Malgré tous mes efforts et ma bonne volonté, je ne serai jamais une téléphage très appliquée. Chaque semaine (…que dis-je : chaque jour), je mets la main sur de nouveaux épisodes, et force est de constater que beaucoup atterrissent sur une sorte de liste d’attente aux airs de purgatoire. Il y en a parmi eux que je ne regarde jamais, oubliés dans les limbes de mon organisation qui n’en a que le nom. Et il y a ceux que, soudain, je vais redécouvrir, lovés dans un petit dossier avant que ma souris de leur tombe dessus par hasard, accident ou ennui.
C’est le cas d’Emoyeni, une série sud-africaine proposée la chaîne publique SABC1 en 2018, dont le premier épisode était en sommeil dans mes archives depuis plusieurs mois. Assez longtemps pour que je ne me souvienne pas où je l’avais dénichée avec ses sous-titres (elle est apparemment depuis devenue disponible sur Netflix dans certains pays, mais j’ai l’impression que la France n’en fait vraisemblablement pas partie). Trop longtemps pour réussir à regarder si je peux mettre la main sur les 3 autres épisodes de son unique saison.
Bon, pour Emoyeni en particulier, ce n’est pas trop trop grave : il s’agit d’une série anthologique, regarder son premier épisode tout seul n’est donc pas exagérément frustrant. Mais tout de même, quel gâchis. C’est pas comme si on croulait sous les opportunités de voir des séries fantastiques sud-africaines, quand même…
J’ai du mal à me pardonner quand je fais ce genre de choses, par inattention, inconstance ou autre. Mais si vous trouvez dans votre cœur la force de passer outre le fait que je ne pourrai jamais vous en dire plus sur la série, alors discutons quand même de son premier épisode. Car, bien que je ne conteste absolument pas qu’Emoyeni soit une série fantastique, cependant, je pense qu’il serait plus précis de parler ici d’une anthologie dramatique dont les ressorts s’appuient sur le fantastique…
Ce premier, intitulé « Tshenolo » (« Révélation »), a pour point de départ le décès de l’homme d’affaires Skhumbuzo Mahlangu. C’est un homme qui est marié depuis environ dix ans à son épouse Kitso Mahlangu, une microbiologiste reconnue dont la carrière remplie de succès a permis de financer à la fois la vie du couple et les affaires de son époux. Tout commence comme une belle journée parmi tant d’autres pour la jeune femme, que nous découvrons dans sa belle demeure à faire du sport dans sa salle de gym privée, avant d’aller fêter, plus tard dans la soirée, ses 30 ans avec son mari. Tout semble parfait, dans cette existence, jusqu’à la part de gâteau laissée par Skhumbuzo dans le frigo pour surprendre sa femme.
Ce que Kitso ignore, c’est que s’il prétend être à Durban pour un déplacement professionnel, en fait Skhumbuzo a menti et se trouve en excursion avec sa maîtresse, Angela. Celle-ci ne manque d’ailleurs pas de se montrer jalouse pour l’attention que Skhumbuzo prête à sa femme, et c’est en essayant de la rassurer alors qu’il est au volant de sa voiture que notre homme perd le contrôle du véhicule. Skhumbuzo et Angie meurent sur le coup.
Emoyeni met un point d’honneur à nous faire suivre les jours suivants aux côtés de Kitso. La douleur qui l’empêche de faire quoi que ce soit, les rites auxquels sa mère doit la pousser à se plier, et surtout, la colère lorsqu’une étrangère débarque après les funérailles en trainant par la main un petit garçon. Elle dit s’être occupé de lui pendant plusieurs jours depuis la mort d’Angie, dont il est le fils, mais qu’elle ne peut plus s’en occuper ; puisqu’il est aussi l’enfant de Skhumbuzo, sa place est dans la maison des Mahlangu. Kitso, et on la comprend, est furieuse ; elle est également convaincue qu’il s’agit d’une arnaque, parce que quand même, si son mari avait eu un enfant de 7 ans, elle l’aurait su.
C’est là que l’épisode commence une curieuse bifurcation. Là où de toute évidence c’était sa perspective qui était centrale dans l’intrigue, Emoyeni commence à basculer sur la perspective d’autres personnages : Skhumbuzo Junior (ou « SJ »… oui, il porte le nom de son père), qui se retrouve trimbalé de foyer en foyer alors qu’il vient de tout perdre ; la mère de Kitso, qui prend l’enfant en pitié et en affection malgré l’hostilité de sa fille, dont elle sent bien qu’elle a besoin d’aide pour passer ce tournant difficile de sa vie ; et même Skhumbuzo lui-même. Ah, nous voilà donc arrivées au volet fantastique.
