Mauvais appétit

13 mars 2022 à 23:18

Au fil du temps, je vous ai chanté les louanges de ce que je surnomme les « séries d’appétit » de nombreuses fois, et on pourrait croire que l’un de mes sous-genres de niche préférés ne puisse jamais se tromper. Eh bien, #IzakayaShinkansen, hashtag inclus, est là pour nous détromper ; je me devais d’en toucher deux mots.
Parce que oui, tout ce qui dîne n’est pas d’or ! La même formule qui peut apporter de petits trésors (vous en trouverez trois en suggestion, au bas de cette review ; mais ce n’est qu’un petit échantillon) peut aussi être passablement ennuyeuse. Pour ne pas dire paresseuse. Non mais, allez, si, je le dis : paresseuse.

Bon, la « série d’appétit », vous commencez à savoir comment ça marche. Mais pour résumer caricaturalement : on prend un personnage avec un style de vie spécifique, on lui donne faim pendant une moitié d’épisode, on le fait manger des mets délicieux pendant l’autre moitié, et on l’écoute penser tout du long.
Je vous jure que ya des fois où ça marche, et même de façon très intéressante, même si dit comme ça, je conçois que ça ne se sente pas trop !

Dans #IzakayaShinkansen, notre protagoniste est Susumu Takamiya, un commercial qui se déplace dans tout le pays pour, eh bien, euh, commercialer, c’est pas le sujet… même si là, clairement, ça sent beaucoup le calque de Kodoku no Gourmet. Bref Susumu prend le train à longueur de temps, et du coup ça signifie qu’il visite plein de recoins où il peut déguster des spécialités locales, généralement inaccessibles d’ordinaire là où il habite. Puis bon, même sans ça, si on va en Bretagne, bah on a envie de manger des crêpes au froment, mécaniquement.
Le truc c’est que Susumu fait généralement un aller-retour dans la journée, donc il a pris l’habitude d’acheter des victuailles sur place et de les déguster dans le train du retour. D’où le titre, qui se réfère à la fois à la restauration (Susumu transforme son simple siège de passager en table digne des meilleurs bistrots) et au transport (oui, ici on prend le train à grande vitesse, on n’est pas dans Tetsu Oota Michiko, 2 Man Kilo où on affectionne les petites lignes). Quant au hashtag, il reflète simplement le fait que Susumu livetweete son repas, du moins quand il pense à prendre une photo avant de manger.

Honnêtement… je pourrais m’arrêter là. Sur le fond, le premier épisode de #IzakayaShinkansen ne se creuse pas trop, chroniquant pendant sa première partie les courses alimentaires que Susumu fait dans une ville inconnue (et les rencontres fortuites qu’il fait au passage, forcément relatives à la nourriture) ; puis dans la seconde, quel plat ou ingrédient sortant de l’ordinaire il va déguster, et apprécier.
Je pourrais m’arrêter là… mais ce serait être trop charitable. Parce que je voudrais quand même pointer du doigt que, pour une raison qui m’échappe (d’autant que ce n’est pas si courant que ça pour une « série d’appétit »), #IzakayaShinkansen a décidé qu’elle était une comédie. Même pas une dramédie, vraiment une comédie.
Et euh, bon, ça s’entend, admettons, sur le papier je suis pas fondamentalement opposée à l’idée… c’est juste que, non. Vraiment non. Ca marche pas. C’est mal fait. Déjà… eh bien, déjà c’est pas drôle, en dépit de ce que la musique aimerait nous faire croire. Et ensuite ça ne colle tout simplement pas. La nourriture ou la boisson (oui, Susumu sait bien lever le coude, on va dire que c’est ma thématique du jour), ça n’est pas drôle, en tout cas pas de façon intrinsèque… et acheter à manger pas beaucoup plus. C’est léger, ça je veux bien, mais ça ne mérite pas un accompagnement sonore digne des sitcoms des années 50.
Et puis, l’humour, quitte à passer pour une snob, je trouve que ça implique d’écrire des choses humoristiques ; je suis vieux jeu comme ça. Or là, euh, bah c’est pas le cas, à part quand tout d’un coup Susumu réalise qu’il a, précisément, oublié de prendre un plat en photo avant de le manger, et que ses followers le lui font remarquer. Je suis désolée, ça ne compte pas comme de l’humour.
Alors soit. Toutes les séries ne peuvent pas susciter des émotions vertigineuses, qu’elles soient d’appétit ou non. Mais un petit effort n’aurait pas été superflu. Et par « petit effort », je veux dire n’importe lequel, vraiment.

