Le casse du siècle

2 avril 2022 à 22:00

Le lancement du Ramadan en ce début de mois d’avril signifie qu’est officiellement ouverte la saison des mosalsalat. Vous n’êtes en effet pas sans savoir que le mois sacré du monde musulman est l’occasion pour les chaînes de vivre leur plus intense saison télévisuelle de l’année, les projets les plus ambitieux et onéreux trouvant leur place dans les grilles quasiment tous en même temps. Mais au pire, si ça vous avait échappé, vous pouvez jeter un œil à ce que j’ai pu en dire par le passé.
Il est encore un peu tôt pour dénicher les premiers épisodes de quelques unes des dizaines de séries qui apparaissent à partir de ce soir, mais pour marquer le coup, je me suis dit que ce n’était pas une mauvaise idée de parler de la nouvelle saison d’une série égyptienne dont nous avons déjà discuté ensemble. Je veux bien-sûr parler de Al Haramy !

J’avoue éprouver beaucoup d’affection envers Al Haramy ; la première saison (reviewée ici), sans être parfaite, mettait en place des protagonistes touchantes, et son sujet avait le mérite d’être original. Alors vous imaginez bien que j’espérais beaucoup de cette seconde salve d’épisodes !

Le principe d’origine de la série (apparemment tiré de faits réels… même si je n’en ai jamais trouvé une trace tangible) était de raconter l’histoire d’un jeune voleur coincé pendant plusieurs jours dans le logement d’une famille, situation d’autant plus compliquée à cause du confinement de la pandémie COVID. L’idée motrice était que ce huis clos forcé allait permettre au jeune homme de côtoyer une famille normale (chose qu’il n’avait jamais connue) tout en lui permettant, discrètement, d’apprendre à connaître leurs problèmes les plus personnels. A la fin de la saison précédente, on était revenues à un étrange status quo : Kamal, le jeune voleur qui (à son corps défendant) avait cambriolé une famille pendant le confinement, était sorti de la maison, désormais libre de ses mouvements. Il avait résolu certains problèmes de la maisonnée, en particulier celui qui concernait la grande-soeur de la famille, Farida ; ce service rendu lui avait d’ailleurs valu de ne pas être dénoncé à la police par le père, Tarek, à condition de foutre le camps et ne plus jamais approcher la famille. Le season finale s’était conclu alors que Kamal, grâce aux encouragements de Sally (la cadette dont il était tombé amoureux), s’inscrivait en école d’ingénierie.
La saison 2 commence donc alors que Kamal est maintenant hors de la maison, éloigné de la famille, et, par ailleurs, l’intrigue se déroule après que le confinement soit levé.
Comment peut-on ressusciter la formule qui a fonctionné pour la série quand tant de paramètres élémentaires ont changé ?

Ici les protagonistes de cette nouvelle saison sont résolument les mêmes, mais leurs circonstances ont dramatiquement changé, après une ellipse temporelle de quelques mois environs. Kamal survit tant bien que mal, essayant de rentrer dans le droit chemin en jonglant entre ses cours, son job de livreur (genre Uber) la nuit, et son couch surfing chez un ami, Essam. Essam trempe dans toutes sortes de combines pas très légales, mais malgré ses efforts pour essayer d’en faire profiter Kamal, le jeune homme insiste pour rester dans la légalité, même si ça signifie en baver.
De leur côté, la famille de Tarek, Rania, Farida, Sally et Nour a déménagé dans une nouvelle maison, loin de l’hôtel particulier de la première saison. Malgré les menaces récurrentes et sérieuses de le faire, Rania n’a pas demandé le divorce comme on aurait pu s’y attendre. Farida essaie de rebondir après le traumatisme des événements de la saison passée, Sally vient de subir une opération à cause de ses problèmes de santé, et Nour… Nour comme d’hab n’a rien à faire dans l’histoire, et d’ailleurs on la verra encore moins pendant cette saison. Le problème majeur de l’intrigue va arriver par le biais de Tarek, qui derrière son anxiété habituelle (que COVID n’aide pas à apaiser ; la série mentionnera la pandémie en début de saison mais, comme dans la vraie vie, fera mine de l’oublier par la suite), a aussi de vrais problèmes cette fois : il a tapé dans la caisse de son entreprise pour financer le déménagement de sa famille, et maintenant, il faut rendre l’argent. Sauf que son associé, Nashaat, s’est rendu compte que tous les documents officiels de la compagnie étaient à son nom et que, si le détournement était remarqué, les ennuis judiciaires seraient pour lui ; alors Nashaat a liquidé les comptes de la société et l’a ghosté proprement, espérant se barrer vite fait, avec femme et enfants, vers l’étranger.