En effet, on comprend progressivement que Skhumbuzo est mort, mais que son sort est encore en suspens. Le sort de son âme immortelle, plus spécifiquement. Un chauffeur de taxi du nom de M’Jab le dépose devant le domicile de sa femme, et lui indique que c’est ce que ressent Kitso pour lui qui déterminera où il sera envoyé. La série essaie de ne pas employer les termes (et échoue, au détour d’un tirade) mais clairement il s’agit de Paradis et d’Enfer. Et bien-sûr, plus il attend pour régler ses affaires, plus il va devenir certain qu’il sera destiné à brûler pour l’éternité.
Le problème c’est que Skhumbuzo, qui on le comprend n’est pas très fier du sale coup qu’il a joué à son épouse, refuse de la confronter directement, essayant plutôt de parler à son fils qui n’a pourtant pas le moindre pouvoir sur sa propre situation. Les choses trainent donc en longueur tandis que Kitso fait procéder à un test ADN, avant de finalement faire envoyer l’enfant dans un foyer pour orphelines.
Emoyeni veut en fait parler de ça : de la façon dont Skhumbuzo va devoir se racheter au yeux de celle qui a partagé sa vie pendant 10 ans. Et surtout, comment cela va obliger sa femme et son fils à se parler, malgré le chaos, malgré la colère, malgré le deuil.
Les spectatrices sont placées dans une étrange position : celle de finalement devoir compatir avec tout le monde. Ce qui en soi n’est pas forcément une mauvaise idée, c’est juste que la série n’a pas toujours le temps de rentrer dans la complexité de cette façon d’aborder les choses. Dans l’abstrait, oui, la colère de Kitso, le tristesse de SJ, et le désespoir de Skhumbuzo, sont toutes valides bien que reposants sur des intérêts en apparence contradictoires. Vouloir que chacun de ces personnages trouve une forme de paix n’est pas incompréhensible, ce qui l’est un peu plus c’est de ne pas expliquer pourquoi le consensus final a du sens émotionnellement pour tout le monde. Lorsque ce premier épisode d’Emoyeni se finit, on ne saurait trop dire si sa fin a été un peu précipitée, ou si sa conclusion repose sur une morale différente de, disons, pour caricaturer, Les Anges du Bonheur. Notez bien que les deux ne s’annulent pas nécessairement…
J’ai l’impression de ne pas assez le souligner dans mes reviews, mais découvrir des séries venues du monde entier, c’est aussi ça. Se demander si une série qui ne délivre pas forcément satisfaction en matière de développement dramatique et/ou de morale, le doit à des différences culturelles, à une intention artistique particulière, ou à un défaut de la série lui-même.
Est-ce qu’il était réellement nécessaire que, dramatiquement, on nous donne une raison qui paraisse valable au pardon de Kitso ? Dans le fond peut-être pas. Peut-être que tout ce qui comptait, c’était qu’elle apprenne à aimer cet enfant, malgré tout. Ou qu’elle se souvienne que son choix de ne jamais avoir d’enfant, répété à plusieurs reprises dans cet épisode, n’était en réalité pas tout-à-fait un choix au départ. Ou que toutes ces protagonistes trouvent un moyen de faire la paix avec la réalité, quand bien même ça n’a pas du sens objectivement. Ou bien, la série a une idée du pardon qui repose sur autre chose que ce à quoi le pardon correspond pour moi, une spectatrice qui n’est pas sud-africaine. Ou encore, peut-être qu’Emoyeni veut tout simplement me laisser décider comment interpréter tout cela…
D’ailleurs je n’aurai sans doute jamais de réponse ferme à cette question, mais, quelque part, c’est aussi pour me la poser (elle et toutes les questions semblables que mes explorations télévisuelles me posent) que je regarde une série sud-africaine. Ou égyptienne. Ou brésilienne. Ou japonaise. Parce que je ne veux pas juste des « histoires exotiques », je veux des histoires qui font sens pour d’autres. Je veux remettre en question ce qui me semble évident, même si, au final, ça ne m’empêche pas d’avoir mes préférences.
Regarder Emoyeni m’a rappelé que parfois, je ne vais pas comprendre parfaitement ce que je regarde (et pas pour de simples raisons linguistiques), parce qu’il me manque certaines références. Ca peut être aussi simple à expliquer que rechercher pourquoi le deuil en Afrique du Sud signifie rester assise sur un matelas ; ou ça peut être plus profond, comme ici, et ne jamais trouver de solution propre et satisfaisante. Plutôt s’accrocher à ce qui à mon sens devrait être, accepter qu’il y a des choses qui m’échappent, sans que ça m’empêcher de continuer.
Oh, attendez… je crois que je viens de choisir mon interprétation préférée.
C’est bien aussi parfois quand des choses nous échappent.