– C’est juste une corde.
– C’est pas que la corde.
Dans une forêt norvégienne, non loin d’une station scientifique isolée de tout, une corde. Elle n’était pas là quelques heures plus tôt, c’est quasiment certain. Personne ne peut l’avoir déposée là. Comme si elle était apparue d’elle-même, une corde. Au milieu des feuilles mortes, cette corde. Ou en tout cas, un bout de la corde.
Non, ce n’est pas que la corde. Mais c’est difficile de ne pas penser à la corde. De ne pas s’interroger sur la corde. De ne pas avoir envie de suivre la corde. Où mène La Corde ?
Est-ce que je vous ai déjà parlé de mon épisode favori de Kaamelott ? Au moment de l’épisode Le Phare, au cours de la saison 5, Arthur décide de se mettre en quête d’un enfant qu’il a peut-être eu avec l’une de ses nombreuses maîtresses passées. Il a besoin d’avoir un enfant quelque part, quoi qu’il en coûte, alors Arthur traverse, à pieds, toute la Bretagne dans l’espoir que quelqu’un, quelque part, ait porté son fils ou sa fille. Vers la moitié de l’épisode, il arrive à une plage, et pense y trouver les jumelles du pêcheur, deux de ses amantes de longue date. Ce n’est pas elles qu’il trouve, mais le pêcheur lui-même, qui lui affirme qu’aucune des deux n’a été enceinte, mais l’invite à passer la nuit dans le phare en attendant de reprendre sa route. Le Phare se transforme alors en un épisode irréel, comme passé dans un état second. Le pêcheur n’est pas dans son état normal ; il a passé chaque jour depuis la disparition de son fils à guetter la plage, dans l’espoir que son bateau revienne. Arthur aussi est dans un état second, pour des raisons qui ne sont pas si différentes dans le fond. Tous les deux se comprennent sans tout-à-fait se comprendre ; ils ont cette tenaille à l’estomac en commun. A la tombée de la nuit, l’une de ces conversations porte sur un rêve récurrent que fait le pêcheur ; mon cœur marque chaque fois l’arrêt lorsque ce dernier échange s’achève : « Si-si, j’vous jure. J’ai parlé que de ça ».
En regardant La Corde, j’ai repensé à cet épisode. A l’ambiance de ces scènes au phare. Au rêve du pêcheur, dans lequel il croise les pêcheurs du passé au fond de l’eau. Et à ce qu’Arthur dit au pêcheur, à un moment : « Je cherche. Et tant que je trouve pas, bon, bah… Quand je suis parti de Kaamelott, je savais pas que ça m’amènerait jusqu’ici ».
La Corde m’a inspiré exactement la même chose que cet épisode, et en particulier, ces scènes à la plage et dans le phare. C’est irréel. Rien ne répond à la logique. Et puis, la tenaille.
Lorsque la corde apparaît dans la forêt, elle est une anomalie. Et une anomalie qui est apparue près d’une communauté scientifique, en plus. Elle a un bout dans la forêt… en théorie ça signifie qu’il y a un autre bout quelque part, et très vite les personnages qui prennent connaissance de la corde veulent absolument découvrir ce qu’il y a à l’autre bout. La corde fascine parce qu’elle est là, et parce qu’elle n’est pas entièrement là, et cette fascination est dangereuse : on y met ce qu’on veut au bout. Il ne faut pas plus d’une minute ou deux pour qu’on assiste à un indice quant à la mauvaise idée que ça représente…
Alors qu’à l’observatoire, se profile le moment-clé de cette communauté scientifique, où elle va recevoir de l’espace des données déterminantes pour ses recherches, son financement et son avenir (la « moisson »), la découverte de la corde vient tout chambouler. Le directeur du centre, Bernhardt, décide de passer son dernier dimanche après-midi libre à longer la corde et découvrir son secret ; Serge, Leïla, Joseph, Dani et Sophie, toutes des employées du centre, l’accompagnent. La compagne de Bernhardt, Agnès, ainsi qu’Ulrik qui s’est blessé et Liam l’un des ingénieurs, restent en arrière. Mais plus le temps passe, plus l’inquiétude monte. Bernhardt et son équipe ne rentrent pas.
Toutefois, La Corde n’est pas une série sur une disparition. Nous allons continuer de suivre les deux groupes… mais curieusement, ils ne semblent pas évoluer dans le même espace-temps. Dans l’inquiétude, les semaines s’égrènent à l’observatoire, tandis que dans la forêt, quelques jours passent.
A partir de là… c’est un peu compliqué de décrire La Corde. Parce que ce qui fait son intérêt, c’est précisément l’attente d’une part, et la quête de l’autre. Des deux côtés de l’écran, on s’interroge.
Chaque groupe a fait un choix, et chaque choix a ses conséquences, mais c’est surtout ce que ce choix dit de ces gens qui a de l’importance. Agnès a choisi d’attendre, Bernhardt a choisi de chercher. Il n’y a pas de bon ou de mauvais choix, d’ailleurs, mais il n’apporte pas le même sort. Plus le temps passe et plus la corde accentue les différences entre chaque protagoniste. Même parmi les personnes qui suivent la corde, il y a celles qui veulent faire marche arrière, et celles qui ont à tout prix besoin de continuer. Quel que soit le sens, tout ce petit monde est mû par quelque chose, en tout cas. Quelque chose d’irrépressible, que la corde suscite, ou peut-être a simplement exacerbé…
Parfois en les voyant, je me suis dit que ces personnages faisaient avec la corde exactement ce qu’elles faisaient sans. La corde ne les change pas, à l’instar de Joseph qui suit, qui parfois craque, mais continue de suivre. C’est dans sa nature de suivre. Chaque protagoniste de La Corde fait exactement ce qui est dans sa nature, et voit dans la corde exactement ce qu’elle a envie d’y voir. De fait, la série se garde bien d’expliciter ce qu’est la corde, pourquoi elle est si longue, qui l’a laissée là, pourquoi elle est apparue à ce moment-là. C’est un MacGuffin qui permet à l’intrigue de révéler (à nous comme à elles-mêmes) qui sont les protagonistes de la série, ce qu’elles ont dans les tripes (pardon), ce qui les anime.
Par conséquent, on regarde La Corde en s’y investissant intimement. Ce qu’on lit de leurs réactions, le sens qu’on veut donner à leur quête, la compréhension qu’on a de la corde et de la série dans son ensemble… on ne verra sûrement pas la même série, vous et moi.
La corde est ce que vous voulez. Ce que vous avez besoin qu’elle soit. Elle est ce que vous cherchez. Ce que vous trouvez au bout de la corde n’est pas forcément ce que j’y trouve, mais nous avons en commun d’avoir besoin de comprendre. Besoin de savoir. Besoin d’y trouver quelque chose plutôt que rien. Besoin de trouver du sens, à tout prix.
La Corde est une formidable série sur l’âme humaine, une expérience comme j’aimerais en voir tellement plus à la télévision occidentale. En attendant, c’est ce soir sur arte.
Vraiment Arte sait dénicher de bonnes séries !