Lancée cette semaine par la chaîne néo-zélandaise Prime (rien à voir avec le service Amazon du même nom), la comédie Raised by Refugees combine des ingrédients plutôt classiques avec d’autres encore très rares à la télévision, en revenant sur l’histoire personnelle de Pax Assadi, le créateur de la série.
Tout commence comme le pire cauchemar d’un ado : déménager et devoir s’adapter à un monde nouveau, qui semble de prime abord hostile. La rentrée scolaire est difficile, entre autres parce que Pax ne connaît personne, mais aussi parce que, étant le fils aîné d’une famille immigrée multi-culturelle (son père est d’origine iranienne et sa mère pakistanaise, mais lui et son jeune frère sont nés et ont grandi en Nouvelle-Zélande), il se sent différent.
Raised by Refugees démarre un beau matin de septembre, alors que Safia, la mère, essaie de motiver ses troupes à l’idée de commencer une nouvelle vie dans leur nouvelle ville. Afnan, le père, s’apprête à commencer un nouveau travail en tant que commercial dans un petit magasin d’électro-ménager ; Pax fait son entrée dans un collège où il ne connaît personne ; et Mahan a déjà pensé à une combine pour se distinguer à un concours oratoire (…en apprenant par cœur un discours de Martin Luther King, parce que, je cite « un enfant de 8 ans ne sait pas ce qu’est le plagiat »). Quant au grand-père, qui vit avec eux, son but dans la vie est de ne surtout pas se la compliquer, ce jour-là pas plus qu’un autre !
Pour Pax, tout semble compliqué. Entre les changements de son corps (dont, hélas, sa voix qui mue), l’arrivée dans une nouvelle école, et le fait qu’il n’a pas d’amies, c’est déjà pas facile d’avoir de l’assurance. Mais il se sent aussi en porte-à-faux dans la culture de ses parents, dont il a un peu honte (il préfère le rap aux musiques plus traditionnelles) ou qu’il ne comprend pas (même si sa mère le force à parler en pakistanais avec sa famille au téléphone). Une autre catastrophe va lui tomber sur la tête quand il va, dans ce premier épisode, tomber amoureux de Sarah, la plus jolie fille de l’école, puis échouer aux essais pour rejoindre l’équipe de basket alors qu’il a marqué plusieurs paniers (mais que son prof de sport, un peu raciste, n’a même pas remarqué qu’il était sur le terrain et lui recommande plutôt de rejoindre l’équipe de… croquet). Le premier épisode a donc fort à faire en établissant tout cela, mais en permettant aussi à Pax, l’air de rien, de se faire une bande de copines dés son premier jour, essentiellement constituée des autres élèves racisées de sa classe.
Pour le moment, Raised by Refugees semble plutôt parler de ce que c’est que d’être Raised by Immigrants (la nuance sera peut-être abordée plus tard ?), à un moment charnière comme celui de l’adolescence. La perspective des parents n’est cependant pas absente, bien qu’évidemment reléguée au second plan : Afnan fait des efforts désespérés pour s’intégrer à son nouvel emploi, Safia est stressée à l’idée de recevoir la famille iranienne de son mari à dîner parce qu’elle s’en sent exclue. Clairement, les défis ne manquent pas de leur côté. Safia est particulièrement touchante, parce qu’il apparaît qu’elle a, en quelque sorte, changé de culture deux fois : d’abord en laissant ses proches derrière elle au Pakistan pour épouser un Iranien (dont elle a appris la langue, et dont elle a aussi appris à cuisiner les plats), et puis, en partant avec Afnan pour la Nouvelle-Zélande.
Mais le moment le plus important de cet épisode inaugural de Raised by Refugees est atteint à la fin, quand on réalise que l’intrigue a en fait démarré un triste matin de septembre : le 11 septembre 2001. Dans le salon de cette petite famille qui comme tant d’autres ce jour-là regarde les informations, on sent immédiatement que quelque chose a changé. On va découvrir dans les épisodes suivants à quel point…
Historiquement, la comédie en particulier anglophone a toujours été un genre télévisuel propice pour que les voix de diverses minorités se fassent entendre ; son coût modeste en est l’une des causes essentielles (ainsi que la protection implicitement fournie par l’humour), qui a longtemps permis aux exécutifs de donner un feu vert parce que le risque semblait minime. C’est presque toujours là qu’ont pu s’exprimer en premier et/ou de façon plus détaillée (par exemple par rapport au soap, également précurseur dans plusieurs domaines) les propos féministes, les discours sur les problématiques rencontrées par les personnes LGBT+, et les récits retraçant les expériences de divers groupes racisés. On peut même parler d’un sous-courant naissant, qui concerne des comédies à vocation (semi-)biographique, avec des séries comme Fresh Off the Boat, The Real O’Neals, Never Have I Ever, In the Long Run, Young Rock ou The Family Law. La plupart de ces séries doivent tout à Everybody Hates Chris, dont j’ai bien l’impression qu’elle a ouvert la voie (mais je vous écoute si vous avez des contre-exemples).
