Pour la review du jour, il va vous falloir faire preuve de beaucoup de flexibilité et d’ouverture d’esprit.
A plusieurs moments de cette review, vous allez froncer les sourcils, puis écarquiller les yeux, et même être tentée de fermer l’onglet de votre navigateur pour essayer d’oublier ce que vous venez de lire. C’est normal. Mais ne vous laissez pas intimider : je vous promets que si je parle de cette série aujourd’hui, ce n’est pas parce qu’elle est choquante ou déplacée, mais bien parce qu’elle m’a sincèrement émue. Aussi improbable que cela ait semblé quand je l’ai initialement approchée ! Je fais aujourd’hui ma mission d’essayer de vous expliquer pourquoi il faut aller au-delà de son résumé ou même de ses extravagance, pour l’apprécier.
Tsuma, Shougakusei ni Naru. requiert de faire plus que de suspendre votre incrédulité : il va être nécessaire de la mettre en apesanteur totale. Mais la récompense est à la hauteur de l’effort.
A l’origine, j’ai regardé le premier épisode de Tsuma, Shougakusei ni Naru. uniquement pour en dire du mal ; une sorte de « je ne m’attendais à rien et je suis quand même déçue » m’animait, et j’étais convaincue d’être sur le point de voir l’une des pires séries de ces dernières années. Il faut dire que son titre se traduit grosso-modo part « Si ma femme devenait une écolière », et que son synopsis ressemblait à ça :
Pire encore, l’une des plus populaires bases de données sur les séries asiatiques annonçait que la série répondait aux genres suivants :
L’inquiétude toute naturelle était donc que Tsuma, Shougakusei ni Naru. mette en scène une idylle entre un homme ayant (facilement) la quarantaine et une fillette prépubère, au prétexte qu’elle ne serait pas réellement une fillette et que ça tomberait sous le sens.
Je partageais cette inquiétude mais… en même temps, il est quand même plus que rare qu’une série japonaise, a fortiori proposée en primetime par l’une des chaînes japonaises des plus mainstream (TBS est extrêmement familiale), ose faire ce genre de choses. Qui plus est, au Japon, depuis des décennies (ah ça je vous prie de croire qu’on n’y a pas attendu la « cancel culture« ), quand un diffuseur reçoit ne serait-ce qu’une centaine de plaintes du public, il publie de plates excuses séance tenante, et retire le contenu offensant autant que faire se peut. J’avais du mal à imaginer qu’il se mettrait sciemment dans une position aussi controversée. Choquer pour faire de l’audience, ce n’est pas le modus operandi de la télévision nippone. Alors comment Tsuma, Shougakusei ni Naru. pouvait-elle espérer se tirer la tête haute de pareil bourbier ?
Bah, en étant vraiment, vraiment, vraiment tirée par les cheveux. Et dans une certaine mesure, en admettant parfaitement que, de l’extérieur, elle pourrait sembler problématique.
Alors reprenons.
C’est une belle journée d’été et une petite famille, les Niijima, s’est organisé une journée de jardinage sur le lopin de terre qu’elle possède en marge de la ville. Keisuke, le père ; Takae, la mère ; Mai, leur fille âgée de 10 ans, plantent des légumes ensemble, comme cela semble être une petite tradition familiale, certes à l’initiative de Takae, une cheffe de formation qui rêve d’un jour utiliser ses propres plantes dans le restaurant qu’elle espère ouvrir un jour. En quelques minutes il apparaît clairement que Takae est la force vive autour de laquelle cette famille gravite. Au retour, dans la voiture, toutes les trois ressentent la fatigue et la plénitude des journées heureuses bien remplies.
Hélas un camion rencontré au détour de la route vient bouleverser cette journée à jamais. Takae trouve la mort dans l’accident, et avec elle, toute la joie de vivre des Niijima.
Quand l’intrigue démarre vraiment, dix années ont passé depuis cet accident. Toutefois, pour Keisuke et Mai, le temps s’est figé. Ni l’un ni l’autre n’ont plus rien fait depuis, hors le strict minimum. Keisuke paie les factures, mais sans plus ; la maison n’est plus entretenue ; plus personne ne cuisine, ni même ne se fait du café. Plus rien n’a de sens, le père et la fille n’ont plus envie de rien. Si bien que Keisuke a été placardisé au boulot (il est affecté dans un service avec une patronne plus jeune que lui ; dans une culture où la hiérarchie est principalement basée sur l’ancienneté, c’est significatif), et Mai, qui a fini ses études au lycée, passe sa journée devant des jeux videos sur son ordinateur.
