Chaque année je m’étonne un peu que Netflix ne se soit toujours pas saisie de la tradition télévisuelle du Julkalender (…même si je sais très bien que les traditions télévisuelles, Netflix se torche avec), qui consiste à diffuser, comme un calendrier de l’Avent, un épisode de série nordique par jour entre le 1er et le 24 (Jul) ou 25 décembre (Noël). J’ai parlé plusieurs fois de ces séries par le passé (dans cet historique, par exemple), et je leur voue une tendresse sincère. Je trouve la tradition belle, et en plus, elle est parfaitement exportable dans d’autres pays de tradition chrétienne, donc le refus de Netflix à s’y investir m’apparaît comme d’autant plus obtus. Précédemment, Hjem til Jul avait presque réussi à s’y coller, et puis non.
Cette année, on n’est pas passées très loin non plus : Netflix propose effectivement une série danoise dont le thème évoque Jul/Noël, avec son lot d’enfants, de décorations de Noël, et de… lutins mangeurs de chair ?!
Ah.
Oui, bon, Nisser (ou Elves de son titre international) n’est pas exactement le doux Julkalender auquel je m’attendais. D’ailleurs, avec seulement 6 épisodes (sur lesquels je vais légèrement spoiler, soyez prévenue), elle n’est pas un Julkalender du tout. Mais ma foi… close enough, comme vous allez le voir.
Dans le premier épisode de Nisser, tout commence pourtant gentiment. Josefine (dite « Jose »), ses parents Mads et Charlotte, et son frère aîné Kasper, viennent passer les fêtes de fin d’année sur une petite île isolée de tout, Årmandsø. Tellement isolée qu’il n’y a ni internet, ni même de couverture mobile, et c’est déjà pas mal qu’il y ait l’électricité ! L’idée des parents est que, vu que la famille vit dans le stress de Copenhague toute l’année, ça ne peut pas leur faire de mal de s’éloigner pour les fêtes, au calme, ensemble. Sauf qu’en arrivant, leur voiture percute quelque chose, et malgré les interdictions de ses parents, Josefine décide d’aller secrètement chercher quel genre d’animal a été renversé, pour lui porter secours.
Sauf que ce ne n’est pas un animal de la forêt comme les autres qu’elle trouve, mais une espèce de petit être étrange. Avec ses grands yeux et ses petits cris effarés, il est adorable ; elle le prend sous son aile et l’installe dans la grange de la maison que loue sa famille.
Du point de vue de Josefine, Nisser commence comme l’une de ces innombrables fictions dans laquelle une enfant ou jeune adolescente découvre un animal sauvage-mais-mignon, se porte à son secours, et se lie d’amitié avec, malgré les méchantes adultes qui voudraient l’éradiquer ou au moins le garder en captivité. Tous les thèmes habituels sont là, d’autant que la jeune fille ne s’entend pas avec ses parents et qu’elle se trouve dans un endroit inhabituel, qui sont absolument des tropes du genre.
Pas de chance pour elle, Jose n’a pas lu le scénario de Nisser, et ignore que la réalité est bien autre. Kee-Ko, la créature qu’elle pense protéger des adultes est en réalité un bébé nisse… et son absence a rendu les nisser adultes furax. Les villageoises d’Årmandsø, qui connaissent les risques, ne sont guère plus ravies ; Karen la première, qui est à la tête de la petite communauté rurale vivant sur l’île.
Mais il est trop tard : la situation est d’ores et déjà hors de tout contrôle.
Outre la tuerie qui se prépare, ce qu’il y a de plus original dans Nisser, c’est le traitement de ces fameux lutins. Le nisse (une créature authentique du folklore scandinave) est un animal, et à ce titre, il fait partie de la nature. Or, la nature n’est pas intrinsèquement mauvaise, elle n’est d’ailleurs pas bonne non plus, elle est, simplement.
C’est très parlant qu’Årmandsø, l’île où se déroule l’intrigue, soit une réserve naturelle. Karen veille en particulier à ce que l’équilibre soit préservé ; elle met par exemple un point d’honneur à ne pas couper d’arbres, même quand la famille tente de couper un sapin de Noël ; sans doute l’expérience traumatique vécue lorsqu’une scierie s’était implantée dans les bois aura-t-elle servi de leçon. Elle prend sa mission très au sérieux et supervise les sacrifices bovins que la communauté offre régulièrement aux nisser en échange d’une relative paix. Les lutins se voient en effet offrir régulièrement des animaux vivants qu’ils peuvent dévorer autant qu’ils veulent, pourvu de ne pas sortir du territoire qui leur a été assigné (délimité par des barbelés électrifiés qui entourent l’épaisse forêt d’Årmandsø), et n’attaquent pas d’humaines.
Dans Nisser, ce qui est dangereux n’a pas nécessairement vocation à être éliminé, il faut simplement trouver un équilibre. Lorsque cet équilibre est menacé, et que la communauté humaine compte sa première victime, la première réaction des habitantes de l’île n’est d’ailleurs pas d’essayer de se débarrasser des nisser. Nisser n’aurait jamais pu être une série étasunienne, au passage, et ça ne tient pas qu’à la créature mythologique.
