Le compteur tourne

10 avril 2022 à 19:03

Le 1er avril, je me suis fait un cadeau : j’ai ouvert un compte sur Showmax, une plateforme d’origine sud-africaine (mais proposant également des séries d’autres pays africains !), afin de profiter de ses 14 jours d’essais gratuits. Cadeau gratuit, mais cadeau quand même. Comme l’an dernier avec mon essai de Shahid, l’idée était de faire le plein de pilotes en un temps record, ce qui tient un peu du marathon… et puis de tourner les talons avant d’être facturée pour un montant que je ne peux pas me permettre. Quatorze petites journées de félicité stressée : un mélange de bonheur téléphagique et d’impression de devoir rentabiliser chaque minute.
Conclusion ? Comment vous dire… Ces derniers temps, j’avais pris l’habitude de dire que, si j’avais les moyens de m’abonner à une plateforme de streaming, ce serait sûrement Shahid. Bon. Disons que maintenant, c’est 50/50 avec Showmax. Quelle nerd je fais quand je m’y mets.

Avant de commencer, précisions que ce que propose Showmax est une offre assez spécifique : la plateforme appartient au groupe MultiChoice, qui détient également le bouquet satellite panafricain DStv et les chaînes M-Net et KYKnet (et plusieurs chaînes payantes thématiques et/ou localisées).
A ce titre, les séries qu’on trouve sur Showmax sont donc des séries du groupe, et aucune autre : on ne mélange pas les torchons et les serviettes. On n’est pas ici dans la configuration Netflix, qui outre ses propres productions achète aussi des séries plus anciennes pour étoffer son catalogue. En outre ici, la distribution de séries non-africaines par Showmax est bloquée en Europe (comme, d’ailleurs, sur Shahid, j’avais oublié de le faire remarquer à l’époque) pour éviter tout problème de droits. On est donc uniquement dans de la série locale, ce qui évidemment conduit le catalogue à sembler un peu restreint, mais surtout implique que l’échantillon n’est pas représentatif de la totalité de la production sud-africaine.
Mais bon, il n’y a pas des masses d’autres options pour une Européenne comme moi à l’heure actuelle : depuis quelque chose comme deux ans, la télévision publique SABC jure ses grands dieux qu’elle va lancer sa propre plateforme de streaming d’un moment à l’autre, et vous m’excuserez si je ne retiens pas mon souffle connaissant l’oiseau. Quant au service du concurrent principal de MultiChoice, e.tv, il n’est tout simplement pas accessible depuis l’étranger (un numéro de téléphone sud-africain est impératif : en Afrique du Sud, le streaming, c’est principalement destiné aux portables).

Dans les semaines à venir, plusieurs reviews de mes découvertes africaines sur Showmax vont donc défiler dans ces colonnes, augmentant sensiblement le nombre de séries africaines que je vais traiter. C’était un peu l’intention, donc ça tombe bien ! Je vous prépare entre autre une review de saison complète (émoi ! excitation ! extase !), une multi-review d’une panoplie de pilotes (auxquelles évidemment le délai court de la période d’essai est plus que favorable), ainsi que quelques autres choses.

Trigger warning : mort d’un jeune enfant, violences de genre.

Pour le moment, j’ouvre le bal avec une review de Nqobile, un drama dont la première saison de 13 épisodes a été diffusée l’été dernier par 1Magic, la chaîne satellite du groupe s’adressant plus spécifiquement à un public jeune adulte. Nqobile est, comme un nombre immense de séries sud-africaines modernes, une série polyglotte (ici principalement l’isiZulu et l’anglais), mais, comme absolument toutes les séries de Showmax que j’ai vues, testées ou juste consultées vite à fait à ce jour, elle est sous-titrée en anglais.

La série porte le nom de son héroïne, Nqobile Nkosi, une femme dont la vie semble être en train de lentement dériver. Voilà en effet un an, elle était une épouse heureuse et une femme d’affaires épanouie ; sauf qu’une poignée de seconde d’inattention ont suffi pour que son petit garçon en bas âge, Khanya, se noie dans leur piscine. En deuil depuis lors, elle a arrêté de travailler (…quoique, on va y revenir) et reste à la maison toute la journée. Sauf que ce n’est pas que le deuil qui est responsable de son isolement aujourd’hui : son mari Simo, qui lui en veut pour l’accident, la prive de tout, y compris de se rendre au travail.
Or, Nqobile et Simo travaillent toutes les deux dans l’entreprise familiale Nkosi Shuttles, une plateforme similaire à Uber faisant de la concurrence au système traditionnel des taxis. Les parents de Simo, en particulier son père George Nkosi, apprécient beaucoup Nqobile tant sur un plan professionnel que personnel, et ignorent tout de la situation à la maison.

