Fais comme si j’avais pris la mer

15 avril 2022 à 22:17

La review du jour, je le crains, ne va probablement pas être d’une époustouflante originalité : sur Our Flag Means Death, bien des choses ont été déjà dites (sans doute mieux) et il s’en dira d’autres encore. Je voulais simplement joindre ma voix au concert d’appels au renouvellement, à mon échelle.

Our Flag Means Death est l’une des rares séries sur des pirates à l’heure actuelle (j’en ai reviewé une autre voici quelques mois). Elle a la spécificité cependant d’être une comédie… sauf que ce à quoi je ne m’attendais pas, surtout pendant ses premières minutes qui m’ont à peine arraché un sourire, ce serait que je tomberais éperdument sous son charme pour toute la tendresse qu’elle met dans ses personnages. Et qui n’a pas besoin de tendresse, en ce moment ?

Our Flag Means Death commence pourtant sous des auspices assez génériques : y sont mises en scène de façon un peu moqueuse les mésaventures de Stede Bonnet, un véritable pirate (dont la page Wikipedia francophone est un désastre, je vous file donc le lien anglophone) ayant existé… mais qui n’a, à ce stade, de pirate que le titre.
D’origine noble, et de caractère couard, rien ne le destinait à une vie de ce genre… et d’ailleurs, il ne mène pas vraiment une existence de pirate. A la place, il est trop occupé à essayer de maintenir une ambiance bienveillante à bord de son navire (pourtant nommé le Revenge), à lire des histoires à ses pirates pour les endormir chaque soir, et à organiser des concours de confection de drapeaux. Il faudrait aussi évoquer ses accoutrements colorés et raffinés, son dégoût pour la violence, ou encore sa conviction que, s’il y a un problème, il faut en parler. Franchement pas le genre de type dont on a peur, et surtout pas l’armada espagnole ou la marine britannique !
Our Flag Means Death joue beaucoup, au départ, sur le ridicule du personnage, dont la personnalité évoque moins les légendes des mers que la nervosité de Hal dans Malcolm in the Middle. Il s’imagine vivant de grandes aventures et se ridiculise à chaque instant ; il se pisse dessus toutes les deux secondes ; et il passe un temps fou à dicter ses mémoires au seul autre homme à bord sachant lire et écrire (ce qui sert, au départ, à placer un peu de voix-off à des fins d’exposition). Ses propres subalternes le prennent un peu en pitié, quand il ne s’agit pas carrément d’envisager une mutinerie pour s’en débarrasser, vu que l’équipage est, lui, constitué de pirates n’ayant pas ses ambitions pacifiques. Personne n’a jamais vu quelqu’un comme comme lui sur les eaux, et ses tentatives pour se faire surnommer le Gentleman Pirate ne jamais sont prises au sérieux par quiconque.

Au départ, je pensais donc que c’était ce qu’Our Flag Means Death avait prévu de décliner, épisode après épisode, sur divers modes et dans plusieurs situations. Ce qui aurait été gentillet, mais sans plus. Inoffensif autant que son héros. Or, Our Flag Means Death n’est pas une série inoffensive. C’est une série qui met du temps à démarrer : au bas mot, il faut trois épisodes pour que l’exposition soit derrière elle ; les choses sérieuses commençant dans le quatrième.
En matière de télévision, je ne suis pas spécialement une spécialiste de la patience, je me lance donc quelques lauriers pour n’avoir pas laissé tomber trop vite. Je serais passée à côté de quelque chose !