Ce n’est pas vraiment une vie ; les Niijima ont perdu leur force vive.
L’arrivée de cette petite fille de 10 ans qui sonne à leur porte un beau jour, et affirme être la réincarnation de Takae, est donc un bouleversement majeur à plusieurs égards. Marika, de son nom officiel, semble sortie de nulle part, mais c’est une boule d’énergie comme l’était Takae. D’emblée elle se positionne comme une épouse et une mère, au sens où elle botte des trains arrière et essaie de secouer tout le monde. Elle est navrée de découvrir comment vivent Keisuke et Mai ; elle entreprend de mettre de l’ordre, au propre comme au figuré, dans leurs vies.
Tsuma, Shougakusei ni Naru. passe en définitive assez peu de temps à douter de la véracité des dires de la petite fille. Passée la première phase de surprise et d’incompréhension, Keisuke et Mai accueillent à bras ouverts cette opportunité que cette réincarnation miraculeuse leur fournit. On se demande par moments, d’ailleurs, s’il n’y a pas un enfumage quelque part ; de la même façon que, dans le café du temple que la famille fréquente régulièrement, le patron se dit medium et prétend parler aux morts, on a le vague sentiment qu’il y a une entourloupe qui se prépare, une révélation que tout cela était au mieux un malentendu, au pire une arnaque de la plus basse espèce. Marika est-elle réellement la réincarnation de Takae ? Les choses qu’elle dit et qui semblent être la preuve de son identité, ne pourrait-elle pas les avoir lues ou entendues quelque part ? Si le doute plane, il est balayé une fois pour toutes par une scène dans laquelle la petite fille se présente, seule, sur le lopin de terre à la campagne, et sans aucun témoin, s’effrondre de chagrin en constatant que son cher jardin n’a pas non plus été entretenu pendant 10 ans. Cette douleur entre elle et elle seule nous indique que non, elle ne joue pas la comédie.
Une fois cet aspect clarifié, la série passe à la vitesse supérieure. Et Keisuke, en particulier, est inarrêtable. Du moment où il accepte la possibilité que sa femme se soit réincarnée, il reprend goût à la vie. Au travail, c’est un nouvel homme, ce que sa supérieure Konomi Moriya a remarqué immédiatement. Il amène chaque jour un bento qu’il dévore avec dévotion dans la salle de repos, le sourire aux lèvres, lui qui semblait toujours éteint. En réalité, ce bento, c’est sa femme qui le lui fait chaque matin : même si la petite fille n’a pas emménagé avec les Niijima, leur routine a plus ou moins repris. A un point tel que dés le premier épisode, Keisuke, sûr de lui, propose à Marika/Takae de convenir que, dans 8 ans, elle l’épousera à nouveau et que la famille sera reformée à jamais.
…Et je vous jure, ce n’est toujours pas glauque… même si effectivement, dans son tourbillon de félicité, Keisuke ne se rend pas compte que ça sent absolument le red flag pour plein de monde !
La série va légèrement jouer de cela, mais ce n’est pas son but. C’est plutôt une façon pour elle de communiquer qu’elle a parfaitement compris qu’il y avait une dimension potentiellement de mauvais goût à son sujet alambiqué. Mais, même si parfois on voit le visage de Takae quand Marika s’exprime, la série est bien claire : la femme et l’enfant ne sont pas parfaitement interchangeables. Et à aucun moment on ne va manger de ce pain-là.
En fait, Tsuma, Shougakusei ni Naru. met indirectement en lumière quelque chose d’omniprésent, mais sporadiquement dit à la télévision japonaise : la mère de famille, ce n’est pas vraiment une femme. C’est un rôle dans la famille : la mère des enfants… et aussi un peu celle du mari. Les qualités de Takae dont les Niijima ont le plus besoin sont celles d’une organisatrice et d’une motivatrice. L’énergie de Takae, ce n’est pas de l’amour d’un homme à une femme, c’est l’expression très spécifique d’un amour qui passe par la tenue, dans tous les sens du terme, du foyer. Et c’est, en grande partie, la façon dont Tsuma, Shougakusei ni Naru. évite l’écueil vers lequel elle semblait pourtant foncer tête baissée : à aucun moment l’amour que l’on porte à cette mère est un amour qui a quoi que ce soit de physique, et à peine plus d’amoureux. C’est une reconnaissance pour services rendus.
