Avant de commencer ma review de pilote du jour, laissez-moi vous expliquer comment une review en arrive à exister.
Tout commence lorsque je regarde le premier épisode d’une série. Sauf que ce premier épisode est nul, qu’il n’y a rien à en dire, et qu’après l’avoir fini, je décrète que même en faisant un effort inhumain, il ne vaut pas que je m’acharne à lui dédier quelques heures supplémentaires de ma vie. Alors je regarde le premier épisode d’une autre série. Puis d’une autre. Puis d’une autre. Puis d’une autre.
Puis d’une autre encore et, celle-là, gloire en soit rendue au Dieu de la Téléphagie, est un peu plus intéressante, ou produite dans des conditions originales, ou créée dans un pays dont je ne parle pas souvent, ou s’inscrit dans une tendance qui mérite d’être discutée. Et du coup, là, enfin, je peux écrire une review de pilote. Ce genre d’écrémage, ce mois-ci, mis à part les jours où je publie une review de saison, s’est produit ou va se produire environ 5 fois par semaine (et le mois prochain, il semble même que ce sera 7 fois !).
A la longue, on prend un peu l’habitude ; on sait en commençant un épisode, dés les premières minutes, dans quelle catégorie il va venir se ranger. Ou du moins… on croit le savoir.
Mais aujourd’hui, je viens vous raconter l’histoire d’un premier épisode de série qui avait tout pour être quelconque, mais qui s’est démené comme un beau diable pour quand même avoir sa review. Approchez donc, qu’on cause un peu de Voskresenskiy.
Sur le papier, Voskresenskiy est une série historique policière russe des plus banales, genre que j’ai d’ailleurs en grande partie évincé de mes visionnages depuis que j’ai décidé de ne presque plus faire de place aux séries policières dans mon emploi du temps. Le héros auquel la série doit son nom est le Professeur Voskresenskiy, un médecin et enseignant en chirurgie qui, à ses heures perdues, vient également en aide à la police, à la fois comme légiste et même comme détective ; c’est sûrement pour cela que le titre international sous lequel la série est diffusée et distribuée est tout simplement Professor. Comme à peu près 712 autres personnages similaires, Voskresenskiy est un homme intelligent mais peu intéressé par les interactions humaines, il est assez froid et distant, pour ne pas dire déplaisant, et c’est un misogyne, ce sur quoi on va revenir dans un instant. Bref, c’est un Enfoiré Compétent comme la télévision, en particulier policière, les adore (pour toutes sortes de raisons, dont la principale semble être que la télévision est souvent décidée par des enfoirés qui se pensent compétents). Rien de nouveau sous le soleil, donc.
Derrière sa formule vue et revue, Voskresenskiy est aussi une série historique se déroulant en 1912, pas exactement une période rarement traitée par la télévision russe. De fait, la série entretient assez peu le mystère quant à son inspiration : on veut ici faire du Sherlock Holmes. Mais, contrairement à l’adaptation diffusée il y a quelques années (et dont j’avais parlé ici), sans en avoir les droits ; au passage, Sherlock Holmes et Voskresenskiy ont été toutes deux diffusées par la chaîne Perviy Kanal, ce qui n’est sans doute pas une coïncidence non plus. Bref je ne m’attendais à aucune fulgurance.
Le premier épisode de Voskresenskiy démarre alors qu’un jeune étudiant en médecine, un dénommé Fogiel, se voit assigner un poste d’assistant auprès du Pr. Voskresenskiy… un peu en dépit de celui-ci. C’est en effet l’université qui lui impose de prendre quelqu’un à son service, et on apprendra en cours d’épisode qu’il y a une bonne raison pour laquelle Fogiel, qui est sans le sou et en plus pas très assertif, a été choisi pour le job. Car oui, il y a un petit fil rouge qui commence lentement à être tiré pendant cet épisode introductif, même s’il ne s’agira clairement pas de notre préoccupation principale.
Fogiel prend son service le jour où Voskresenskiy attend un colis que le facteur ne lui a jamais apporté ; irrité, il décide d’aller lui-même faire une réclamation à la police, et apprend que tous les paquets que transportait le facteur ont été placés sous scellés en tant que pièces à conviction… après que celui-ci ait été retrouvé mort. Enfin, pas exactement : d’abord on l’a retrouvé brûlé vif, ensuite on l’a retrouvé mort. Voskresenskiy accepte d’apporter son expertise pour faire avancer l’enquête au plus vite, et décrète que les traces de brûlures sur le cadavre du défunt sont simplement dues à son état de santé, combiné avec l’allumage inopportun d’une cigarette.