Lorsque la série commence, Nkosi Shuttles est à un moment-charnière de son histoire : alors que des investisseurs sont sur le point de prendre une décision financière capitale, l’un des véhicules de la flotte, qui conduisait des touristes français, est attaqué sur son trajet par des criminels qui dévalisent ses occupants. Cela se produit apparemment de façon assez courante sur les trajets, mais dans le climat actuel de contestation par les taxis (un milieu qui a une longue histoire de conflits violents), la sécurité des utilisatrices représente un problème considérable qu’il est impossible d’ignorer. Que ça tombe le jour-même d’une présentation à des investisseurs rend la chose d’autant plus compliquée…
Cette présentation, c’est en fait Nqobile qui l’a préparée : Simo l’a forcée à travailler dessus, mais souhaite s’en accaparer le mérite pour briller aux yeux de ses parents. Sauf que non seulement il arrive en retard, mais en plus n’ayant pas préparé le sujet lui-même, il est incapable de répondre aux inquiétudes des investisseurs. Fort heureusement, en écoutant la radio, Nqobile a eu une idée pour rassurer les investisseurs : elle défie l’interdiction de se présenter dans les bureaux de Nkosi Shuttles, et vient exposer l’idée à son mari. Sauf que George l’incite à présenter l’idée elle-même, et que les investisseurs, en plus de se montrer plus que satisfaits avec sa proposition, incitent fortement George à faire de Nqobile la nouvelle présidente de la compagnie. Vous imaginez sans peine la rage de Simo.

Pour un épisode d’un peu moins d’une demi-heure (je n’arrive pas à trouver si 1Magic propose de la publicité, mais si c’est le cas on doit effectivement atteindre les 30 minutes), Nqobile est particulièrement efficace dans son exposition. Il n’y a pas un bout de gras en trop dans cette entrée en matière ciselée.
Ce que je viens de lancer dans les grandes lignes, la série l’explique avec agilité, mais sans omettre un peu d’émotion et même certains détails succulents. En particulier, Simo semble tremper dans des affaires louches pour une marraine locale de la mafia, surnommée Black Widow. D’ailleurs c’est lui qui a orchestré l’attaque du véhicule dont tout le monde parle ce matin-là ! Il espérait en effet que les hommes d’affaires français à son bord transportent de grosses sommes qu’il pourrait ensuite reverser à Black Widow… et comme ça n’a pas été le cas, il vit sur le fil du rasoir. Les dynamiques entre Simo et ses parents, qui ont l’air de personnes charmantes, ou avec l’assistante qu’il est évidemment en train de se taper discrètement, sont aussi posées là, comme si c’était la chose la plus naturelle pour Nqobile d’empiler les intrigues alors qu’elle n’a qu’une demi-heure pour le faire.
L’épisode se conclut sur une scène terrible dans laquelle Nqobile est battue comme plâtre par Simo, dans l’intimité de leur salon le soir, là où personne ne peut voir (on ne sait pas trop si leur fille adolescente, Sammy, entend et/ou comprend ce qui se passe), parce que George a ouvertement admis qu’il trouvait la suggestion des investisseurs excellentes. Simo est le seul à vouloir faire payer à Nqobile la mort de leur fils, et elle est, on dirait bien, sur le point d’obtenir énormément d’ascendant sur lui. C’est assez satisfaisant. Vu qu’il commence sérieusement à énerver Black Widow aussi, j’ai bien l’impression qu’on se prépare à une série sur la prise ou reprise de pouvoir féminin.
D’autant que… l’idée de Nqobile qui a séduit les investisseurs pendant la présentation, vous savez ? Ce qui les a décidés à demander à ce qu’elle soit mise à la tête de la compagnie ? Nqobile a suggéré de lancer le tout premier service de transport pour les passagères femmes, conduites par des femmes, pour augmenter le sentiment de sécurité et l’image de Nkosi Shuttles. Il y a clairement un propos qui se prépare dans la série, en plus du fait que la jeune femme n’a pas l’air d’être animée par la vengeance, au moins pour le moment (c’est original de la part de la série, mais notez bien qu’après ce que j’ai vu, je ne lui en voudrais pas…).

Pour ma part, je suis ravie. Le mélange de série dramatique, d’intrigues corporate, et même un peu d’activités criminelles, est un solide cocktail. Je m’attendais à une série à la Penoza (ou l’un de ses multiples remakes) mais pas exactement, il y a pas mal de nuances supplémentaires. La féministe en moi est ravie par le tour que prend, sur le fond comme sur la forme, ce premier épisode. La réalisation de Nqobile est en effet plutôt bonne, surtout vu l’épisode introductif compact auquel on a droit ici, et l’interprétation tient la route.
C’est une excellente entrée en matière pour les séries sud-africaines dont nous allons, dans les semaines à venir, pas mal parler. Et ce sera toujours plus agréable que parler des élections…


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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

2 commentaires

  1. Tiadeets dit :

    Intéressante comme intrigue. J’adore vraiment lire tes reviews de séries de plateforme qui sortent de l’ordinaire par ici. 😀

    • ladyteruki dit :

      Merci ^_^ Ce ne seront jamais mes reviews les plus populaires (quoique de toute façon la popularité dans ces parages c’est pas trop le soucis essentiel du truc 😛 ), mais ça me fait plaisir quand j’arrive à rendre mes lectrices curieuses. Pour beaucoup de ces séries, je sais bien que vous ne les regarderez jamais, mais quand ça se produit je suis d’autant plus contente, et puis quand bien même ça n’est pas le cas, le fait de savoir qu’il y a des gens qui se demandent ce qui se passe là où on ne met pas souvent le nez, ça me fait chaud au cœur ; on n’est pas obligée de bouleverser nos habitudes télévisuelles pour faire preuve de curiosité.

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