Cette semaine, la chaîne canadienne CBC faisait sa rentrée de début d’année avec le lancement de deux comédies, Son of a Critch mardi soir, suivie de Run the Burbs hier. Au départ, mon plan consistait à regarder les deux pilotes, puis de laquelle de ces séries j’allais vous parler.
Après tout, elles ont pas mal de choses en commun ! Hors le fait qu’il s’agit dans les deux cas de comédies en single camera, elles ambitionnent toutes deux de s’adresser à un public plutôt familial.
En les regardant aujourd’hui, toutefois, j’ai eu une pensée pour toutes ces séries canadiennes (plus encore les comédies) dont on n’entend jamais parler ou si peu, alors qu’elles ont des qualités. Son of a Critch et Run the Burbs ont toutes les deux des qualités, alors pourquoi choisir ? Je ne déteste rien tant que de devoir choisir, comme vous le savez. Alors… bah, j’ai pas choisi. On va parler des deux.
Je commence (anti-chronologiquement) par Run the Burbs, qu’on doit à Andrew Phung, que l’on trouvait dans Kim’s Convenience. et qui est cette fois également le co-créateur de la série. La série se déroule dans une banlieue parmi tant d’autres, où Andrew Pham, son épouse Camille, et leurs enfants Khia et Leo, habitent une maison tout ce qu’il y a de plus banale, dans un cul-de-sac des plus ordinaires.
Sauf que la Pham n’est pas ordinaire. Andrew et Camille sont des parents encore assez jeunes, au moins dans leur tête, et ont résolu de ne pas changer d’état d’esprit juste parce qu’elles vivent une vie qui pourrait sembler rangée. Tout est toujours une bonne excuse à être décontractée et à s’amuser, et c’est en particulier vrai pendant ce premier épisode, qui se déroule au cœur de l’été (…oui bon, c’est un choix de diffusion je suppose).
Andrew est surexcité à l’idée d’organiser le « Block-buster », une gigantesque fête qui a lieu sur le terre-plein au milieu du cul-de-sac. Les Pham en sont les organisatrices depuis qu’elles ont emménagé dans le quartier, parce qu’apparemment avant elles, personne dans le voisinage ne se parlait, et maintenant c’est l’événement estival incontournable auquel tout le monde veut participer. Tout le monde a des préparations de dernière minute à faire, sauf que, évidemment, ce n’est pas si simple… il s’avère notamment que les Pham n’ont pas procédé à la demande de permis d’utilisation de la voie publique auprès de l’association du quartier. En outre, l’invité musical qu’Andrew était si ravi de présenter à ses voisines ne vient finalement pas. Comment sauver le Block-buster ?
Dans Run the Burbs, il y a une énergie palpable, et la bonne nouvelle c’est que même si Andrew y occupe une bonne place, il n’y éclipse absolument pas Camille. Leur partenariat donne lieu à des échanges complices et savoureux, mais aussi à des intrigues individuelles, puisqu’il y a deux problèmes à résoudre le même jour. J’ai même une préférence pour l’intrigue de Camille, qui découvre qu’un permis a déjà été délivré pour utiliser l’espace public… et décide de se lancer dans un pari pour obtenir le précieux sésame.
Au final, ça donne un épisode plein de références (Andrew et Camille ont d’ailleurs une private joke à ce sujet), de rythme, et de gags relativement inédits. J’ai été un peu surprise par la tournure des événements (je pense qu’un autre choix de conclusion à l’histoire du permis était possible, sans nécessairement contraindre les Pham à sembler trop conventionnelles), mais il n’en reste pas moins que ça fonctionne, dans la joie et la bonne humeur.
Ce n’est pas une série très compliquée, ni même très bavarde quant à ses personnages. D’ailleurs le fait que les Pham aient décidé de rester « cool » n’est même pas quelque chose d’explicité, comme le serait une motivation posée pour nous expliquer pourquoi Andrew et Camille font les choix qu’elles font (ce qui veut dire qu’il n’y a pas vraiment d’antagonisme à leur désir de rester détendues, sauf si l’on compte Barb, la responsable de l’association de quartier qui joue les éteignoirs). On n’a pas envie de nous dire pourquoi ces personnages sont comme ça, juste de nous faire suivre des délires qui prouvent que ce n’est pas parce qu’on a rangé les wagons qu’on mène forcément une vie ennuyeuse. Tout cela sans oublier les petits indices rappelant que cette Phamille-là est aussi une famille asiatique moderne, un peu melting pot (Andrew Phung est d’origine vietnamienne, Rakhee Morzaria est d’origine indienne), où les influences se croisent sans même y penser.
En un sens, c’est la famille parfaite : celle qui a trouvé l’équilibre parfait dans son couple (Andrew est père au foyer, Camille est une à la tête de sa propre compagnie), dans son identité, dans son quartier, dans sa tête. L’épisode parvient à marcher précisément à la frontière entre l’aspirationnel et l’escapisme. L’un dans l’autre j’ai passé un bon moment, et j’ai fini l’épisode avec un sourire, même si je ne suis pas totalement convaincue que Run the Burbs soit le genre de série dont on tombe éperdument amoureuse.
