Fin décembre, la chaîne TV Globo a diffusé une mini-série historique, Passaporte para Liberdade. Celle-ci a la particularité d’avoir été entièrement tournée en anglais (une première dans l’histoire de la chaîne) avec une distribution internationale. Actrices brésiliennes, italiennes, polonaises, israéliennes, américaines ou allemandes se succèdent à l’écran pour raconter l’histoire vraie d’Aracy de Carvalho, une Juste qui a travaillé depuis le consulat du Brésil à Hambourg pour aider des citoyennes juives à fuir l’Allemagne nazie.
Passaporte para Liberdade, ou Passport to Freedom de son titre international, aura mis un peu moins de 5 ans à arriver sur les écrans brésiliens, après avoir cumulé : des retards administratifs, le lancement tardif d’une co-production avec Sony Pictures Television (d’où le tournage en anglais), et, en 2020 pour couronner le tout, un arrêt du tournage quelques semaines après avoir commencé, à cause de la pandémie évidemment. Pour quel résultat ?
Le premier épisode de Passaporte para Liberdade, puisque c’est de lui qu’il est question aujourd’hui (ce mois-ci, attendez-vous à beaucoup de reviews de « pilotes« , même pour des mini-séries) est assez conventionnel. On y fait la connaissance d’Aracy, une femme qui travaille en tant que simple assistante au consulat de son pays, et qui secrètement fait éditer des passeports pour des Juives (sans leur faire porter la mention « J », qui plus est), afin de les aider à quitter discrètement le territoire allemand pour un autre continent. Aracy a toutes les qualités : elle est compétente, discrète, engagée, et pleine de compassion pour les Juives qu’elle voit chaque jour être humiliées et attaquées dans les rues de Hambourg. La série la présente aussi comme une mère-courage qui élève seule son fils en Allemagne, après un divorce qu’elle s’est démenée pour obtenir, et qui est très indépendante (elle conduit ! à l’époque ce n’était pas possible au Brésil, apparemment). Elle n’a, évidemment, pas oublié d’être belle non plus.
Bref, Passaporte para Liberdade n’a pas vraiment envie de la dépeindre comme une personne très complexe, seulement comme une héroïne brave et admirable. Vu le contexte, ça se conçoit que la série n’ait pas voulu en dire du mal, mais on aurait pu espérer qu’il y ait une marge de manœuvre entre ces deux extrêmes. En outre, à part sa prudence parce qu’elle ne veut évidemment pas être découverte, Aracy ne fait montre dans cet épisode d’aucune forme de doute ou de peur, et cela rend son portrait très monochrome et prévisible (et inexact, si j’en crois cet article en portugais). J’espère que les épisodes suivants lui apporteront quelques nuances, un peu de profondeur, quelque chose quoi, même si pour le moment j’ai quelques doutes.
Il est vrai qu’Aracy a un statut un peu privilégié : son travail au consulat semble, vu de l’extérieur, totalement anodin, et dans le même temps elle a la confiance de sa hiérarchie, qui ne la soupçonne donc de rien. Certes, le Brésil (qui à la même époque est dirigée par un dictateur) a arrêté de fournir des visa aux Juives et soutient le gouvernement nazi, et elle pourrait donc être découverte ; mais les conséquences pour elle seraient sûrement de l’ordre d’un retour au pays, pas d’une exécution. Le fait de n’être pas une citoyenne allemande la préserve de certaines inquiétudes dans le climat ambiant, quand bien même il est vrai qu’elle n’a pas de protection diplomatique non plus, n’étant qu’une secrétaire.
Toutefois, quelqu’un nourrit quelques doutes quant à ses activités au cours de cet épisode introductif. João Guimarães Rosa, nouvellement nommé au consulat, prend ses fonctions comme adjoint du consul, et alors qu’elle l’accompagne pour son installation, il commence à comprendre qu’Aracy a beau défendre poliment la politique officielle du consulat devant lui, elle n’en pense pas moins. Et ça tombe bien, il trouve aussi que ce qui se passe en Allemagne est indigne et que son consulat devrait faire plus ! Il est en outre très attiré par elle, ce qui ne gâche rien.
On sent que Passaporte para Liberdade va nous dire quelque chose sur ces deux-là. Que leur fiche Wikipedia aura peut-être déjà trahie pour vous…
Tout en émaillant son exposition de scènes dans lesquelles Aracy nous prouve qu’elle est choquée par le visage de l’Allemagne nazie, et/ou dans lesquelles on nous fait comprendre que João est également outré, Passaporte para Liberdade essaie de nous expliquer « où on en est » en 1938.