Mystère résolu ? Pas vraiment. Et c’est là que Voskresenskiy prend un sacré virage.
Après avoir, plus tard dans la soirée, commencé à remettre en question son hypothèse, Voskresenskiy décide sans le dire à personne de se lancer dans une petite visite du logement dudit facteur. L’endroit a été mis à sac, mais notre professenquêteur y découvre l’emballage d’un livre, en conclut rapidement la provenance, et par là, se lance dans une excursion à la librairie locale, où il déniche un double de l’ouvrage.
Ce n’est même pas la partie la plus tirée par les cheveux : soudain, en lisant le livre, on se retrouve à parler d’architecture, puis d’une sombre affaire d’enlèvement qui se serait déroulée là où l’une des photos de l’ouvrage a été prise, un manoir situé dans la campagne environnante. L’adjoint du procureur et son épouse ont en effet, voilà 3 ans, perdu leur jeune fils, qui aurait été enlevé par un de leurs domestiques dans leur demeure en marge de la ville.
On débarque donc dans la villa, qui est glauque au plus haut point, en partie parce qu’il faut passer par le cimetière familial pour entrer dans le manoir, en partie parce qu’un chien hurle à la mort pendant toute la durée de la visite, et en partie parce que la famille s’apprête à déménager et qu’il y a donc des meubles et objets partout. Du reste, on ne mentionnera plus ce déménagement pendant le reste de l’épisode. Voskresenskiy y entre sous un faux-prétexte, expliquant qu’à cause d’un cas de choléra détecté à proximité, il doit procéder à un examen de toutes les personnes du foyer. Un mensonge qui n’aura aucune espèce d’utilité ou de retombée ; ledit examen n’aura jamais lieu. Il apprend que l’épouse en question a fait une chute un peu plus tôt dans la journée et qu’elle ne se sent pas bien ; le professeur accepte aussitôt de l’ausculter. On n’entendra plus jamais parler de la chute en question. Finalement, l’adjoint du procureur fait une apparition, décrète qu’il est 16h donc l’heure du dîner, et met Voskresenskiy et Fogiel dehors. Toujours avec le chien qui hurle à la mo-… ah, non tiens, l’un des domestiques de l’adjoint du procureur l’exécute à ce moment-là.
Je. Comment vous décrire mon expression devant cet enchaînement ? On semblait avoir basculé dans une réalité parallèle. En l’espace de quelques minutes Voskresenskiy avait totalement écarté son histoire de facteur brûlé vif pour s’intéresser à cette famille bizarre et son manoir ressemblant à une brocante bordélique (même pas une brocante normale, vraiment). Les personnages disent un truc et font le contraire, il y a une atmosphère absolument irréelle, et on ne sait plus du tout comment on a atterri là au lieu de s’inquiéter du sort du facteur. Et puis soudain le chien abattu sans explication, pardon !? Qu’est-ce que le fuck ?
En réalité, Voskresenskiy a une raison d’évoquer une partie de ces ingrédients, mais c’est noyé dans une telle superposition de couches de bizarreries insondables, qu’on a l’impression que la scénariste Anastasiya Istomina a fumé des substances peu légales dans son pays avant de se mettre devant son ordinateur. Ce n’est même pas vraiment que l’intrigue introduit des fausses-pistes, c’est surtout que l’épisode est complètement en roue libre.
Certains de ces éléments finissent par avoir du sens au terme de l’enquête (parfois de justesse… par exemple dans le dernier dialogue de la dernière minute de l’épisode). D’autres ? Absofuckinglutely not. Voskresenskiy part dans absolument tous les sens. Et quelque part, c’est délicieux, surtout pour un genre aussi cérébral et (osons le dire) guindé que la série historique policière.
Par-dessus le marché, ce premier épisode de Voskresenskiy prend le temps d’introduire une protagoniste féminine de la plus étrange des façons. Ou plutôt, à l’instar du reste, au début ça ne semblait pas très étrange, et ça devient très vite n’importe quoi.
Quelques minutes après que Fogiel ait fait la rencontre de Voskresenskiy, tous les deux partent en calèche vers le poste de police, et sur leur chemin, croisent une jeune femme qui essaie d’échapper à des agents de police. Ni une ni deux, Voskresenskiy lui propose de faire un bout de chemin avec eux dans la calèche, et la dépose quelques minutes plus tard quand la maréchaussée a cessé de la poursuivre. On n’en saura pas plus pour le moment, et pour cause, la jeune femme en question a exactement QUATRE scènes dans ce premier épisode.