Contrairement à ce que j’imaginais, Al Haramy ne nous prépare pas une intrigue corporate : Tarek commence à suer à grosses gouttes, et essaie de se lancer à la poursuite de Nashaat. Et pour ça, il a une idée lumineuse : embaucher Kamal pour récupérer à la fois l’argent que Nashaat a vidé dans les caisses, et les documents qui font de lui le gérant de l’entreprise.
Sur le papier ç’aurait pu fonctionner : forcer Tarek et Kamal à collaborer, autour d’actions illégales qui plus est (alors que Tarek était si prompt à se présenter comme un paragon de vertu dans la saison précédente !), aurait pu permettre un rapprochement inattendu entre les deux hommes. D’autant que Kamal est toujours, au fond de lui, désireux de faire partie de cette famille dont il a partagé l’intimité pendant quelques jours, lui qui n’a jamais connu la douceur d’un foyer aimant ; sans parler de son idylle avec Sally. C’était tiré par les cheveux, mais ç’aurait pu marcher. Manque de chance, le traitement de cette intrigue part dans tous les sens.

En définitive, Kamal ne va plus vraiment côtoyer cette famille qu’il aime tant. Même sa collaboration avec Tarek occupe, à tout casser, deux scènes de dialogues, puis plus rien jusqu’à la conclusion de l’intrigue. Sa romance avec Sally tombe sous le sens mais ne bouge pas d’un cil d’un point de vue dramatique ou émotionnel. Quant aux autres membres de la famille, il va échanger peut-être dix mots avec elles, maximum.
A la place on se retrouve dans cette aventure sans queue ni tête, qui semble dépasser tout le monde, alors que Sally est kidnappée par Nashaat et son beau-frère Amine, lequel a embauché des hommes armés pour se retrancher dans un ranch en marge de la ville. Tout d’un coup, Al Haramy est devenu un thriller d’action (et d’action un peu lente, d’autant que les épisodes de cette nouvelle saison sont un peu plus longs), au lieu de nous parler de ces personnages, de ce qui les lie et de ce qui les sépare. On parle de millions, de passeports, d’armes à feu…
Comment peut-on ressusciter la formule qui a fonctionné pour la série quand tant de paramètres élémentaires ont changé ? …Eh bien, on ne la ressuscite pas, et c’est bien ça le problème. Il y avait sûrement moyen de réussir à le faire, mais aucun choix narratif de cette saison 2 ne fait quoi que ce soit pour esquisser pareil mouvement. C’est quasiment une série différente.

