Il est des histoires qui semblent destinées à un book club de banlieue. Peut-être d’ailleurs qu’elles le sont.
Un danger à la fois intense et glamour, une héroïne (toujours une femme, toujours…) embarquée là à l’insu de son plein gré, des retournements de situation impossibles, des amies qui ne sont pas des amies et des ennemies qui sont des amies. On en parle en se resservant un verre de vin, sans vraiment avoir retenu la moitié de ce qui s’y est déroulé : le but n’a jamais été d’y trouver le plus grand roman de tous les temps, quelques frissons suffisent.
Ces livres-là, généralement on les trouve adaptés par Lifetime, quand la chaîne a épuisé son quota de téléfilms adaptés d’histoires vraies ; l’adrénalin est moindre que si l’on pensait que ça puisse nous arriver, mais présente quand même. Le glamour compense.
The Flight Attendant aurait pu devenir ce genre de fiction : « Fly High, the Cassandra Bowden Story ». Mais non. A la place, elle est devenue un thriller palpitant pour HBO Max, The Flight Attendant. Vous vous souvenez peut-être que, voilà bien des lunes, je vous avais parlé du premier épisode ; eh bien me voici aujourd’hui à vous parler de la totalité de la première saison. Une sorte de fiche de lecture, à l’occasion du lancement d’une nouvelle saison aujourd’hui sur la plateforme américaine.
Je n’ai pas lu la totalité du roman d’origine, mais j’ai lu plusieurs extraits qui me confortent dans l’idée que la série a réussi à élever le matériau de départ. Il y a, évidemment, un certain nombre de raisons à cela : c’est rarement un seul ingrédient qui suffit à faire sortir une série du lot, à plus forte raison parce que la télévision, média collaboratif par excellence, repose sur plusieurs savoir-faire détenus par de nombreuses employées de la production. Mais j’en retiens deux principaux : la réalisation d’une part, et Kaley Cuoco de l’autre.
Dans ma review du premier épisode de The Flight Attendant, j’avais déjà jeté des fleurs à l’actrice pour sa « reconversion », donc n’hésitez pas à y jeter un oeil pour éviter la redite (surtout que j’y établis aussi les grandes lignes de l’intrigue). Mais plus la série avance, plus il est évident que, d’une part, ce n’est pas une conversion mais une sublimation, et d’autre part, Cuoco a fait plus preuve de vulnérabilité et de prise de risque dans ce rôle que dans tous ses précédents réunis. La première étant sans nulle doute la rançon des secondes. Elle n’est, évidemment, « que » productrice exécutive sur la série, mais on la sent investie, et c’est vraiment un glow-up professionnel que je souhaite à toutes les actrices longtemps réduites à des rôles de bimbo blonde stupide.
Kaley Cuoco parvient toujours à marcher parfaitement sur la ligne de démarcation entre un thriller un peu absurde, et une exploration touchante de la fragilité de son héroïne. L’oscillation entre les deux aspects, qui servent deux maîtres différents (le frisson d’une grande aventure internationale d’une part, et le traumatisme introspectif d’autre part), aurait pu donner un résultat très irrégulier, mais l’interprétation permet au contraire de cimenter les deux. Lorsque Cassie Bowden souffre, on n’oublie jamais que le danger lui souffle dans la nuque ; quand Cassie Bowden mène sa propre investigation, ses émotions continuent d’être à fleur de peau. Le fait que chaque émotion soit jouée à 101% permet de maintenir un côté un peu campy qui sert de liant, mais sans jamais ruiner l’ambiance. D’autres actrices (j’ai des noms) sont incapables de cela, et s’adaptent simplement à l’humeur de la scène, mais Cuoco, trouvant ses ressources on ne sait pas trop où, parvient à maintenir cet étrange équilibre où que la série l’emmène.
Et puis, il y a la réalisation. Vous le savez sûrement, ce n’est pas mon domaine d’expertise (je suis plus fond que forme) et il me manque, même après toutes ces années, souvent les termes techniques pour exprimer pourquoi, ou même juste comment, une série fonctionne à ce niveau. Voici cependant ce qui saute aux yeux dans The Flight Attendant : une camera dynamique, un montage impeccable, un don pour le split screen en particulier pour multiplier les angles de vue d’une même scène, et un sens du timing impeccable. Le ton est parfois en dents de scie, mais la série garde un rythme constant pour ne jamais laisser retomber la tension des spectatrices. La série se repose énormément sur des changements abrupts d’éclairages et de couleurs pour commander l’attention même dans les temps plus calmes. Il faut également citer ce qui est à la fois un outil narratif et un gimmick : l’utilisation de la chambre d’hôtel luxueuse dans laquelle l’intrigue de la série a démarré comme un littéral mind palace qui permet à l’héroïne de jouer son dialogue intérieur avec un interlocuteur, ou juste d’exprimer visuellement une émotion (ce faisant, The Flight Attendant a trouvé une bonne méthode pour éviter les poncifs d’une voix-off sans en abandonner totalement les bénéfices).