C’est-à-dire que, pour le moment au moins, il n’est pas question de camps ni de solution finale, mais d’émigration forcée. A plusieurs reprises, l’épisode nous montre ainsi que les Juives polonaises sont les premières cibles de la Gestapo, qui procède à des arrestations massives ; quelques images d’archives se glissent également dans l’épisode pour insister sur la chronologie des événements. Et pour mieux expliciter cet aspect des choses, la série utilise également une intrigue secondaire qui tourne autour de deux personnages : la chanteuse de cabaret Vivi Krüger, et le soldat Thomas Zumkle.
Vivi, de son véritable nom Taibele Bashevis, est une jeune femme belle et talentueuse, mais rejetée par sa famille orthodoxe à cause de ses choix de vie. Elle est également une toxicomane, ce qui ne va sûrement pas aider par la suite. Elle est éprise de Thomas, son amant, que la série nous dépeint comme un agent de la Gestapo « avec des principes » : il ne bronche pas quand on procède à des arrestations massives au milieu de la nuit, par contre il trouve que ça va trop loin lorsqu’on vole les rares effets personnels d’un prisonnier… Celui-ci fait donc partie des « méchants-mais-gentils » (un trope récurrent des séries sur le nazisme, d’ailleurs). Il y est décrit comme étant différent des autres membres de la Gestapo, la série s’arrêtant à plusieurs reprises sur son attitude : il entretient cette relation amoureuse avec Vivi (dont il sait qu’elle est juive), il défend (mollement) les Juives attaquées par ses collègues dans la rue, et on le voit dans ce premier épisode avertir une famille juive riche qu’il vaudrait mieux qu’elle plie bagages avant que le pire ne se produise, et qu’il leur donnera le signal quand sera venu le moment. Il semble réprouver la violence lorsqu’elle est trop visible, mais il n’est pas non plus exactement dépeint comme quelqu’un qui s’oppose à ce qui se passe avec beaucoup de fermeté. Pas pour le moment du moins ; cela peut évoluer.
En choisissant de ne montrer que des protagonistes bien intentionnées (même si cela couvre des actions d’une valeur variable) et/ou ce qu’elle décrit comme des victimes potentielles/futures, Passaporte para Liberdade fait ce qui devenu plutôt courant de faire dans ce genre de séries historiques : rester à la surface des choses (ce qu’évitait plutôt bien, sur un thème similaire mais une autre époque, la série Invisible Heroes). Ne surtout pas se demander comment on peut en venir à laisser se produire toutes ces horreurs… ce qui pourtant en 2021 (et pour une série brésilienne) pourrait avoir du sens pour les spectatrices. Il s’agit juste de raconter la gentille partie de l’Histoire vécue par les gens gentils ; et si effectivement il y a eu 27 921 Justes d’après les chiffres officiels, il s’agissait tout de même, vous en conviendrez, d’un nombre très minoritaire de personnes dans le monde. Pourquoi ne pas avoir un ou deux personnages de second plan pour aussi le souligner ? Ne serait-ce que pour essayer d’apporter quelque chose d’un peu intéressant à cette fiction très classique…
D’une certaine façon, j’ai l’impression que Passaporte para Liberdade est confrontée à un épineux dilemme : comment raconter une période de l’Histoire à laquelle on n’a pris part que tardivement et de façon lointaine ? Il n’y a, après tout, que deux Brésiliennes qui ont été reconnues comme Justes, plus quelques milliers de soldats engagés dans la Seconde Guerre mondiale. Surtout quand l’un des rares angles d’approche que l’on a cette protagoniste surnommée « l’Ange de Hambourg », dont on peut difficilement salir la mémoire. En outre, la série est ouvertement basée sur un ouvrage biographique paru après la mort d’Aracy de Carvalho, même si la chaîne dit avoir fait ses propres recherches. Cela étant, j’ignore si ce dilemme s’est réellement présenté à son créateur Mário Teixeira : il est aussi tout-à-fait possible que l’ambition n’ait jamais été de produire autre chose qu’une fiction romanesque et/ou héroïque. D’ailleurs le procédé consistant, à la fin de l’épisode (et je présume, des suivants) de faire témoigner une proche de l’une des personnes sauvées par Aracy vient renforcer l’idée qu’on voulait vraiment jouer la carte de la vénération.
Passaporte para Liberdade ne dure que 8 épisodes, diffusés par Globo de façon quotidienne les soirs de semaine (et… doublés en portugais !). Je ne sais pas dans quelle mesure elle a eu la possibilité de développer ses intrigues en évitant les écueils relevés dans cette review. Vu mon planning téléphagique en ce mois de janvier, je n’aurai sans doute pas le temps de vérifier… et pour être honnête, je ne suis pas certaine de vouloir en faire une priorité pour février. Vous me raconterez !
Ce genre de séries me fait comprendre pourquoi l’une de mes amies juives ne lit et ne regarde que des documentaires/de la non-fiction sur la période et ne lit/regarde aucune fiction sur la période. Bon et sinon, quand est-ce qu’Arte achète et diffuse Invisible Heroes ?