Joanna Chyłka est une avocate talentueuse dans un prétoire, mais incontrôlable partout ailleurs ; mais quand on n’a jamais perdu une seule affaire, on peut tout se permettre…
Initialement lancée en avant-première sur la plateforme polonaise Player (dont le nom a, au moins, le mérite de la clarté) en décembre 2018, avant d’apparaître sur la chaîne TVN en mars de l’année suivante, Chyłka est un legal drama empruntant aussi au policier. Contrairement à un grand nombre de séries dans son genre, chacune de ses saisons (et elle en comporte 5 à ce jour) représente un arc unique, portant sur une seule et même affaire. La première saison, surnommée Zaginięcie (« disparition »), porte sur une affaire d’enlèvement. J’ai dû m’y prendre à deux fois pour finir de regarder l’épisode introductif, sa première partie étant assez décourageante de prime abord. Mais après avoir fini la seconde moitié de l’épisode, en réalité j’ai un peu envie de voir la suite ! Du coup, le timing étant ce qu’il est, on ne parlera aujourd’hui que du premier épisode.
A beginning is a very delicate time… et Chyłka manque de délicatesse pour son démarrage. La série commence par présenter, évidemment, son héroïne éponyme, mais ce faisant, elle accumule toutes sortes de travers qui, s’ils passeraient certainement inaperçus dans une série de TFHein amatrice de gimmicks, en réalité ne donnent pas une impression très subtile de l’écriture. C’est que, voyez-vous, Joanna Chyłka est une connasse douée, le genre d’anti-héroïne qu’on a vue et revue ; son introduction auprès des spectatrices est donc émaillée de scènes nous prouvant par a+b qu’elle est anti-conformiste, désagréable, et a par conséquent la pire des réputations.
L’épisode s’ouvre ainsi sur une scène dans un club, pendant laquelle Joanna rejette un homme qui lui propose un coup d’un soir, avant d’aller draguer une belle rousse… qui dans la scène suivante s’avère être un témoin-clé de l’affaire que plaide Joanna. Cette dernière (qui empeste l’alcool) semble avoir obtenu des renseignements pendant cette nuit passée avec la jeune femme, ce qui déontologiquement est évidemment plus que limite. Par la suite, on la verra invectiver un parfait inconnu dans la rue ou écouter du metal tout en sirotant un verre de paracetamol. On vous dit qu’elle n’est pas comme les autres, vous comprenez ?
La litanie de petites contrariétés qu’elle inflige à son entourage, y compris les associés du cabinet Żelazny & McVay dont elle n’est pas encore partenaire (mais c’est son but), se poursuit… et pendant ce temps il apparaît que Joanna ne fait pas qu’apparaître comme une personne antipathique : elle l’est vraiment. Rien, absolument rien n’est fait pour l’humaniser. Ni l’écriture, ni l’interprétation, strictement rien. Même son succès, dans le fond, semble plus être dû à ses méthodes peu conventionnelles qu’à une réelle intelligence ; il n’y a pas de qualité rédemptrice chez elle.
Plus l’épisode avançait, plus c’était évident à cause d’un autre personnage.
Pendant que Joanna se remet de sa cuite qui lui a permis d’innocenter son client, le jeune Kordian Oryński arrive au sein de Żelazny & McVay ; c’est le jeune homme que l’avocate à verbalement agressé dans la rue. En fait, il est un nouveau collaborateur du cabinet, et évidemment comme il a énormément de chance, il a été assigné pour seconder Chyłka. Ce qui n’est pas du goût de celle-ci, naturellement : elle est du genre à préférer bosser en solo (mais une ligne de dialogue semble aussi sous-entendre qu’elle serait plus clémente avec une collaboratrice…). Au passage, ce premier épisode de Chyłka envoie des signaux contraires sur la sexualité de son héroïne, puisqu’elle a aussi une liaison avec un avocat d’un autre cabinet ; dans quelle mesure est-elle supposée être bisexuelle ou juste une opportuniste, c’est vraiment dur à dire. Elle est évidemment désagréable avec lui autant qu’avec le reste de la planète, lui ordonne d’apprendre tout le code pénal dans la soirée (par cœur, oui-oui), et décide de ne pas retenir son nom : dorénavant, elle l’appellera Zordon.
La façon dont Kordian/Zordon est introduit est un procédé courant dans les séries. L’exemple que je prends toujours est celui du Dr Carter dans ER, mais il s’applique à un nombre énorme de fictions : on prend une protagoniste novice, on la plonge dans un univers dont il ne connaît rien, et cela sert de cheval de Troie narratif aux spectatrices qui partagent avec cette protagoniste le besoin de se familiariser à un nouvel environnement. Ce procédé joue donc sur l’identification, et crée immédiatement un lien affectif ; eh bien dans Chyłka, ça permet de continuer de montrer l’avocate de la série sous un jour antipathique. Quelque chose que la série ne veut absolument pas relativiser, on l’a dit, mais qui doit bien être compensé. D’où Zordon.
Les choses, fort heureusement, s’animent lorsque cette introduction est enfin écartée, au profit de la véritable intrigue de Zaginięcie. C’est que, en ouverture de l’épisode inaugural, nous avons vu une personne mystérieuse charger le corps inanimé d’une petite fille dans une barque, non loin d’une magnifique demeure au bord d’un lac.
