L’école est finie ?

8 décembre 2021 à 20:27

C’est à mes yeux un grand mystère de la télévision : il n’y a vraiment pas beaucoup de séries parlant du milieu scolaire. Oh, il y a beaucoup de séries se déroulant en milieu scolaire, mais il s’agit généralement de teen dramas n’éprouvant aucun intérêt envers l’école, et d’ailleurs la meilleure preuve c’est qu’on y voit en général les couloirs ou la cantine, mais pas les classes ou les salles de professeurs. C’est d’autant plus étonnant qu’il y a difficilement plus universel que l’expérience de l’école, sur laquelle absolument tout le monde semble avoir une opinion (même voire surtout les familles n’y ayant pas recours), mais étrangement, les séries y restent timides.
ABC tente courageusement sa chance en ce mois de décembre, en lançant une nouvelle comédie, Abbott Elementary ; un mockumentary qui suit, comme son titre l’indique, la vie d’une école primaire (chose encore plus rare à la télévision).

Située à Philadelphie, Abbott Elementary souffre, comme beaucoup d’école publiques dans un quartier défavorisé, d’un manque cruel d’argent et de considération. Le premier épisode nous l’annonce d’entrée de jeu, mais insiste sur ce point avec une intrigue qui semble servir de déclencheur pour les épisodes ultérieurs. Peut-être que je m’avance un peu cela dit.
S’il s’agit bel et bien d’une série chorale, c’est la perspective d’une institutrice en particulier, Janine Teagues, qui prime ; celle-ci est encore jeune et relativement inexpérimentée, et fait partie des rares membres du personnel enseignant recruté récemment à avoir tenu bon et n’avoir pas (…ou pas encore) déposé sa démission. Elle est pleine de bonne volonté, et aime sincèrement ses élèves, mais fait preuve d’un manque évident d’autorité. Lorsque la série commence, elle découvre que l’un de ses élèves urine sur le tapis de sa salle de classe, et se met en tête de demander la directrice Ava Coleman un nouveau tapis en remplacement.
En parallèle, l’une de ses collègues, complètement dépassée par sa classe, retourne des coups à l’un de ses élèves, et se retrouve virée. Il devient donc urgent d’investir, à la fois dans un poste de remplaçante (plutôt que de laisser la classe être gérée par l’homme d’entretien de l’école) et dans de l’équipement. Pas de chance, Mme Coleman ne voit pas les choses de la même façon, et Janine, avec ses collègues, va devoir se confronter à elle pour le bien de ses élèves.

L’intrigue initiale d’Abbott Elementary n’est pas très complexe, mais elle a justement le mérite de la clarté : l’épisode répète à l’envi combien les conditions matérielles sont la plus grosse difficulté à laquelle les enseignantes font face. Ici on ne va pas insister sur les parents qui couvent exagérément leur marmaille (comme dans Monster Parent), sur la violence qui gangrène l’établissement (il faut dire que les élèves sont plus jeunes que dans Boston Public), et certainement pas sur l’incompétence d’un personnel plus loufoque que fiable (genre Teachers), quoiqu’il ne soit pas impossible que tout ou partie de ces ingrédients apparaissent dans des épisodes ultérieurs.
Le choix est celui d’une démonstration implacable que le système de l’école publique repose sur l’argent, et qu’en l’absence d’un financement décent et juste (aux USA encore plus qu’en France, ledit financement dépend des impôts locaux), ce système ne fonctionne tout simplement pas.

Pour l’illustrer, Janine est entourée de collègues aux parcours et approches variées : Jacob Hill, qui a travaillé dans l’humanitaire avant d’arriver dans l’enseignement au même moment que Janine ; Melissa Schemmenti, une quarantenaire acerbe et qui semble souvent vivre en marge de la loi ; ou encore Barbara Howard, la doyenne des profs de l’établissement, une femme au visage et méthodes sévères, mais éminemment efficace. Toutes ces collègues ne partagent pas la naïveté de Janine, mais elles vont en tout cas se révéler, en cours d’épisode, être d’accord avec elle sur l’essentiel : les élèves méritent qu’on essaie de créer une meilleure école. Malgré tout.
C’est dans ce bazar ambiant que débarque un nouveau remplaçant, Gregory Eddie, qui va bientôt être embarqué dans le mouvement général.
Et de mouvement il semble bien être question ici. Plus qu’une chronique du quotidien, le premier épisode d’Abbott Elementary apparaît résolu à parler du changement, celui qui est nécessaire et celui que l’on obtient, et hélas de la différence entre les deux.

J’avoue que je suis moins enthousiaste sur l’aspect mockumentary de la série, qui ne me semble pas trouver de justification narrative (pas plus de deux répliques seront accordées à ne serait-ce que reconnaître la présence des caméras) ou comique (à part briser le quatrième mur, ce qui n’est pas d’une originalité folle). De mon point de vue c’est même en contradiction avec ce que raconte Abbott Elementary, puisque les conditions de travail des enseignantes souffrent, par définition, d’une méconnaissance et d’un désintérêt général… Tout ce que je peux dire de ce procédé, c’est qu’il rappelle encore plus la parenté évidente entre Parks and Recreation et Abbott Elementary, ce qui pour certaines téléphages sera un argument vendeur. Soit.
En tout cas, même si ce premier épisode ne sort pas forcément des sentiers battus, son optimisme fatigué séduit. L’attitude de Janine, qui n’a pas encore perdu le feu sacré, et le contraste offert par la retenue (pour ne pas dire la résignation) de certaines autres profs, donne un équilibre vraiment solide au discours de la série, à la fois sur l’état de l’école publique, et sur les cas particuliers rencontrés à Abbott Elementary. On a l’impression à la fois que les choses sont désespérées, et qu’elles ne le sont pas tout-à-fait. Qu’à une petite échelle, peut-être, l’école n’est pas totalement finie, quand bien même tout indique que la moindre victoire sera obtenue au prix d’énormément d’échecs.
Je ne sais pas si les spectatrices, étasuniennes ou non, ont envie d’entendre ces choses-là même sous la forme d’une comédie. Cela dit, c’est tellement rare que ça se produise que je recommanderai tout de même de se mettre devant avant que ne sonne la fin des cours.


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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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