J’ai remarqué au fil des années que, quand je regarde des séries de pays auxquels j’ai comparativement peu accès, j’ai tendance à essayer de voir le bon côté des choses. Parce que je n’ai pas autant de références auxquelles comparer ces séries, ou parce que je ne veux pas qu’une expérience tiède gâche la vision que j’ai (et que je donne) d’une contrée donnée, j’essaie de garder à l’esprit que tout n’est pas si mauvais, que même une série moyenne a des qualités, ou bien que, parfois, ce qu’on pourrait considérer comme un défaut a plus à voir avec des codes culturels ou popculturels différents. Sans aller jusqu’à faire passer des vessies pour des lanternes, je crois que cette relative indulgence est surtout, pour moi, une façon de ne pas porter de jugement trop sévère alors que j’ai des lacunes.
Mais là je vous avoue que j’ai beau me creuser, j’ai dû mal à trouver le bon côté des choses. Et quand les choses vont mal, lacunes ou pas, il faut le dire.
J’étais contente de pouvoir voir les épisodes de cette saison 2 de Al Haramy (ce qui n’était pas garanti), et me voici vraiment déçue. L’accident de parcours semble assez facile à expliquer en surface : la série est victime de son succès, et a été renouvelée alors qu’elle avait trouvé une fin à peu près naturelle (un peu abrupte à mon goût, mais assez logique dans les grandes lignes). Mais à bien y regarder, ça n’explique pas tout, et notamment pas d’avoir complètement écarté tout ce qui faisait son charme pendant la première saison. Pire encore, cette nouvelle mouture se clôt vraiment de la pire façon qui soit, alors qu’absolument aucun personnage n’a trouvé une vraie satisfaction, et moins encore Kamal qui n’est pas vraiment plus proche de la famille, et pour cause, celle-ci est trop occupée à imploser. C’est à mes yeux un ratage absolu, au-delà de tout accident industriel, et il n’y a rien à sauver.
Si une saison 3 il y a (et je crains que ce soit l’intention derrière cette fin de saison), vraiment, il faut se ressaisir. Pour tout dire, si une saison 3 se présente et qu’elle m’est accessible, même malgré mes difficultés à voir des séries égyptiennes aussi souvent que d’autres, je pense que j’y réfléchirai à deux fois avant de la regarder. On en est là.

Le mois de Ramadan est vraiment le moment idéal de tester la période d’essai gratuite de Shahid ; pas mal de mosalsalat y seront accessibles avec sous-titres anglais et/ou français (personnellement j’ai déjà utilisé ma période d’essai l’an dernier, mais j’espère pouvoir jeter d’une façon ou d’une autre un oeil au thriller Al Mishwar par exemple). Du coup, si jamais vous vous retrouvez sur la plateforme, profitez-en pour tenter la première saison d’Al Haramy, que je recommande toujours… Essayez juste d’oublier que je viens de vous dire qu’il en existait une seconde.


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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

6 commentaires

  1. Tiadeets dit :

    Ma coloc passe sa vie devant la télé en ce moment pour regarder les séries diffusées durant ce ramadan, je me demande lesquelles iel va aimer !

    • ladyteruki dit :

      Ah bah ça, la diffusion quotidienne de plusieurs dizaines de séries pendant un mois condensé, ça te flingue une vie sociale, c’est sur XD Verdict ? Qu’est-ce qu’iel a aimé ?

      • Tiadeets dit :

        Alors on n’a pas discuté de toute la liste, mais celui qui est revenu plusieurs fois dans la discussion est un sur ISIS, je n’en sais pas plus à part que c’était apparemment un succès et très bien fait. 😛

        • ladyteruki dit :

          Hmmm… je vais voir si je trouve de laquelle il s’agit. Au début du mois j’ai enfin pu me prendre une souscription à Shahid grâce à une promo spéciale Ramadan (mille hourras !), mais il y a tellement de séries que ça va peut-être prendre une minute à trouver XD Surtout que je n’avais pas réalisé combien de thrillers d’action existaient, on n’en entend JA-MAIS parler. Bon tu me diras, on entend pas parler des masses des autres genres non plus, mais généralement je lisais des trucs sur des drames sociaux, des comédies, des romances… je pensais pas que les thrillers étaient aussi populaires pendant le Ramadan.
          (c’est pas la dernière saison d’Al Hayba, dis-moi ?)

  2. ladyteruki dit :

    Pas de problème, d’ailleurs no pressure. C’est ma curiosité qui parle mais ya aucune nécessité ni même urgence !

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