Il faut quand même admirer le culot de la télévision chinoise, qui en pleine pandémie de COVID-19 (pour la deuxième année consécutive !) qui a un peu démarré sur ses propres terres, trouve l’audace de lancer une série dans laquelle ses équipes médicales sauvent l’Afrique du virus ebola ! C’est quel genre de toupet, ça ?! Bien-sûr, on me rétorquera que Ebola Qian Xian (ou Ebola Fighters de son titre anglophone) s’appuie en partie sur des faits avérés, et notamment le parcours du Dr. Cao Gang en Guinée (il y a plusieurs Easter eggs faisant directement référence à ses expériences).
Mais ça sent quand même un peu la propagande.
Il ne m’en fallait pas plus pour jeter un oeil au premier épisode de la série sitôt qu’elle a été sous-titrée. Accrochez-vous, ça ne rigole pas ; ya même des cases sur la photo de promo…
Pour une série tant ravie de s’inspirer de faits réels, Ebola Qian Xian fait le choix peu anecdotique de se dérouler dans un pays fictif, Cabalia (elle a même pris la peine de lui inventer un drapeau), une nation anglophone située en Afrique de l’Ouest. Venu en mission internationale, le médecin Zheng Shu Peng y travaille depuis deux ans, dans un hôpital co-financé par les deux pays : à ce titre, il travaille donc à la fois avec du personnel chinois et du personnel… cabalien ? On va partir sur cabalien comme gentilé. Shu Peng va nous servir en introduction le mélange habituel de tendresse feinte (il s’est fait une petite vie ici) et de regard paternaliste (« c’est un pays pauvre, mais ces gens ont des bonheurs plus simples que les nôtres »). Son meilleur ami sur place est le chirurgien cabalien Gassimou Kamala (surnommé « Gai » par ses homologues chinois), un homme passionné par la Chine, sa culture, sa musique, qui lui cuisine même des plats traditionnels chinois avec les ingrédients qu’il a, mais qui, comme la plupart des personnes africaines de la série, fait peu de cas des mesures permettant d’éviter la contagion des nombreux virus qui trainent. Or, Zheng Shu Peng est un virologiste de formation, et il est obsédé par la transmission de ces maladies, et lui fait donc régulièrement des reproches.
Tandis que Shu Peng se prépare à retourner bientôt en Chine, son séjour de 2 ans touchant à sa fin, Gassimou va quant à lui être promu au sein de l’hôpital prochainement. Leurs chemins sont donc voués à se séparer… Mais évidemment, lorsqu’un patient se présente avec les symptômes d’ebola (même si la série ne l’explicite pas tout de suite), les plans de tout le monde se retrouvent changés ; en particulier, Gassimou est en première ligne pour traiter le patient, et potentiellement contaminé. Alors forcément, Shu Peng s’inquiète, et décide de procéder à des analyses pour vérifier le degré de dangerosité du virus, découvrant ainsi le premier cas d’ebola en Cabalia.
Comme jusque là Ebola Qian Xian était une série très masculine, il faut bien un personnage féminin (sinon avec qui pourrait-on avoir un enjeu amoureux, je vous le demande). Il s’agira de He Huan, une journaliste qui arrive dans un camp de réfugiées maintenu par les Nations Unies. Pour l’instant sa seule fonction est d’être très triste à cause de la guerre (on sait pas qui, on sait pas avec qui, on sait surtout pas pourquoi, peu importe, c’est l’Afrique, il y a forcément une guerre), ça va la changer un peu d’être probablement triste à cause de l’épidémie, dans un futur proche.
