Le dernier concert

6 mars 2022 à 23:17

Harry et Monica ont connu le succès sur la scène. Leur groupe, Harmonica, se produisait devant une foule immense, dans de nombreux pays d’Europe. Tout le monde semblait connaître et aimer leur répertoire. Et puis, un jour, tout s’est arrêté. Et plus rien n’a jamais été pareil.
C’était il y a 16 ans. Avec le temps, leur relation s’est effritée. Sans la musique pour les souder, que leur reste-t-il ? Alors, pendant une session avec leur thérapeute de couple, Monica pose un ultimatum à Harry : soit reprendre la route pour une nouvelle tournée (c’est leur frère et ami Tomas qui en a eu l’idée), soit divorcer.

Je sais qu’il y a peu, je me plaignais d’avoir l’impression de saturer quant aux séries sur des groupes musicaux. Quitte à passer pour une hypocrite, je n’ai pas du tout eu ce sentiment devant Harmonica, une mini-série suédoise qui (comme de plus en plus de très bonnes séries scandinaves) nous arrive de la plateforme Viaplay. Il y a quelque chose de foncièrement intime dans son sujet mais aussi son traitement, qui m’ont immédiatement accrochée. Alors si vous le voulez bien, parlons donc de son unique saison.

Harmonica se déroule donc une décennie et demie après le succès du groupe éponyme ; toutefois ce n’est pas la réussite publique ou critique qui intéresse Harry et Monica. Il est très clair dés le départ, à cause de l’ultimatum notamment, qu’il s’agit d’essayer de retrouver quelque chose. Harry et Monica ont perdu le feu sacré, et si le couple ne fait pas quelque chose la menace plane d’une détérioration du peu qu’il leur reste.
La série fait le choix de suivre ces quelques semaines dans la vie du couple et du groupe, comme une photographie d’un moment. Un moment charnière, mais un moment qui ne règle pas tout, parce que la vie est trop compliquée pour mettre tout en ordre en aussi peu de temps. D’autant qu’on va progressivement comprendre l’ampleur du bagage que traine Harmonica de ville en ville. Petit-à-petit, Harmonica dévoile les vraies raisons pour lesquelles c’est la tournée de la dernière chance pour Harry et Monica ; ce n’est pas que leur amour est devenu routinier et las, comme on pourrait le penser. Le temps n’a pas été la seule cause de la dégradation de leur relation. Ce qui s’est passé voilà 16 ans figé leur relation dans le temps, les a pétrifiées individuellement et donc ensemble. Ce n’est pas exactement une découverte surprenante (des indices, dés le premier épisode, le laissent entendre par petites touches), mais la révélation lente de l’ampleur du désastre fait son petit effet.

Bricolée par Tomas, le manager de longue date du groupe et frère de Monica, la tournée a tout du fiasco. Il a, en outre, terriblement besoin de l’argent de cette tournée (même s’il n’en a parlé à personne), et donc besoin qu’entre Harry et Monica, les choses fonctionnent. Qu’elles soient rentables. Ce qui est évidemment à l’opposé des raisons pour lesquelles le couple s’est engagé dans ce périple. Loin des grandes salles, cette tournée se déroule dans des bars, à des événements mineurs, et à bord d’un ridicule petit bus qui n’a plus rien à voir avec le faste des grands jours. Cela n’ajoute qu’à l’impression que tous ces efforts pour remettre Harmonica sur pied sont vains. En outre, les autres membres du groupe reviennent également avec leurs propres problèmes, en particulier Tobbe et Lisa dont le couple, lui, s’est séparé il y a 16 ans, et qui ne peuvent plus être dans la même pièce sans se sauter à la gorge.
Le talent de Harmonica, c’est de trouver un équilibre entre toutes ces forces, et raconter l’histoire de Harry et Monica alors qu’elles embarquent dans ce qui est la dernière étape avant la destruction. Les efforts de Monica pour essayer de redonner du souffle à son couple sont touchants ; Harry, à côté de ça, semble totalement submergé, d’autant qu’il lutte également contre une addiction à l’alcool (pas facile quand on joue dans des bars !) et un père lui-même alcoolique et extrêmement critique.

Tout cela fonctionne d’autant plus qu’Harmonica a la très bonne, non pardon : l’excellentissime idée d’insérer de très nombreux flashbacks tout au long de ses épisodes. Parfois ils disent juste « voici ce qui s’est passé », parfois il s’agit simplement d’extraits de clips musicaux du groupe, et donnent aux spectatrices les clés de certaines dynamiques présentes. Mais parfois ils sont aussi, tout simplement, des instants de bonheur, capturés, on imagine, par la camera de quelqu’un filmant des célébrités connues pour leur amour sur et hors de la scène. Des images de concerts dans les plus grandes arènes d’Europe, de coulisses exubérantes et chaleureuses, d’une vie excitante et heureuse ; bref d’une autre vie, surtout si on la compare à cette nouvelle tournée.