Par moments, ces scènes semblent répétitives, mais leur répétition permet sur la longueur d’établir des choses intéressantes, en lien direct avec certaines des problématiques de la série les plus dramatiques.
C’est que, l’air de rien, The Flight Attendant utilise ses outils plein d’énergie (ainsi que des dialogues pince-sans-rire du plus bel effet) pour aborder des choses assez complexes.
Il y a, d’abord, l’alcoolisme de Cassie. La jeune femme est d’emblée présentée par la série comme une fêtarde, mais une fêtarde qui est la seule à ne pas réaliser que son comportement est inquiétant. Elle boit au travail, elle boit après le travail ; elle boit accompagnée, elle boit seule ; elle boit du champagne, elle boit de la vodka… bref, elle boit, n’importe quand, n’importe comment, n’importe quoi. Mais comme pour l’essentiel, c’est une expérience positive pour elle (parce qu’elle est ce qu’on surnomme une « alcoolique fonctionnelle »), ça n’a pas vraiment de répercussions avant la nuit à Bangkok.
Il y a aussi les souvenirs traumatiques qui, très rapidement, s’entremêlent. Le meurtre d’Alex Sokolov n’est pas la première fois que Cassandra a côtoyé la mort, même si son style de vie de party girl internationale pourrait laisser penser l’inverse. La série met, paradoxalement, bien plus de précautions (et de temps) à révéler l’étendue précise du traumatisme ainsi réveillé, mais ses effets hantent l’héroïne dés le premier épisode, et prennent rapidement des proportions impossibles à ignorer. Même avec la consommation d’alcool routinière de la jeune femme.
C’est ça, le truc, justement. Ces deux axes s’entremêlent autour du même tuteur narratif : Cassie Bowden a une capacité incroyable à mettre de côté ce qui la dérange. Mais enfouir ne signifie pas digérer ! L’évitement étant désormais impossible, avec la pluie de calamités qui lui tombe dessus, Cassie est donc forcée de se confronter à des démons qu’elle avait pourtant ignorés. Cette problématique sous-tend toutes les autres intrigues, en réalité. En fait, cette première saison de The Flight Attendant conditionne même, à plusieurs reprises, la capacité de l’héroïne à affronter aussi bien ses diverses interlocutrices (frère, meilleure amie, nouveau petit-ami potentiel, etc.) voire même les dangers qui se présentent après la mort d’Alex Sokolov. Une tueuse à gages sur sa piste ? Le FBI à ses trousses ? Une conspiration criminelle ? Quoi qu’il se produise dans l’intrigue principale, le premier réflexe de Cassie est d’essayer de faire son possible, exactement comme pour les choses plus « banales » qui lui sont arrivées jusqu’alors, pour ne pas avoir à considérer avec sérieux l’ampleur de ses problèmes. Toujours convaincue que sa dernière idée en date pour se sortir du pétrin va tout régler comme d’un coup de baguette magique, elle fait son possible pour ne pas avoir à se confronter aux choses difficiles. Eh bien cette fois, il n’en est plus question.
The Flight Attendant confronte son héroïne à la mort pour qu’elle s’interroge, enfin, après l’avoir si longtemps évité, sur sa vie. Quitte à lui forcer la main de la pire des façons : avec un traumatisme supplémentaire.
Et, dans l’ensemble, ça fonctionne. Même très bien ! Cela donne beaucoup de puissance à une série qui, sans cela, aurait pu n’être qu’un téléfilm de Lifetime sur une femme (toujours une femme, toujours… comme dans les thrillers de TFHein d’ailleurs) embarquée là à l’insu de son plein gré dans une situation invraisemblable. En prenant son intrigue à la légère, mais son héroïne toujours au sérieux, la série réussit là où d’autres ont lamentablement échoué par le passé… et pose même, intelligemment, les jalons pour une intrigue supplémentaire. Pas étonnant que la série, soi-disant conçue comme une limited series, revienne aujourd’hui avec une nouvelle saison. La question, en revanche, est : sera-t-elle capable de faire aussi bien ? Hâte de le vérifier par moi-même.
Pas sûre que j’irai la regarder, mais maintenant que j’ai accès à HBO Max grâce à ma coloc, je me laisserai peut-être tentée, tiens.
HBO Max est on fire. Si les thrillers (ou ce thriller en particulier, d’ailleurs) ne te tentent pas, ya tellement d’autres bonnes choses à y trouver, tu peux pas te tromper. Enfin tu peux mais faut forcer 😛