Une fois les présentations faites pendant la moitié de cet épisode, donc, Joanna Chyłka finit par recevoir un appel d’Angelika Szlezyngier, une connaissance remontant à ses études, qui est la mère d’une petite fille, Nikola, qui a disparu. C’est Angelika et son mari, le millionnaire Dawid Szlezyngier, qui nous sont finalement révélées comme étant les résidentes de la fameuse demeure au bord du lac. Leur fille a disparu, et le couple figure en tête de la liste des suspectes… qui ne comporte que leurs noms. La police est tellement convaincue de leur culpabilité que personne n’envisage aucune autre piste, et Angelika, inquiète, demande à Joanna de venir l’aider.
C’est là que la série commence un peu à sortir des clichés. Certes, Joanna Chyłka est toujours imbuvable (elle a en outre embarqué avec elle ce pauvre Zordon, qui lui sert de souffre-douleur régulièrement sur le terrain). Mais on commence à comprendre qu’elle connaît son job, aussi. Elle se met immédiatement en mouvement pour chercher ce que les flics ont pu rater, et qui pourrait détourner l’attention de ses clientes ; dans le même temps, elle décide de mobiliser la presse pour créer une image bien précise de parentes désespérées.
Chyłka a l’excellente idée de ne pas transformer son héroïne en enquêtrice, mais plutôt de lui faire adopter une posture d’avocate qui, en priorité, veille aux intérêts de ses clientes, quels que soient les faits. Et d’ailleurs peu lui importe la vérité, c’est explicitement souligné pendant une longue scène au cours de laquelle les Szlezyngier réagissent à son discours et ses méthodes un peu brutales. Il est évident que, vu le peu de motivation de la police, Joanna va devoir lancer une investigation de son côté (en s’appuyant entre autres sur Kormak, le génie de l’informatique qui travaille à Żelazny & McVay pour la découverte d’informations diverses), mais la série met l’emphase non sur les preuves matérielles, mais plutôt sur les informations abstraites ou les échanges verbaux. En cela, même quand elle flirte avec le genre policier, Chyłka reste fidèle à son genre juridique, et ça fait plaisir.
Au final, même si le démarrage de la série est extrêmement poussif et irritant, la série commence lentement à mettre en place des choses intéressantes. Et en fait, cette héroïne détestable, on finit par l’apprécier, parce qu’au moins on ne nous sort pas les violons à son propos (il y a une scène dans laquelle, brièvement, Angelika s’inquiète pour Joanna, semblant faire référence à des événements passés, mais la série comme l’héroïne la renvoie vite fait dans les cordes… j’espère que ça va durer). Elle est difficile à vivre, bon, c’est comme ça.
Et puis, la raison pour laquelle je me suis mise devant la série, quoi qu’il en soit, c’était tout simplement parce que j’aime bien ces arcs d’une saison, par opposition à une série plus procédurale (la nostalgie de Murder One, sans doute !). Cela permet un peu plus de choses que des affaires proprement bouclées en trois quarts d’heure, et maintenant que j’ai fini cet épisode introductif, je suis bien partie pour me procurer les suivants.
La lady d’il y a 5 ou 10 ans n’aurait peut-être pas eu cette patience, d’ailleurs. Je n’ai jamais ressenti de gêne à interrompre un « pilote » au bout de quelques minutes : la vie est courte, et la liste de séries à voir ne l’est pas. Si je ne ressens pas de potentiel, à quoi bon ? Mais ces dernières années, j’ai réalisé que, quand bien même je ne me l’interdis pas, ça se produit quand même de moins en moins souvent. Est-ce que je choisis mieux mes séries ? Ou le moment auquel je les regarde ? C’est possible. En tout cas, si je l’avais regardé à sa sortie, il est très probable que je n’aurais jamais fini le premier épisode de Chyłka, et découvert ses bons côtés. Cela ne me fait aucunement changer d’avis sur mes principes, mais ça encourage, certainement, à faire preuve de patience une autre fois.
Intéressant comme prémisses ! Ça donne un peu une vibe de Luther même s’il y avait plusieurs affaires sur une saison. En tous cas, si tu reviens avec une review de toute la saison, ça promet d’être intéressant.
J’ai tellement pas envie de regarder Luther, je te raconte pas à quel point je traine des pieds. Je sais même pas pourquoi, en plus. Elle est sur ma liste (…assez bas sur ma liste) depuis des plombes. Le pire c’est que j’ai dégoté une adaptation qui pourrait autoriser une review comparative, mais rien à faire, j’ai pas envie.
Pour la review de saison je promets rien ; quand j’écrivais « quand je voulais », ça ne me dérangeait pas d’écrire deux, trois, quatre fois par an sur les mêmes séries, de parler d’un épisode marquant ou d’un season finale, ou juste d’impressions globales vite fait quelques semaines après avoir vu le premier épisode. Mais maintenant que je suis « limitée » dans mon nombre de reviews par semaine et donc par mois, je préfère éviter de distribuer deux reviews à une même série la même année (parfois je m’autorise à y revenir l’année suivante, par exemple au moment où commence un nouvelle saison mettons). C’est pas forcément idéal pour offrir un suivi, mais ya tellement de séries qui sinon n’ont jamais leur chance, c’est le mieux que j’ai trouvé.
J’avais regardé Luther lorsqu’elle était sortie, j’ai vu les 2 ou 3 premières saisons, mais je sais que lorsque la dernière saison est sortie, je n’avais aucune envie de la regarder. Le temps pour cette série dans ma vie était passée. (D’ailleurs fun fact, mais Ruth Wilson est allée dans la même université que moi et elle est venue faire le discours de la cérémonie de remise de diplôme de mes ami.es du département d’Histoire en même temps que moi, la jalousie était là, j’avoue.)
Le genre de truc qui te fait reconsidérer tous tes choix de cursus XD
Je sature tellement sur les séries à base de flics. Je crois d’ailleurs que si Chyłka n’avait pas été avocate j’aurais même pas persisté.