Les bonnes questions

30 janvier 2022 à 19:14

Une jeune femme se réveille dans une chambre d’hôtel. Elle n’est clairement pas dans son état normal, et il lui faut une longue minute avant de réaliser qu’à côté d’elle, dans le lit, se trouve un cadavre ensanglanté.
Non, ce n’est pas le point de départ de The Flight Attendant, mais celui de Horoub, une mini-série libanaise lancée un peu plus tôt ce mois-ci, et qui, à partir de ce même sujet, va faire quelque chose de très différent.

Trigger warning : suicide.

Parce qu’en-dehors de cette scène qui ouvre la série, et qui lance une intrigue de thriller portant sur l’étrangeté de ce décès, Horoub est en réalité beaucoup plus intéressée par ses influences mélodramatiques.

L’existence de Mira n’est pas désagréable, mais elle est assez quelconque. Elle a épousé un homme qui l’aime, et qui a du succès en affaires ; elle vit dans une belle maison ; elle a une meilleur amie avec laquelle elle parle de tout, même une employée pour s’occuper de sa maison…
Quand commence la série, son époux Jassim et elle fêtent leur anniversaire de mariage. Jassim est peut-être un homme très occupé, mais ce jour-là il a pris le temps de mettre en scène un réveil tout doux pour sa dulcinée, a prévu plusieurs cadeaux, et n’en finit pas de couvrir Mira de compliments. A voir tout cela, Mira semble heureuse, n’est-ce pas ? Ma foi… pas exactement. Elle n’est pas malheureuse, c’est certain, mais il plane dans son attitude une forme de lassitude, ou au moins d’ennui. Fort heureusement Jassim ne lui laisse pas un moment pour penser à quoi que ce soit, et tout au long de la journée, il va continuer de la surprendre. L’apogée de la célébration est atteinte lorsqu’il lui annonce qu’il a prévu des vacances en amoureuses à Beyrouth, la ville natale de Mira qu’elle n’a apparemment pas vue depuis longtemps. J’ai cru comprendre que Mira et Jassim vivaient au Koweït mais comme ce n’est pas explicité dans les sous-titres et que mes maigres sources se contredisent, ne me prenez pas au mot.

Pourtant, une fois arrivée à Beyrouth, Mira a beau ressentir beaucoup de nostalgie pour la ville, elle ne semble pas plus heureuse. Il y a perpétuellement un nuage gris dans ses yeux, et Jassim, qui le sent sans trop la pousser à ce sujet (elle lui donne des réponses évasives de toute façon), se contente d’essayer de lui remonter le moral. Le soir-même, dans le fabuleux hôtel de luxe où elles résident pendant ces vacances, Mira et Jassim doivent assister à un dîner de gala luxueux, qui leur servira de fête d’anniversaire de mariage.
Deux imprévus majeurs apparaissent pendant cette soirée : d’abord, la présence du père de Mira, qui n’était absolument pas invité mais a quand même trouvé le moyen de venir avec sa nouvelle épouse, la jeune Samar ; et surtout… la présence de son premier amour, Essam, un chanteur embauché pour la soirée. Ces deux présences sont la source de troubles émotionnels pour Mira, mais, ça va de soi, pour des raisons différentes. Concernant Essam, le problème est qu’elle s’aperçoit de sa présence au moment où celui-ci chante un titre qu’il a écrit et qui porte le nom de… « Mira » ; combiné à la nostalgie de Beyrouth, évidemment, cela ne peut qu’émouvoir notre héroïne. Mais pour son père, les choses sont plus compliquées, Mira étant en froid avec lui et n’ayant pas non plus de bonnes relations avec Samar.

Horoub n’a pas oublié, en égrenant ces événements, son histoire de mort dans une chambre d’hôtel, et on va y revenir avant la fin du premier épisode, ne vous en faites pas. Mais passer par toute cette exposition a de la valeur, et c’est une troisième articulation de cet épisode introductif qui nous le confirme.
A plusieurs reprises, intercalées entre les différentes scènes que je viens d’évoquer, Horoub insère de brèves séquences dans laquelle Mira est dans une forêt, terrifiée, essayant visiblement de se cacher. En voix-off, on l’entend faire des confessions (on comprendra progressivement qu’elle enregistre des messages sur son portable, qui ne semble pas capter). Et ces confessions nous confirment son mal-être : bien qu’entourée (de son mari Jassim, de sa meilleure amie Fadia…) et bien que confortable (sa grande maison, ses multiples cadeaux hors de prix…), Mira se sent seule ; isolée, même. Elle a l’impression que tout cela est vide, que ce n’est que du paraître, que son existence entière est vidée de toute substance. Et que maintenant qu’elle est dans la forêt (on ne sait pas exactement pourquoi, mais vu l’histoire de la chambre d’hôtel, on devine), elle réalise que tout cela ne lui est d’aucune aide quand elle en a le plus besoin.