Ces images d’archives imaginaires donnent le ton non seulement de ce qui se trame entre les personnages, mais aussi de l’esthétique de la série. Bien que cette calamiteuse tournée de la dernière chance se déroule de nos jours, les flashbacks donnent l’impression d’une carrière menée dans les années 70. Cela renvoie aussi au style de vie des groupes mythiques de cette décennie, comme un air de Rolling Stones ou d’Abba. Mais cet effet de style donne aussi l’impression que bien plus que 16 années séparent ces jours heureux du présent (qui lui-même, il faut le reconnaître, affectionne un style bohème légèrement vieillot). Le fossé n’en paraît que plus grand, l’insouciance plus lointaine, et le couple… plus distant.
Que peut-on sauver lorsque tant de choses se sont produites depuis les derniers moments de passion et de joie ?

Josephine Bornebusch est l’air de rien en train de s’imposer comme l’une des créatrices de télévision les plus intéressantes du moment.
Vous vous souvenez certainement (sinon, acquiescez en ouvrant discrètement le lien adéquat !) que je chantais l’an dernier les louanges de la première saison d’Älska Mig, dont elle était à l’origine, en plus de s’atteler à la réalisation et d’en interpréter l’héroïne principale. Eh bien c’est à nouveau le cas pour Harmonica, qui, malgré un sujet différent, parvient à toucher une corde sensible similaire. Pour Harmonica, elle fait équipe avec l’acteur Jonas Karlsson, qui incarne Harry et a co-écrit la série (et les chansons !) avec elle. On retrouve aussi au générique l’actrice Nina Zanjani qui incarnait aussi une amie proche dans Älska Mig. Bornebusch semble progressivement se constituer, au fil des projets pour Viaplay (elle a aussi monté un film, Orca, sur le confinement), une petite troupe dédiée à raconter des histoires humaines pleines d’amour et de nuance. Et elle semble avoir trouvé la plateforme idéale pour développer et nourrir ce ton bien particulier (assez éloigné de Welcome to Sweden, dont elle était l’une des productrices exécutives), ce qui ravit tout le monde.

Intéressée par l’intime, mais pas par le mélodrame, elle se penche dans Harmonica vers une histoire d’amour comme on en raconte encore assez peu dans les séries. Ou disons que quand on le fait, c’est souvent en arrière-plan d’autre chose. Harry et Monica s’aiment, et ça ne fait aucun doute d’ailleurs. On passe très peu de temps à s’interroger sur cela, comme si c’était la dernière chose dont on puisse douter. Mais c’est un amour qui vieillit et on raconte peu les histoires d’amour qui vieillissent, se heurtent aux années et ce qu’elles entraînent de blessures, de ressentiment, d’obstacles naturels. Un amour qui vieillit, ce n’est d’ailleurs pas qu’un amour entre gens qui vieillissent (c’est d’ailleurs assez peu le sujet ici), c’est surtout un amour qui s’use au fil des aléas de la vie.
Et parce qu’on les raconte encore assez peu, ces histoires-là, les repères n’existent pas, ce qui est précisément le problème que rencontre le couple : le sentiment de vouloir, mais de ne pas savoir comment. Harry et Monica se débattent avec des choses pour lesquelles rien ne les avait préparées ; et en un sens, la célébrité a très peu à voir avec tout cela, même si elle représente une version du bonheur encore plus intense.

Au fil de ses 5 épisodes, la mini-série explore des contradictions et des hésitations rares. A la fin, rien n’est totalement résolu (sauf peut-être pour Tomas), mais ce n’est pas ce qui compte. Et puis après tout, il y a une vie après le dernier concert. Il faut juste déterminer à quoi on veut la faire ressembler.


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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

2 commentaires

  1. Tiadeets dit :

    De bien belles réflexions. C’est vrai que ce genre d’histoires d’amour est peu montré à la télévision. C’est bien que ça existe et effectivement le grand écart est grand avec Welcome to Sweden !

    • ladyteruki dit :

      Pour sa défense, Welcome to Sweden n’était pas un vehicle comme ces séries plus récentes sur Viaplay peuvent l’être. Ce sera intéressant de comparer avec la série Bad Sisters qu’elle co-prépare… cette fois pour Apple TV+.

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