Au fil des ans, j’ai eu l’occasion de parler de nombreuses séries carcérales, et en particulier de séries carcérales féminines, tout un sous-genre en soi. Citons entre autres (et n’hésitez pas à abuser des tags en bas d’article pour en savoir plus) des fictions comme Capadocia (au Mexique), Unité 9 (au Québec), Fangar (en Islande), Wentworth (en Australie), Vis A Vis (en Espagne) ainsi que son adaptation Prise au piège (en France), et évidemment Orange is the new black (aux USA), sûrement la plus connue internationalement.
Vous savez de quelle série carcérale féminine je n’avais pas encore pu parler ? Lockdown, une série sud-africaine cette fois, lancée en 2017 mais qui ne m’a été rendue accessible que grâce à ma période d’essai sur la plateforme Showmax en ce mois d’avril 2022. La patience, en téléphagie, est une vertu ; la voici aujourd’hui récompensée.
Notre série se déroule dans la prison (fictive) de Thabazimbi, une forteresse entourée d’une colline artificielle qui lui sert de rempart supplémentaire. Les conditions de vie y sont… ma foi, pour simplifier, disons qu’on n’est pas dans les jolies suites modernes d’Unité 9, ici. Les prisonnières y sont parquées à 42 par chambre (c’est le vrai chiffre), les locaux sont dans un état de délabrement avancé, et tout pue en permanence, par-dessus le marché. D’après ce que je lis sur le système carcéral sud-africain, cela n’a rien d’exceptionnel, mais quand même… Pour rajouter encore à l’ambiance, Thabazimbi est gardée par une équipe mixte, armée jusqu’aux dents (plusieurs plans du premier épisode mettent bien en évidence les mitraillettes utilisées par les gardes).
Malgré tout, Thabazimbi tourne plutôt pas mal, toutes proportions gardées, sous le contrôle de Beauty, la « Governor » de la prison (en France, on parlerait plutôt de Directrice), dont la démarche semble plutôt juste mais ferme. Deux gardes se distinguent également pendant cet épisode inaugural : Alphi, un homme qui se voit comme le bras droit de Beauty, et Sharon, qui parce qu’elle est constamment humiliée par ses collègues masculins, a tendance à reporter sa violence sur les prisonnières.
L’épisode initial de Lockdown s’ouvre sur un trope incontournable en matière de série carcérale, avec l’arrivée à Thabazimbi d’une nouvelle prisonnière qui est innocente. On nous le prouve d’ailleurs en nous montrant précisément les circonstances de son arrestation, puisqu’en réalité, la drogue qu’elle avait sur elle ce jour-là était celle de son petit-ami Zakes. Monde, c’est son nom (qui se prononce avec un « è » à la fin) a tout de l’oie blanche, et jusque là elle était une influenceuse célèbre pour son style de vie luxueux… inutile de préciser que le choc va être rude au moment de son arrivée derrière les barreaux.
C’est quelque chose qui ne cesse de me fasciner, cette façon dont absolument toutes les séries carcérales féminines que j’ai vues (il y a plusieurs exceptions chez les masculines ; Oz n’en est toutefois pas une) démarrent avec cette protagoniste-innocente-mais-emprisonnée-quand-même-qui-n’a-pas-sa-place-ici-mais-qui-nous-sert-de-cheval-de-Troie-narratif. On pourrait penser qu’il y aurait d’autres possibilités pour introduire le monde carcéral à des spectatrices, une fois de temps en temps au moins ? Mais non, à chaque fois, ça rate pas. À chaque fois, À CHAQUE FOIS, une innocente arrive, choquée de découvrir la réalité du monde carcéral, humiliée (toujours humiliée !) par les conditions d’arrivée et notamment la fouille au corps (ici montrée sans aucun fanservice, c’est appréciable, mais néanmoins un passage obligé), et plongée malgré elle dans la vie brutale que ces murs ont toujours connu. Il sera attendu d’elle de s’y conformer (et donc de perdre sa précieuse innocence) ou d’en périr (conserver son innocence est à ce prix).
Si l’innocence est souvent relative (ici par exemple, Monde avait effectivement consommé de la drogue ; elle ne savait juste pas qu’elle en transportait plusieurs kilos ; parfois les personnages d’autres séries ont tué quelqu’un mais par légitime défense… ce genre de choses), il n’en reste pas moins que la série attend des spectatrices que, par défaut, elles ne soient capables que d’entendre cette innocence pour comprendre les injustices qui découlent de l’emprisonnement. Vraiment, c’est fascinant la régularité avec laquelle ce biais est introduit en même temps que la série ; exactement de la même façon que l’enfermement dans des hôpitaux psychiatriques est dépeint comme une injustice uniquement pour les personnes considérées comme enfermées à tort. Pour à peu près les mêmes raisons, d’ailleurs : la privation d’humanité, dans le fond, yen a qui la méritent. Il s’agit juste de déterminer qui.