La réalisation élégante mais en mille-feuilles de ce premier épisode fait vraiment plaisir à voir. Horoub est une série qui arrive à mettre en scène aussi bien la banalité d’un quotidien pas désagréable, mais sans intérêt, que le tourbillon de la découverte d’un cadavre, ou encore la contemplation anxieuse de la forêt libanaise (le titre anglophone de la série, après tout, est Escape). Sans en faire trop dire explicitement à son héroïne (même dans ses quelques monologues, on n’y efface pas les non-dits), la série parvient en outre à faire passer des nuances très subtiles sur son état d’esprit. L’omniprésence des portables et des réseaux sociaux joue également son rôle dans le discours que tient la série sur les rapports humains, et leur friabilité.
C’est vraiment de la belle ouvrage, et cela sert pleinement l’angle dramatique. Ce premier épisode n’a pas envie de mettre en place du suspense pour le suspense. Il ne veut pas questionner, disons, la santé mentale de sa protagoniste (comme le fait The Flight Attendant) ou nous pousser à nous lancer dans une enquête policière (quand bien même deux personnages de flics apparaissent brièvement dans cette introduction). Non : tout tourne autour de Mira, son quotidien, ses émotions, et la fracture entre les deux.

Cela dit… pour être honnête, Horoub avait gagné mon cœur bien avant tout cela. Car la vérité, c’est que le premier épisode s’ouvre sur une scène qui se déroule une vingtaine d’années avant tout cela.
Nous y découvrons une femme qui, dans sa salle-de-bains, avale une poignée de cachets et s’effondre, inanimée. Une petite fille essaie de la réveiller ; en vain. N’ayant pas conscience de ce qui est en train de se produire, l’enfant commence à maquiller sa mère, puis s’allonge et s’endort à ses côtés. Dans le plan suivant, dans sa plus belle robe, Mira s’éveille à côté d’un autre cadavre.
L’extrême tragédie de ces premières minutes m’a achevée. En les voyant, j’ai su que Horoub n’allait pas faire une priorité du « comment » ou même du « qui ». C’est la lettre d’intention de la série, et même s’il est inévitable, à terme, de se lancer dans une forme d’enquête (car il est assez clair que Mira va être accusée de quelque chose ici, d’où la fuite en forêt sûrement), devant ses images que sais que Horoub n’a aucune intention de faire du mystère son moteur. C’est, très souvent, ce qui fait toute la différence entre un thriller que je veux voir et un que je vais regarder, au mieux, d’un oeil distrait. Qui a tué la victime, comment et pourquoi ? Je ne suis pas intéressée par ces questions, ce sont celles que pose la police, très rarement les autres personnages. Horoub m’a promis d’entrée de jeu que les réponses qu’elle apporterait iraient beaucoup plus loin. Peut-être même qu’elles répondront, au moins temporairement, à mes propres questions, qui sait ?
Autant vous dire que dans les jours qui viennent, je vais m’assurer de me procurer les épisodes suivants.


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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

2 commentaires

  1. Mila dit :

    « Horoub n’a pas oublié, en égrenant ces événements, son histoire de mort dans une chambre d’hôtel »
    Je t’avoue que moi, à ce stade de la review, si, haha. Je ne sais pas ce que cela dit sur ma mémoire, mais j’avais déjà zappé le point de départ. Mais ouch, la scène d’introduction a l’air en effet… percutante, on va dire, et ça a dû être une expérience remuante, oui. Moi aussi, dans les thrillers se sont *rarement* les réponses au « grand mystère du jour » qui m’intéressent le plus (parfois ça arrive que si, quand même, mais c’est rare) donc j’espère que la série tiendra ses promesses et que tu y trouveras ce que tu en attends ! (ou plus que ce que tu en attends)(mais pas moins)

    • ladyteruki dit :

      Ce qui est très fort c’est que la série a l’intelligence de juxtaposer ces deux scènes mais sans dire : « HOMONDIEUREGARDEZ » pour insister sur la tragédie du truc, du coup paradoxalement ça te percute de plein fouet.
      La série a l’air assez courte (6 épisodes si je ne me trompe pas), mais ça prend des ploooombes à… euh, cagouler. Je me ferai l’intégrale quand j’aurai tous les épisodes, j’ai pas confiance XD

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