A mesure que le premier épisode, inexorablement, s’avance vers sa description du départ de l’épidémie d’ebola en Cabalia, Ebola Qian Xian fait ce qu’on ne peut appeler autrement que des choix. Par exemple, dans une autre série et en particulier une série pré-COVID, le Dr Zheng et son utilisation compulsive du gel hydroalcoolique seraient traités comme dans Monk, mais ici, évidemment, il est le seul à avoir la prescience de ce qui va se produire si on ne fait pas plus attention. Ses avertissements n’ont pas été assez pris aux sérieux, et résultat, voilà où on en est, avec une épidémie d’une maladie hautement mortelle sur les bras ; en tout cas c’est pas mal tourné comme ça, même si dans les faits ce pauvre Gassimou n’a absolument couru aucun risque particulier avec le patient zéro.
Or, une fois qu’elle a établi que le docteur cabalien était potentiellement contaminé, Ebola Qian Xian ne lui donne absolument plus la parole, ni même ne le fait apparaître à l’écran : ce qui compte à partir de là, c’est le ressenti du personnel chinois de l’hôpital, entre autres de Zheng Shu Peng. Là où au départ la série semblait présenter les soignantes africaines comme des égales, l’épisode a vite fait de trahir sa véritable intention de les traiter uniquement comme des victimes de l’épidémie. Et des victimes sans émotions, puisqu’à la fin de cet épisode introductif, les seules personnes qui seront montrées dans l’inquiétude d’être contaminées (et potentiellement condamnées)… sont les membres de l’équipe médicale chinoise. Bah oui, c’est triste de mourir dans un autre pays que le sien (…mourir dans son propre pays, moins, il faut croire). Si dans les faits, des vies africaines vont être sauvées, ce ne sont clairement pas celles qui comptent pour Ebola Qian Xian.
Je me suis toujours demandé comment la Chine parlait à ses propres citoyennes de sa politique de soft power en Afrique. On sait bien qu’outre ses investissements économiques et diplomatiques, le pays s’est assuré de s’impliquer dans les médias, aussi (j’en faisais un fun fact il y a quelques années par exemple ; évidemment ça va bien au-delà). Mais à l’intérieur de ses frontières, quel est le discours tenu ? Comment « vend-on » l’incursion chinoise dans les pays d’Afrique ? A plus forte raison quand (I shit you not) on diffuse cette série dans le cadre du centenaire de la création du Parti communiste chinois…
Ebola Qian Xian répond à cette question : on nous vend de l’héroïsme. Bien-sûr qu’on nous vend de l’héroïsme ! Un héroïsme en or massif, qui repose sur une certaine forme d’omniscience et de sacrifice altruiste. La recette n’est pas très différente du white saviorism dont se rendent régulièrement coupables les productions européennes et/ou nord-américaines…
Pour l’instant, je n’ai pas trouvé la trace quelconque d’une diffusion d’Ebola Qian Xian dans un pays africain par les canaux habituels de la Chine. Je serais très curieuse de connaître la réaction des spectatrices si ça se produisait, cela dit. Surtout que la série a (et j’avoue que je ne m’en remets pas) l’effronterie d’être produite en pleine épidémie de COVID, qu’on ne présente plus, notamment ses origines. C’est quel genre de cynisme de se lancer dans ce genre de storytelling à un moment où la Chine a décidé que son soft power allait désormais également s’appuyer sur une diplomatie médicale ? Une générosité intéressée, dont personne ou presque ne semble dupe… mais comme les alternatives, à l’heure où les brevets ne sont toujours pas levés sur les vaccins, sont rares par ailleurs, difficile de faire la fine bouche.
Je m’attendais à de la propagande, et je n’ai pas été déçue. Si j’en crois ce que j’ai lu, certes principalement sur des sites chinois, la série a été bien reçue en Chine. En même temps peut-on s’attendre à une autre réaction ? Quelle spectatrice s’est jamais plainte d’entendre ce qu’elle voulait qu’on lui dise… En-dehors de ces frontières, en revanche, il en faudrait bien plus pour convaincre.
*lit le début de l’article* « lancer une série dans laquelle ses équipes médicales sauvent l’Afrique du virus ebola » *sort les popcorns*
Oui, non, vraiment certaines personnes ne se font pas chier. Je serai aussi curieuse de savoir la réception à l’étranger parce que, euh, enfin voilà quoi.