La série est pleinement consciente de cela. Sans aller nécessairement jusqu’à sous-entendre qu’il y a un problème systémique derrière cette thématique (vous connaissez la télévision japonaise : on y évite soigneusement de parler de grands ensembles), en tout cas Tsuma, Shougakusei ni Naru. pousse ses protagonistes à s’interroger sur le fait que la maisonnée s’est effondrée après le décès de Takae. Il n’y avait plus personne pour tenir la maison. Or, aussi vite revenue, aussi vite réembauchée pour les mêmes tâches.
Assez tôt, l’intrigue inclut des passages (même brefs) qui insistent sur cette dimension : Marika/Takae est frappée par le fait que, sans elle, rien ne tourne dans la vie de personne. C’est vrai de Keisuke et Mai, mais également d’un autre personnage, Yuri. Jeune frère de Takae, il se destinait à une carrière de mangaka quand la tragédie a frappé voilà dix ans, et lui aussi a cessé de vivre après l’accident. Il survit, reclus, dans son appartement ; et même si on nous précisera qu’il n’a jamais été très soigneux par nature, son logement est à peu près dans le même état que celui des Niijima. En outre, il a complètement arrêté de dessiner, et sa carrière pourtant en plein essor une décennie plus tôt s’est interrompue brutalement. Il est le membre de la famille le plus difficile à convaincre que Takae s’est réincarnée (dans une petite fille de 10 ans, qui plus est), mais même sans y croire, il commence rapidement à avoir des conversations avec elle similaires à celles qu’il avait avec sa grande sœur, de son vivant. Des conversations franches, où on se dit honnêtement les choses… et notamment le fait que, si tout le monde est devenu incompétent depuis son décès, c’est en grande partie parce que Takae prenait toute la place.
Il ne s’agit pas de blâmer Takae ici pour avoir été une épouse, une mère, une sœur parfaite. Il ne s’agit même pas de lui reprocher un trait de caractère en particulier. Il s’agit plutôt de dire : « jusqu’à ce que le problème de ton absence se présente, personne ne s’est une seule fois posé la question de l’autonomie de chacune. Tout reposait sur toi ; maintenant que tu reviens, c’est de nouveau le cas, et ça devrait être interrogé ». Le bonheur inouï de voir revenir Takae ne devrait pas éclipser les problématiques soulevées par sa disparition, et ce retour providentiel ne résout, en définitive, rien de profond.
C’est là qu’on comprend l’intention réelle de Tsuma, Shougakusei ni Naru. : ce n’est pas du tout une série sur la romance défiant la mort entre un homme et une femme. A aucun moment ça n’a été envisagé. C’est un exercice de pensée abstrait, qui a sélectionné des paramètres très précis pour réfléchir à un angle bien spécifique de cette relation.
Que laisse-t-on derrière soi lorsqu’on meurt ? On s’imagine, évidemment, laisser un vide. Eh bien, Takae a une chance unique de revenir pour découvrir l’ampleur de ce vide, et il faudra bien cette situation surnaturelle pour la laisser constater par elle-même les dégâts causés.
Sauf qu’elle ne revient pas sous la forme d’une adulte, qui permettrait de reprendre les choses là où elles ont été laissées sans interroger quoi que ce soit au passage : elle revient sous la forme d’une enfant, ce qui force tout le monde à réévaluer les limites de ce qu’on peut attendre et demander d’elle. Qu’une gamine de 10 ans prépare le bento de Keisuke tous les matins, avant d’aller à l’école, est-ce bien normal ? Non, alors pourquoi l’avoir attendu d’une adulte ? Est-ce que Keisuke ne peut vraiment pas se préparer son déjeuner lui-même ? Pourquoi pas ? Bon, ce n’est pas forcément aussi littéral que ça, mais c’est en tout cas ce qu’interroge la série. Qu’on fait, en définitive, Keisuke et Mai pour faire leur deuil et continuer à vivre ? Strictement rien. Et, paradoxalement, cette réincarnation est l’occasion de faire leur deuil, parce que non, même avec Takae de retour parmi les vivants, les choses ne peuvent pas redevenir comme avant.
C’est également vrai pour une autre protagoniste dont je n’ai pas encore parlé, et que la série nous révèle très graduellement comme étant partie prenante de ce qui se trame chez les Niijima. Chika Shiraishi est une mère célibataire qui commençait à négliger sa petite fille de 10 ans, au profit d’une aventure avec un homme dont elle attendait beaucoup… et cette petite fille, c’est Marika. Or, avec les souvenirs de Takae revenus à la surface, Marika a changé, et du coup la relation entre Marika et Chika aussi… là encore, les choses ne peuvent pas redevenir comme avant.