Bien qu’étant en règle générale parfaitement regardables par un public jeune qui s’y identifierait un peu, ces séries sont, avant tout, des séries d’adultes. Pour commencer, elles sont créées autour d’adultes qui ont atteint un statut suffisant pour qu’on construise une série autour de leur enfance : Chris Rock pour Everybody Hates Chris, Dan Savage pour The Real O’Neals, Eddie Huang pour Fresh Off the Boat, Mindy Kaling pour Never Have I Ever, Idris Elba pour In the Long Run, Dwayne « The Rock » Johnson pour Young Rock, Benjamin Law pour The Family Law… Ce n’est d’ailleurs pas pour rien qu’une voix-off accompagne souvent ces séries, pour apporter un regard plein de recul sur les faits se déroulant dans l’enfance de leur héroïne. Mais surtout elles s’adressent en priorité à un public également adulte, qui partagerait avec leur protagoniste une histoire commune ; une expérience à la fois d’une époque (la plupart de ces comédies sont aussi des séries historiques ; et, oui, faites-vous à l’idée que 2001, ça en fait une série historique !) et d’une expérience particulière.
C’est un phénomène plutôt récent, quand pendant longtemps les histoires d’enfance qu’on a pu raconter ont été celles d’enfants « dans la norme » ayant grandi pour devenir des adultes dans une certaine norme également (même si parfois relative). Ces séries récentes disent que non seulement ces minorités sont là maintenant, mais qu’elles ont toujours été là. Et sous couvert d’humour, décrivent des expériences formatives longtemps ignorées par la fiction, comme pour dire : « voilà non seulement qui nous sommes, mais aussi ce qui a forgé qui nous sommes. Nos enfances ne sont pas que pure nostalgie ». Pour beaucoup de ces communautés, je dirais c’est même un acte plutôt radical, tant certains stéréotypes poussent à considérer par défaut les mineurs comme des adultes, avec le même degré de « dangerosité » supposément inhérente.
La notion de représentation de minorités dans la comédie n’est donc plus uniquement tournée vers la narration d’un présent (comme par exemple, disons, Black-ish), ou même d’une aspiration pour le futur (à l’instar de Diary of a Future President peut le faire), mais d’un passé. C’est assez nouveau.
Ce qui signifie que tout, ou presque, reste à inventer dans ce coin de comédie anglophone.
Parce que la parole a commencé à se libérer avec les années, on sait désormais un peu mieux combien les évènements du 11 Septembre ont été difficiles pour les communautés musulmanes et/ou immigrées, mais cette parole est rarement entendue dans les médias grand public. Très peu de séries se sont saisies de l’occasion de décrire de l’islamophobie telle qu’elle a été vécue par des millions de personnes ces vingt dernières années (la comédie canadienne Little Mosque on the Prairie étant l’une des plus notables exceptions, mais parlant ostensiblement de l’expérience d’adultes). Raised by Refugees répond à toutes sortes de questions qui commencent à peine à être posées dans la fiction : comment grandit-on quand on est un adolescent racisé ? Comment grandit-on dans une famille multi-culturelle ? Comment grandit-on dans un climat profondément hostile à votre existence ?
Raised by Refugees propose derrière des apparences conventionnelles, une série authentiquement unique (à plus forte raison vu que son créateur, le comédien Pax Assadi, joue dans la série le rôle de son propre père, Afnan). Sur la forme, il n’y a rien d’extraordinaire ici, mais sur le fond… Raised by Refugees a tout à inventer, et elle le fait.
Ca me ravit que ce genre de séries soient maintenant produites. Je repense à la sortie de Turning Red il y a quelques mois (ou Everything Everywhere All at Once (qui est vraiment très bien d’ailleurs si tu as l’occasion)) qui présentent ces points de vue au cinéma et qui ont beaucoup fait parler les gens des diasporas asiatiques que je suis et ça rend vraiment joie.
Il n’est que grand temps, franchement.
(je suis pas très ciné, et j’ai pas encore regardé de film inédit en 2022, mais j’ai entendu BEAUCOUP de bien de ces deux-là)