Pour ce premier épisode, qui dure un peu moins d’une demi-heure, Lockdown n’a pas exactement le temps de s’interroger sur la résonnance profonde de ses choix scénaristiques (si telle est seulement son intention). Il faut dire que, outre la mise en place de l’univers de Thabazimbi, et l’arrivée de Monde au sein de celui-ci, la série établit également plusieurs autres personnages. L’autre protagoniste majeure de la série est Mazet (ou MaZ), une prisonnière qui a moins de deux semaines à tirer avant la libération, et dont, sans avoir vu les épisodes suivants, je vous mets ma main à couper qu’elle n’est en réalité pas près de sortir. Il faut aussi mentionner Tyson, l’indubitable « méchante » assoiffée de violence ; ou Sue, la seule blanche de la cellule, qui a miraculeusement survécu jusqu’à présent alors qu’elle est raciste au dernier degré. Je ne vous cache pas que quand, inévitablement, quelqu’un va en avoir marre d’elle, ça ne fera pleurer personne, surtout que son racisme s’applique, évidemment, aux gardes noires aussi. Faudra pas se demander pourquoi les prisonnières n’étaient pas surveillées ce jour-là.
Donc voilà, tout cela se met gentiment en place (…enfin, « gentiment », je parle de rythme, certainement pas de ton), Lockdown faisant les présentations avec efficacité. Il y a une excellente énergie, aussi bien grâce à un montage incisif que parce que l’épisode privilégie autant que possible des scènes courtes, allant droit au but. Vu la durée de ses épisodes, c’est le bon choix, évidemment, mais ça joue vraiment en sa faveur parce que cela lui permet aussi de ménager quelques pauses intéressantes dans lesquelles loger des étincelles d’émotion (comme lorsque Mazet a un parloir avec sa fille) qui ne demandent qu’à s’enflammer par la suite.
D’une façon générale, je n’attends pas d’une série carcérale une formule ou même des intrigues révolutionnaires. On peut même dire qu’il y a peu de genres ou sous-genres télévisuels qui innovent aussi peu dans ces domaines : plutôt que les dynamiques à l’œuvre, ce sont les protagonistes (et leur backstory) qui forment l’essentiel de l’identité de ce genre de fiction. Mais à vrai dire, c’est une des raisons pour lesquelles j’aime les séries carcérales malgré tout : il s’agit de séries dramatiquement pures, intéressées par la nature humaine avant tout. Et je suis particulièrement ravie d’avoir enfin pu jeter un œil à celle-ci ! Sans abonnement à Showmax, je n’en verrai sans doute jamais la suite (surtout qu’elle compte à ce jour déjà 5 saisons, ça fait beaucoup à rattraper même avec des épisodes de moins d’une demi-heure), mais, comme toujours, c’est mieux que rien.
C’est intéressant ce que tu dis sur le fait que ce soit toujours une nouvelle innocente qui fasse débuter l’intrigue. Je me demande si c’est lié à ce manque d’humanité ou plutôt ce manque de dignité que l’on ne veut pas donner aux prisonnières sinon il faudrait critiquer le système de façon encore plus systématique et systémique ?
Hm, je ne l’avais pas vu comme ça. Je pensais que c’était un facteur d’identification qui était en jeu mais c’est peut-être pas individuel effectivement.
Et après avoir un peu réfléchi, je me dis même que les deux explications ne s’excluent pas mutuellement : on veut que les spectatrices s’identifient plutôt aux oies blanches parce que les spectatrices se considèrent comme innocentes elles-mêmes par défaut ET on ne veut surtout pas humaniser les prisonnières coupables parce que ça remet trop de choses en question. Cela étant, il y a des séries carcérales qui utilisent ce trope introductif, et qui sont TRES intéressées par la remise en cause systémique (c’est par exemple le cas pour Capadocia, par exemple), mais dans ce cas il reste toujours la capacité d’identification. Peut-être que différentes séries utilisent ce mécanisme pour des raisons (ou combinaisons de raisons) variables ?
C’est très vrai. Le fait que ce soit une fiction avec un besoin d’identification plutôt qu’un documentaire joue aussi (même si dans ce type de documentaires, il y a toujours une recherche d’identification pour les réalisateurs, c’est plus facile de faire accepter qu’il y a un besoin de changement si on ressent l’injustice de ce qu’il se passe peut-être (surtout lorsque de nombreuses personnes ont du mal à faire preuve d’empathie envers un autrui trop différent d’elleux)).
Le genre carcéral montre d’ailleurs bien les limites de cette obsession pour l’empathie et l’identification. Certaines séries s’en servent pour pousser leur public à une remise en question, mais d’autres jouent uniquement sur la corde sensible comme s’il fallait absolument comprendre quelqu’un pour faire respecter ses droits.
J’y repensais en reviewant Il Re pendant Séries Mania, une série dans le premier épisode de laquelle PERSONNE ne se dit : « bon, la prison, normalement, c’est de la privation de liberté, pas d’humanité, on devrait peut-être pas cautionner la torture dans une prison d’une démocratie moderne du 21e siècle ». Mais non. Effleure strictement personne. Et le fait que la série joue sur l’empathie avec le bourreau je veux dire le directeur de la prison n’est pas un hasard.
Ca m’a fait penser que c’est surprenant que BFM ne se lance pas dans des séries. Ptet que ça évolue après mais punaise, ce premier épisode était bien la gerbe quand même.