Plus tard, on apprendra qu’elle s’appelle Maria, et qu’elle travaille comme sténographe dans l’un des quotidiens de la ville (et que si la police la poursuivait, c’est parce qu’elle a falsifié un compte-rendu d’audience ; ça n’aura plus d’incidence pendant le reste de l’épisode, mais peut-être pas pour le reste de la série). Maria, qui est plutôt intelligente et, en plus, assez politisée, ambitionne pourtant de faire un peu plus que du traitement de texte. Elle demande à son rédacteur en chef de la laisser faire du journalisme, sauf que, évidemment, elle n’est pas compétente puisqu’elle est une femme, et se fait renvoyer à son travail de copiste. En voyant ça, j’ai poussé un soupir : su-peeer, encore une série historique dans laquelle une femme de toute évidence intelligente, et revendiquant une égalité de traitement avec les hommes, est méprisée en raison de son genre. Depuis quelques années, on ne voit pas du tout ça dans une série historique sur deux (généralement avec l’idée sous-jacente que « c’était pire avant »).
Sauf que lorsque le vénérable Voskresenskiy vient pour consulter les archives du journal en cours d’épisode, elle en profite pour lui soutirer quelques renseignements, et le lendemain elle publie un article dans le journal, qui embarrasse le bureau du procureur. Et là vous vous dites : de quoi ? Comment ? Qu’est-ce qui quoi pourquoi hein ? D’où elle est soudainement autorisée à publier un article aussi compromettant dans le même journal où elle était méprisée la veille ?
En découvrant l’article (bien aidé par son ami le commissaire de police, qui est convaincu qu’il a fait fuité certaines infos confidentielles), Voskresenskiy décide d’aller confronter Maria. Et c’est l’occasion pour moi de réaffirmer que Voskresenskiy est un misogyne de la plus belle espèce, et que… la série est complètement d’accord avec lui, en fait. Il y a des séries dans lesquelles la misogynie du héros, surtout s’il est dépeint comme un equal opportunity asshole, est plutôt montrée comme une tare, mais pas ici. Le professeur n’en finit pas de ridiculiser sèchement Maria pour ses ambitions, à plus forte raison parce que celle-ci indique haut et fort qu’elle mérite l’égalité. Or, l’égalité, Voskresenskiy se torche avec, voilà. Et avec les femmes qui veulent l’égalité, plus encore.
Et la série est là, genre : ok, on fait ça. Si bien qu’en fin d’épisode, Maria est devenue… l’une des antagonistes de la série. Oui-oui, le seul personnage féminin récurrent (à part l’employée de maison de Voskresenskiy, qui aura pour seul trait distinctif d’exorciser le bureau de son patron à un moment de l’épisode parce que, je cite « ah, les démons l’embêtent encore »). Précisément, parce qu‘elle est féministe et qu’elle veut des opportunités en tant que journaliste plutôt que décoration de bureau.
Je ne sais pas comment vous dire à quel point l’hallucination est totale devant Voskresenskiy. A tous les niveaux. Il faut le voir pour le croire et, par chance, la série est disponible sur Youtube, mise en ligne avec sous-titres anglais immédiatement après sa diffusion sur Perviy Kanal en novembre. Rien ne m’avait préparée à l’immense bordel de cet épisode. Qu’on soit bien claires : rien de tout cela n’est réellement bon. Mais les chemins de traverse inexplicables de l’intrigue d’une part (attendez de découvrir ce qui est arrivé au propriétaire du chien), et les choix idéologiques d’autre part (sur le féminisme mais aussi, en creux, sur la lutte des classes) rendent cet épisode totalement hors-normes.
Du coup, vous comprenez bien que je me devais de vous en parler, ne serait-ce que dans l’éventualité où l’une d’entre vous irait vérifier que cet épisode existe bien, et que je ne l’ai pas imaginé après avoir été droguée à mon insu. Notez bien que je ne le recommande pas, mais si ça venait à se produire, ça me soulagerait, quand même. Et puis franchement, parfois, j’ai envie de faire une review moins prise de tête sur une série plus anodine, parce que je vois passer tellement de trucs chiants comme la pluie qu’un ovni comme Voskresenskiy, quand bien même je n’en poursuivrai jamais le visionnage, mérite bien que je partage ma découverte…
Cette série semble….intéressante. Il faut de tout pour remplir les cases à la télé ?