C’est que, progressivement, l’intrigue pose la question sur la nature de Stede Bonnet. Non que quoi que ce soit à son propos soit un mystère, surtout vu qu’il est du genre à dire ce qu’il a sur le cœur à tout moment. En fait, c’est cette absence de mystère qui fait partie de l’interrogation : est-ce que ce que l’on sait de Stede Bonnet est tout ce qu’il y a à dire de lui ? Ne pourra-t-il jamais être quelqu’un d’autre que ce type que personne ne prend au sérieux ? Ses rêves de devenir un Gentleman Pirate resteront-ils à jamais une illusion grotesque ?
Pour poser ces questions, la série introduit lentement un nouveau personnage : Edward Teach, plus connu sur le flots comme étant Blackbeard, l’un des pirates les plus craints de son époque. Sauf que… Blackbeard se pose les mêmes questions que Stede, dans le fond : n’est-il rien d’autre que cette brute sanguinaire crainte dans tous les océans ? Il se lasse de ce mode de vie, et en tombant sur l’équipage du Revenge, réalise qu’une autre vie est possible. La question étant, tout comme Stede, de savoir si vouloir adopter ce nouveau style de vie peut ou non coller à sa nature intrinsèque…
Our Flag Means Death passe beaucoup de temps à explorer ce thème, à s’interroger sur l’imperméabilité de notre appartenance sociale, à se demander si on peut être quelqu’un d’autre que soi-même ; et si oui, comment. En tant que grande anxieuse, me reconnaissant beaucoup dans le personnage de Stede Bonnet et après plusieurs épisodes insistant sur sa faiblesse de caractère, j’étais convaincue d’emblée que sa couardise l’empêcherait à jamais d’évoluer vers ce qu’il appelait de tous ses vœux ; mais je voulais quand même le vérifier. Parce que, en se lançant dans cette exploration, Our Flag Means Death a opéré un changement graduel de ton, pour commencer à prendre les émotions de ses personnages toujours plus au sérieux. Le pantin ridicule, de par sa conscience d’être ridicule, et à cause de sa peur de le rester, était devenu trop attachant pour qu’on ne lui souhaite pas de s’en libérer. Mais est-ce seulement possible ?

Ce n’est peut-être pas la raison pour laquelle vous avez entendu parler de la série, toutefois. Our Flag Means Death gardait une autre dague dans sa manche, dégainée sans prévenir pour nous toucher en plein cœur : il s’agit aussi d’une série pleine de douceur. Notamment dans ses représentations.

Cette (première ? elle a intérêt à être la première) saison va lentement mettre en place, l’air de rien, pas moins de deux romances entre hommes, et une romance entre un homme et un personnage non-binaire (dont l’interprète est également non-binaire, au passage). C’est totalement inattendu dans une série sur des pirates… et pourtant, ça fonctionne parfaitement que d’utiliser cet univers. Sur les eaux, après tout, il n’y a pas de règles ni de lois, surtout pas pour des pirates ! La question est alors écartée de savoir ce qui est tabou ou non pour l’époque, à peu près tout étant instantanément accepté, et on peut se concentrer sur la naissance et l’éclosion des sentiments de chaque protagoniste.
Si vous me connaissez un peu, vous savez que la romance, ce n’est absolument pas mon truc. Eh bien… il faut croire que je me ramollis avec le temps, parce que, devant Our Flag Means Death, j’ai à mon corps défendant poussé des « awww » et des « hiiiii » comme si j’avais toujours 16 ans. A mon grand âge et avec mon cynisme naturel en la matière, je ne pensais pas m’extasier les yeux humides devant un liplock, mais bon, on en est là. Ce genre de débordements est la raison pour laquelle je regarde des séries sans témoin. Oui, voilà, on va dire que c’est la raison.
En outre, Our Flag Means Death prend même un peu de temps, sur la fin de sa saison, pour explorer la relation nuancée entre Stede Bonnet et son épouse Mary, qu’il a abandonnée pour prendre la mer. Il y a deux excellentes scènes qui soulignent combien, même si leur mariage n’a été voulu par aucun des deux, il repose sur une affection sincère.

Bref, la tendresse qui émane d’Our Flag Means Death est réelle, et je défie quiconque d’y opposer durablement la moindre résistance. En tout cas, moi, je n’ai pas pu lui résister, et j’en suis ravie. C’est le genre de comédie qui fait chaud au cœur, parce qu’elle embrasse pleinement la vulnérabilité de ses protagonistes, pourtant plongées dans le cas présent au sein d’un univers peu propice à cela. Et ne vous méprenez pas : on y rit tout de même beaucoup… mais avec les personnages plutôt qu’à leur dépens. Même en 2022, ça continue de faire une sacrée différence dans le panorama ambiant.
Faudrait voir à renouveler, maintenant.