D’ailleurs c’est l’occasion pour moi de souligner que, si la distribution de la série ne démérite pas (Shinichi Tsutsumi, qui incarne Keisuke, donne vraiment tout ce qu’il a), il y a une MVP dans cette série qui répond au nom de Nono Maida. A ma grande surprise, l’interprète de Marika/Takae a réellement 10 ans, mais la maturité de son jeu m’avait laissé penser qu’elle était au moins trois ou quatre ans plus vieille. C’est un rôle compliqué et même un peu ingrat par moments, et pourtant c’est certainement la prestation la plus impressionnante de la série. C’est son premier rôle dans une série hebdomadaire (jusque là elle avait joué la version jeune de personnages de deux asadora), mais on croirait qu’elle a fait ça toute sa vie. En la voyant passer d’un registre à l’autre, en observant les détails de son jeu, en relevant l’intelligence avec laquelle elle interprète une adulte dans un corps de petite fille scène après scène, j’ai été frappée par sa sobriété. Je n’avais pas été impressionnée à ce point par une enfant actrice depuis Mana Ashida (les vraies savent). Pardon, je referme la parenthèse…
Au fil des épisodes, ce qui se dessine de Tsuma, Shougakusei ni Naru., c’est qu’on a pris toutes sortes de chemins de traverse un peu hallucinatoires pour finalement parler du lâcher-prise. Chaque personnage majeur de la série (et pas juste les Niijima) va devoir accepter de laisser partir quelque chose ; un idéal ou un être cher par exemple. Il faut accepter de perdre un peu pour continuer à aller de l’avant.
La dernière chose à laquelle je m’attendais, surtout avec ses airs de comédie paranormale (et son ton à l’avenant) pendant de nombreuses scènes, c’était que Tsuma, Shougakusei ni Naru. soit une série sur le deuil dabs tous les sens du terme. Et une série émouvante, par-dessus le marché, même quand elle se contorsionne pour créer les circonstances théoriquement parfaites mais en pratique absurdes propices à ses leçons de vie. J’avais lancé le premier épisode de cette série en m’attendant au pire ; je me suis trouvée à guetter les sous-titres de chaque nouvel épisode, semaine après semaine. Une saison de 10 épisodes plus tard, je sanglotais comme une pauvre chose devant sa conclusion ! Bon sang, la télévision japonaise n’en finira jamais de me surprendre. Don’t tell the others that you’re my favorite.
Et maintenant c’est à mon tour de la laisser partir…
Super intéressante comme série ! Ça me rappelle une autre série que je regarde en ce moment (mais qui prend du temps parce que je la regarde avec un ami et qu’on ne peut regarder que 3 épisodes à la fois toutes les 2 à 4 semaines donc on avance pas vite). C’est un drama thaï et je pense qu’elle serait très propice à une review parce que c’est l’un des épisodes pilotes les plus, et bien, épisodes pilotes que j’ai vu. Ça s’appelle 55:15 Never too late (les noms anglophones des dramas thaï, c’est jamais ça). C’est une série chorale avec 5 personnages principaux de 55 ans au début de la série qui se réveille un jour mystérieusement dans leur corps de 15 ans (mais le lendemain, pas de retour dans le passé ici). Je ne l’ai pas encore fini, mais il y a une super discussion sur ce que l’on fait de sa vie et ce que l’on peut faire lorsqu’on nous donne une seconde chance. J’ai commencé la série parce que la bande-annonce m’avait interpellé et ensuite à sa sortie parce que deux acteurs que j’aime beaucoup sont dedans, mais pour l’instant, c’est vraiment solide (et continue d’être une série chorale où les 5 personnages ont leur histoire qui est développée sans que l’un ne prenne plus de place que les autres (même si certains épisodes se concentrent plus sur l’un ou l’autre des personnages)). Bref, si l’envie t’en prend (et que ça vienne s’ajouter à ta très longue liste).
Hahaha, vile tentatrice 😛 Je n’avais pas entendu parler de cette série thai (les séries thai qui parviennent à mes oreilles spontanément sont souvent des séries BL…) mais c’est effectivement le genre de truc qui m’intéresse beaucoup, à te lire. Je note, je note. Et tu vois ça tombe bien parce que je n’avais plus rien à regarder en ce moment T_T
J’avais entendu parler de cette série au départ parce que Khaotung y joue un personnage gay donc le BL n’est jamais très loin, mais pour l’instant (on verra ensuite), mais si on parle de sentiments, ce n’est pas une série qu’on pourrait qualifier de romances (quand je te dis qu’elle pourrait te plaire). Et c’est de la GMMTV donc dispo sur Youtube. 😉
Je promets rien en termes de timeline mais tu as gagné, elle est sur la liste 😛