plus complexe que les apparences.
Tu vas dire que je suis parano, mais on ne m’ôtera pas de l’idée que le paradoxe temporel a été instauré uniquement pour essayer de moyenner une saison 2 dans laquelle quelqu’un essaie de rectifier le tir XD
Oui, c’est vraiment un aspect génial, et plus encore pour un teen drama. Tant de séries adolescentes tournent au tour de l’identification, le besoin de se définir soi, de faire des choix pour soi… et Les 7 Vies de Léa va dans la direction totalement opposée sur tous ces sujets, en privilégiant l’empathie, la compréhension de diverses situations extérieures à l’héroïne, et même les choix qui concernent la vie d’autrui plutôt que les siens. Quelque part je trouve ça courageux parce que l’adolescence (et je ne jette pas la pierre, c’est la période qui veut ça, et j’ai été ado moi-même) est tellement un moment où on se mate le nombril… et tant de séries encouragent ça ! C’est vraiment la bonne surprise inespérée de ce petit thriller fantastique.
Je l’ai ajouté dans ma liste netflix parce que les séries françaises qui font bien les choses sont suffisamment rares (même si les choses s’améliorent) pour être soutenue, surtout avec un élément fantastique dans le mix.
J’ajoute que depuis ma review, j’ai commencé à lire les reviews d’autres personnes (ce que j’évite de faire tant que je n’ai pas écrit la mienne), et je trouve beaucoup d’autres critiques positives. Pas dithyrambiques, la série a quelques défauts, mais c’est très prometteur de voir les retours positifs. C’est juste que j’aurais voulu qu’elle fasse plus de bruit ; les retours sont bons, mais je n’ai pas l’impression d’une viralité.