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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

16 commentaires

  1. Tiadeets dit :

    Ah, je suis absolument ravie que tu aies regardé et apprécié la série ! Cette série est un petit bijou touchante de sincérité et il en faut. Il y a intérêt d’avoir une seconde saison et que tout ce petit monde ait une augmentation.

  2. Mila dit :

    Je viens de regarder l’épisode 1, et tu dis que la série met bien trois épisodes à démarrer, mais à la fin de l’épisode j’étais déjà en larmes parce que la scène de Pinocchio est toute tendre (j’ai le coeur super mou et les larmes super faciles, c’est vrai) donc j’ose même pas imaginer ce que va donner le reste de la saison, je vais finir déshydratée, ils auront quoi de faire voguer leur bateau sur mes larmes, haha.

    Bon, mais je suis contente, parce que je ne suis plus assez bien les articles que tu sors, mais quand je commence une série dont je pense que tu as sans doute parlé, je chercher ton article dessus, et sur les deux dernières séries, pas de chance, mais celle-là oui, yay ! (ce qui n’était évidemment pas une surprise vu que j’avais vu passer ton article et avais vu tes tweets militant pour une nouvelle saison MAIS NÉANMOINS)

  3. Mila dit :

    « Mortel » et « Parallèles » 🙂 Ce sont des séries françaises, mais surtout des teen-show fantastiques, du coup je m’étais dit qu’il y avait une chance que tu y aies jeté un oeil 🙂

    • ladyteruki dit :

      Damn it. J’ai failli écrire sur le premier épisode de Para\\èles, mais de la même production j’ai reviewé un autre teen show fantastique français, donc je pense que je mérite un demi-point pour l’effort !

      • Mila dit :

        Haha, il est tout accordé ! Et puis du coup je suis contente, j’étais pas à côté de la plaque, je me disais bien que c’était une série dont tu noterais au moins l’existence 😀

        • ladyteruki dit :

          D’une façon générale je vois passer beaucoup de choses (surtout sur les plateformes internationales principales). Après, les visionnages, et encore après, les reviews, c’est un autre problème T_T

    • Mila dit :

      (par contre, on sait jamais, si tu décides de jeter un oeil à Parallèles, y a des TWs à mettre dessus… je veux pas te bombarder avec, parce que tu m’as rien demandé, mais je peux les donner s’il y a besoin)

      • ladyteruki dit :

        Ah zut, ça dépend un peu desquels mais pour une série adolescente j’avoue que ça me fait craindre le pire.

        • Mila dit :

          Je sais pas trop comment juger, parce que j’ai toujours peur que les TWs soient des triggers en soi… et Mortel est pas non plus explicite, dans le sens où il montre pas les choses… Pardon, en vrai, j’ai l’impression de te stresser plus que nécessaire ><

          • ladyteruki dit :

            Non pas du tout, t’en fais pas. Si tu as le temps/envie de me dire les TW, je suis toute ouïe. Sinon la plupart du temps, juste savoir que le premier épisode peut être difficile ça m’aide déjà à le regarder au bon moment et dans les bonnes conditions donc tu as déjà fait beaucoup 🙂

  4. Mila dit :

    Alors mettons, que moi, je mettrais un TW « agressions sexuelles et viol » (pas pour l’épisode 1, pour la suite de la série, et c’est « compliqué » mais néanmoins mérité à mes yeux) + un TW (pas pour l’épisode 1 encore une fois) pour agression sexuelle sur enfant (l’acte lui-même n’est pas montré, mais il est visuellement suggéré et explicitement verbalisé) + un TW suicide (évoqué, souvent: un des deux personnages principaux a fait une tentative de suicide et a été interné un moment en HP pour ça + dépeint un peu métaphoriquement en rêves pour un autre personnage).

    La seule chose de tout ça qui est dans l’épisode 1, si je ne dis pas de bêtises, ce sont les mentions de suicide (et HP), le reste est dans la suite de la série.

  5. Mila dit :

    Oh no ! Pardon, je viens de relire la conversation, y a eu erreur à la racine de ma part: tous les TWs, c’est pour « Mortel », pas « Parallèles » ! J’ai interverti les titres. Parallèles est très safe.

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