Le ton et la démarche de Son of a Critch ne pourraient être plus différentes. La série est l’adaptation de l’autobiographie du comédien Mark Critch (d’où le titre), qui officie aussi comme narrateur de la série. L’idée est pour lui de revenir sur son enfance, ou plus précisément le début de son adolescence, dans les années 80 en Terre-Neuve. En-dehors du fait qu’il s’agit d’une série inspirée par des personnes réelles, Son of a Critch rappelle beaucoup l’approche de Young Sheldon, et d’ailleurs il est assez difficile de se défaire de la comparaison pendant une bonne partie de l’épisode introductif.
La série démarre alors que Mark a une dizaine d’années, et entre dans un collège catholique en étant pleinement conscient d’être très différent de ses petits camarades. Le pilote s’ouvre même avec une confession : hors son grand-frère, Mark n’a jamais fréquenté d’enfants. Les goûts du petit garçon sont donc plus proches de ceux de son grand-père (avec lequel il partage une chambre), ou plus largement de sa famille (dont il est proche un peu malgré lui, et c’est bien normal, c’est l’âge qui veut ça). La famille Critch est dépeinte comme un peu bizarre, avec ce père animateur de radio ringard et cette mère au foyer (vraiment très similaire à Mary Cooper, y compris physiquement, il faut vraiment faire quelque chose pour ça dans les épisodes suivants) assertive et conservatrice. Avec elles, Mark a pris l’habitude d’écouter du Sinatra, de siroter un jus de pomme on the rocks, et de regarder des émissions comiques… forcément il va vite déchanter lors de sa première journée au collège.
L’avantage principal de Son of a Critch, c’est non seulement sa voix-off qui permet d’avoir du recul (là encore comme Young Sheldon, la voix-off est celle de Mark adulte), mais aussi le personnage de Mark lui-même, qui est parfaitement averti de la proie qu’il représente pour des harceleuses. Et dés le premier jour, ça ne loupe pas, il est la cible de « Fox », une camarade de classe qui vient d’une famille de tortionnaires (on découvrira fugacement que Mike aussi a affaire à des membres de sa famille). Fort heureusement, il n’est pas le seul nouvel élève, et il commence progressivement à se lier à Ritchie, un môme d’origine philippine qui est l’unique élève racisé de l’école (…vraiment, c’est difficile d’arrêter de comparer à Young Sheldon).
Mark est un garçon certes un peu à part, mais intelligent. Pas intelligent d’une façon académique, nécessairement, mais il est fin observateur et profondément capable d’examiner aussi bien les situations que lui-même, pour essayer de sociabiliser autant que possible, sans perdre de vue qui il est. Dans ce premier épisode, on assiste à une sorte de genèse de son talent de comédien : il découvre que, quand bien même il est incapable de se servir de ses poings, il a lui aussi des armes à opposer à des bourreaux.
Difficile de nier que Son of a Critch se veut à la fois drôle et douce. Sa nostalgie ne porte pas que sur une époque (les années 80), mais à une période de la vie, quand tout était à la fois plus simple et plus compliqué. Mark, comme avait des « petits » problèmes dans une vie qui était largement protégée… mais pour un enfant ça reste des « gros » problèmes, parce qu’il est encore en train de définir qui il est.
L’intrigue de ce premier épisode se finit presque comme celle du premier épisode de Malcolm in the Middle… presque, parce que ce que Son of a Critch n’a pas en gags clownesques, elle l’a en tendresse. Et j’ai cru deviner que les choix faits pour clore cette intrigue disent aussi quelque chose de la comédie telle que la perçoit Mark Critch. Le sous-texte est un peu de déterminer ce qui est drôle autant que ce dont on peut rire, et de comment on en vient à déterminer le juste milieu. Son of a Critch n’est pas qu’une série sur « comment Mark Critch est devenu comédien », mais aussi une série sur quel genre de comédien il est devenu, et surtout pourquoi. Or, ces évolutions sont intimement liées à quel genre de personne il est. Il faudra surveiller les épisodes suivants pour s’en assurer, mais cela semble être l’intention motrice ici ; et c’est, au final, la raison pour laquelle Son of a Critch a quelque chose que Young Sheldon n’aura jamais. Parce qu’elle porte sur une véritable personne, qui s’interroge sur comment elle est devenue elle-même.
Alors clairement, malgré leur cible similaire, ces deux séries ne pourraient pas être plus différentes. Et je suis bien contente de n’avoir pas eu à choisir entre elles, car comparer les pommes et les oranges n’a pas de sens, en téléphagie pas plus qu’en cuisine. J’ai, vous l’aurez sûrement deviné, ma petite préférence ; mais la bonne nouvelle, c’est que vous avez toutes les cartes en main pour vous forger la vôtre.
Ou n’avoir aucune préférence et regarder les deux, c’est possible aussi. Encore une fois : pourquoi choisir ?