Je ne peux pas m’empêcher de remarquer que, contrairement à la plupart des séries du genre, #IzakayaShinkansen est non seulement une série ne s’appuyant sur aucun manga (sauf erreur de ma part, des cases ont été publiées a posteriori, dans le cadre de la promotion de la série), mais aussi une série de TBS et MBS, deux chaînes qui co-produisent souvent des séries, mais rarement des « séries d’appétit ». Généralement, celles-ci, et en particulier les plus réussies, se trouvent sur TV Tokyo. Ce n’est probablement pas tout-à-fait un hasard, vu que la plupart de ces séries (comme la majorité des productions japonaises, surtout les moins onéreuses) sont développées en in-house.

Pourtant, il semblerait que cette première saison, qui s’est achevée en février, ait rencontré un peu de succès. Il y a plusieurs raisons à cela… mais aucune en lien avec la qualité de la série elle-même.
C’est surtout qu’elle symbolise des choses chères au cœur du public japonais : la nourriture (on parle d’une télévision où il y a de la bouffe à toute heure sur quasiment toutes les grandes chaînes, sous une forme ou une autre) ; la nourriture locale, qui plus est (ce qui fait appel aux préférences individuelles autant que ça touche les sensibilités régionales, souvent exacerbées même sans ça) ; le voyage (qui, en pleine pandémie, est encore très encadré et limité, et donc source de frustration ; or s’il y a bien quelque chose que le genre de la « série d’appétit » réussit, c’est satisfaire la frustration) ; et… une utilisation plutôt fine des mécanismes de promotion à la japonaise.
Car, oui, le compte Twitter de « Susumu » a vraiment livetweeté les repas présentés dans la série (et plus jamais après son arrêt). Et, comme dans un grand nombre de séries japonaises, les entrelacs avec la réalité ne sont pas arrêtés là : les magasins où la série est allée faire son marché ont mis en avant des photos de son passage, mettant en avant les produits régionaux dégustés dans la série (c’est un peu le même phénomène que pour Kodoku no Gourmet, qui présente de véritables restaurants). Echange de bons procédés, le site officiel de la série propose de son côté une liste exhaustive des endroits où Susumu a fait son shopping (comme c’est pratique), ainsi qu’une opportunité in-cro-ya-ble de s’acheter le set de table de voyage vu dans la série. Comme ça vous pouvez vous faire votre propre izakaya ferroviaire dans, euh, votre salon ! Il n’y a pas de petit profit.

…Je suis désolée, on n’aura pas le temps de revenir sur la longue et délicieuse histoire du product placement au Japon, mais oui, vous l’aurez compris, c’est en grande partie grâce à lui qu’on s’est farci #IzakayaShinkansen cet hiver. D’ordinaire j’apprécie une bonne petite synergie commerciale des familles, mais là, vu la qualité du résultat et l’effet de comparaison avec d’autres fictions bien plus réussies dans ce domaine, ça me donne le sentiment que la série a sali deux de mes marottes télévisuelles sans aucune provocation de ma part. Et je le prends un peu personnellement, pour ne rien vous cacher.


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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

2 commentaires

  1. Tiadeets dit :

    Comme quoi tout n’est pas toujours bon à prendre. C’est dommage parce qu’il y a un tel potentiel dans l’idée de parler de la relation nourriture et réseaux sociaux. J’ai créé mon compte instagram il y a de ça maintenant pas mal d’années parce que je voulais partager mes photos de nourriture et je n’avais personne à qui les envoyer que ça n’embêtait pas et instagram était quasi fait pour ça. Je cuisinais pour moi toute seule pour la première fois et j’étais fier de les partager avec le monde, même si le monde consistait en 3 personnes.

    • ladyteruki dit :

      Il y a tellement de séries d’appétit que peut-être une série (qui m’aurait échappé jusque là… mais tu vas découvrir aujourd’hui encore que le champ des possibles continue de se réduire !) l’a mieux traité. Compte sur moi pour persister à en trouver une !

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