Il y a deux écoles de pensées principales lorsqu’il s’agit de traiter une affaire de meurtre : soit par le genre policier, en se demandant qui a tué, comment, et éventuellement pourquoi ; soit par le genre dramatique, en se demandant quelles sont les causes et surtout les répercussions de cet acte criminel. Ces séparations (certes parfois légèrement perméables) font qu’il est des séries sur des meurtres qui adoptent le point de vue des enquêtrices, et des séries qui au contraire, se placent du côté des survivantes, qu’elles soient proches de la victime et/ou coupables (…dans certains cas empruntant au fantastique, on trouve aussi la victime elle-même !).
La série islandaise Systrabönd, proposée par la plateforme nordique Viaplay à l’automne dernier, choisit son camps lors d’un premier épisode qui met ostensiblement l’accent sur les trois femmes qui, voilà 30 ans, étaient inséparables, et qui aujourd’hui mènent des vies séparées ; sauf que ce n’est pas l’ordre naturel des choses qui a fait bifurquer leurs parcours, mais une tragédie concernant une quatrième jeune fille qui avait disparu à l’époque.
Je vous le dis tout de suite, j’ai instantanément accroché à cette entrée en matière ; il faut dire que je suis infiniment plus réceptive à l’approche dramatique.
Dans les années 90, elles étaient trois adolescentes toujours fourrées ensemble. Aujourd’hui tout sépare Karlotta, Anna Sigga et Elísabet. La première est devenue infirmière, et sur son temps libre, fournit un travail personnel intense pour garder le contrôle sur son alcoolisme, qui a vraisemblablement compliqué une partie de son passage à l’âge adulte. Anna Sigga est cheffe dans un restaurant où elle se tue à la tâche pour un patron trop ambitieux (et trop pingre pour employer plus de personnel), mais se prépare à ralentir un peu la cadence dans un service de traiteur ; cela lui permettra, peut-être, de passer plus de temps avec son enfant. Quant à Elísabet, elle est devenue pasteure et a un bébé en bas âge, tout en gérant le foyer qu’elle partage avec son mari ainsi que la fille adolescente de celui-ci, issue d’un premier mariage, et en plein âge difficile.
Systrabönd passe beaucoup de temps à établir à quoi ressemblent ces vies. Des vignettes, capturées pendant ce qu’on imagine être un quotidien de la plus grande banalité, se succèdent pour nous dire comment vivent ces femmes… mais aussi qui elles sont. Par exemple, Karlotta pense avoir sa vie bien en main, et, pour la première fois, est bien dans sa peau au point de pouvoir aider les autres. Anna Sigga est une femme qui est du genre à souffrir en silence, attendant que l’orage passe ; elle s’abime le corps en travaillant d’arrache-pied pour un patron qui l’irrite chaque jour un peu plus ; heureusement, elle est incroyablement excitée par le service de traiteur qu’elle est en train de mettre en place (bien que toujours avec le même patron). Quant à Elísabet, c’est une femme diplomate, qui essaie d’apaiser les esprits dans son foyer recomposé et d’être présente pour ses ouailles, mais qui est également assez froide et calculatrice par moments.
Ce qui transparaît dans cette succession d’introductions, puis de détails, c’est que ces trois femmes sont, globalement, heureuses. Elles se sont forgées une vie qui leur convient, au moins dans les grandes lignes. Cette vie n’est pas toujours facile, mais c’est la leur.
Pourtant, la découverte d’un cadavre près d’une mine, dans leur ville natale, vient bousculer tout cela. Progressivement viennent s’insérer dans l’épisode introductif des scènes pendant lesquelles le corps est découvert, et la police commence à s’interroger sur son identité. Dans la région, plusieurs personnes ont disparu au fil des décennies, après tout. Pas des dizaines, mais suffisamment pour qu’il existe un doute.
Pas pour Karlotta, Anna Sigga et Elísabet. Avant même d’échanger un seul mot, les trois femmes ont toutes eu la même idée en voyant les informations : ce corps, c’est celui d’une quatrième adolescente. Une adolescente qu’elles ont connu, dans les années 90, et qui a disparu sans laisser de traces. Sauf que Karlotta, Anna Sigga et Elísabet savent exactement ce qui lui est arrivé…
Systrabönd (« sororité ») ne nous révèle pas encore tout ce qu’elles savent, mais en dit suffisamment pour que nous les considérions, avec aussi peu de doute que possible, comme complices sinon coupables de ce qui s’est passé (c’est d’ailleurs assez rare de mettre en scène des coupables féminines). Quelle autre explication y aurait-il à tout cela ? Quand on n’a rien à voir avec la disparition de quelqu’un (dont on prétend n’avoir pas été proche, qui plus est), on n’a pas des sueurs froides à l’idée que des ossements découverts soient les siens. D’autant que les trois femmes ont le même réflexe en apprenant la nouvelle : s’appeler après des années de silence, se réunir en cachette, et décider de la stratégie à adopter. Karlotta, Anna Sigga et Elísabet ont, parce que leurs trajectoires ont largement divergé, des opinions très différentes sur l’attitude à adopter. C’est là que les personnalités qui ont été établies plus tôt par l’épisode commencent à prendre tout leur sens : Karlotta veut faire ce qui est juste, Anna Sigga tente de ne froisser personne, et Elísabet est prête coûte que coûte à protéger sa vie et sa famille.
Dans Systrabönd, il apparaît dés le premier épisode que ce lourd secret n’a pas la même signification pour ces trois femmes. Et c’est toute la valeur dramatique de l’affaire, bien plus que de déterminer les circonstances précises de la mort de la quatrième (un aperçu un peu confus nous sera délivré dans les toutes dernières minutes, toutefois). Ce qui compte, ce n’est certainement pas qui a tué, puisqu’on nous le dit à mots à peine couverts, mais bien les conséquences de ce meurtre sur les trois personnes qui, ce jour-là, y ont survécu.
Comment gérer la culpabilité ? Karlotta, Anna Sigga et Elísabet ont dû se poser la question, il y a bien des années, et chacune a fait ses choix en conséquence (ou a essayé de les faire). Toutefois, la découverte de ce cadavre rebat les cartes, et réduit à néant leurs certitudes. Quoi qu’il advienne par la suite, de toute façon, il faudra vivre avec…
Ooooh, intéressante cette histoire, dis-moi. Vraiment Viaplay a beaucoup de bonnes idées (si seulement c’était des séries qui me parlaient plus *soupire*)
Viaplay fait vraiment un effort pour proposer d’autres séries que du sempiternel « Nordic noir » (probablement parce qu’elle ne cherche pas à exporter ses séries, vu qu’elle les distribue elle-même… je dis ça je dis rien), et ça donne beaucoup, beaucoup de bons résultats. Après je t’avoue qu’ici on est quand même dans une histoire de meurtre, et ya quand même du poulet, donc c’est pas son projet le plus épatant, mais l’angle adopté a, au moins, le mérite de l’originalité.