A plusieurs reprises, Nisser tente ouvertement de parler de cela : de l’importance de préserver une nature qui nous précède, quand bien même elle serait dangereuse. Respecter la nature, ne pas chercher à tout crin à la posséder, et moins encore la menacer, apprendre des erreurs du passé, n’est pas facultatif : c’est vital pour survivre. Et si l’on trouble la quiétude millénaire des lieux, eh bien, il faut en assumer la responsabilité. La fable écologiste est assez transparente. D’ailleurs c’est intéressant de faire reposer la menace de la nature sur les épaules de la jeune génération qui agit au mépris de la sagesse des anciens, oui voilà, disons que c’est intéressant.
Manque de chance, Nisser a un peu de mal à concilier ce propos avec les motivations de son héroïne, Josefine. En fait plus la série avance, plus la leçon de morale s’impose aux spectatrices, mais pas à la protagoniste. On peut même carrément dire à la fin de la saison/série qu’elle n’a rien appris de ses erreurs. Convaincue (uniquement par elle-même) qu’elle doit sauver Kee-Ko de l’enfermement dans l’enceinte barbelée, elle passe son temps à essayer de le retrouver, au point d’entrer dans le sanctuaire des nisser et provoquer leur colère en tuant accidentellement l’un des leurs. A partir de là, les elfes s’énervent encore plus, et tentent de la tuer… mais rien à faire, Jose continue d’essayer de sauver Willy. En dépit du bon sens. Pire : la série, qui avait pourtant lourdement insisté sur le besoin de préserver les arbres, les pissenlits, les oiseaux et les elfes tueurs, va faire un volte-face total, et (ça explique le nom) transformer Karen en vilaine méchante. Alors que tout ce qu’elle veut, c’est apaiser les êtres de la forêt avant que tout le monde se fasse zigouiller ! Son discours à Josefine sur ses responsabilités, et donc sur l’acceptation des conséquences de ses actes, tombe du coup complètement à plat. Alors certes, Karen a des méthodes bien à elle pour restaurer l’équilibre, mais euh… du coup c’est quoi la morale de l’histoire ?
On ne le saura pas parce que, sans vouloir vous spoiler (mais un peu quand même), quand Jose finit par réchapper au massacre, son seul regret est de ne pas pouvoir quitter Årmandsø avec Kee-Ko sous le bras. Ceci dit, on sait pas hein, peut-être qu’en saison 2 elle regrettera pendant une micro-seconde d’avoir causé la mort de plusieurs innocentes dans des souffrances atroces ?
En regardant le premier épisode, je me suis demandé si Nisser était une série d’épouvante pour la jeunesse. Certains signes le laissent penser : la violence est plus souvent suggérée que montrée, les nisser ne sont pas très effrayants, ainsi bien-sûr que la présence d’une héroïne de 12/13 ans dont la motivation l’emporte. La série passe un temps non-négligeable, en particulier pendant les premiers épisodes, à insister sur les velléités d’indépendance de Jose, qui ne veut qu’une chose, c’est être traitée comme une adulte… mais évidemment quand il faudra assumer ses choix comme une adulte, là elle sera bien contente qu’on se porte à sa rescousse comme une enfant, sans aucune sorte de rançon karmique ni scénaristique pour ses agissements. Le refus clair et net de Nisser de faire payer le prix fort à son héroïne pour le coût humain immense qu’elle a occasionné me semble être la preuve que la série ne voulait pas choquer les spectatrices s’identifiant à elle, et ces spectatrices, pardon, ce ne seront pas des adultes.
…Le problème c’est que, d’un autre côté, Nisser est quand même une série d’horreur. Un poil plus effrayante qu’Are you afraid of the dark?, quand même. Je vous garantis que vous ne voulez pas mettre des gosses de 7 ou 10 ans devant cette série ! Netflix indique qu’elle est plus indiquée pour les 13 ans et plus (ce qui colle avec l’âge apparent de sa protagoniste), mais euh, bon, ça dépend quel gamine de 13 ans, je pense. Après c’est sûr que si votre marmaille a déjà regardé Ojingeo Game, bon, effectivement, allez-y, mettez-la devant Nisser pendant que j’appelle les services sociaux. Ce n’est pas que la série soit suprêmement sanglante, mais on va quand même y trouver une tête décapitée et surtout, beaucoup de jump scares. Je sais pas pour vous mais je mets pas des mioches devant ce genre de choses. Après, bon, ce sont vos gosses, hein ; au pire si vous les traumatisez vous en ferez d’autres.
Donc voilà, tonalement, je sais pas trop à qui Nisser pense réellement s’adresser. L’ambition était-elle de jouer sur les ressorts du Julkalender pour délivrer de l’horrifique pour adultes, ou s’agit-il d’une série pour enfants ayant trop regardé Netflix ? On ne sait pas. Pour un jeune public jusqu’au début de l’adolescence, c’est un peu trop dur. Pour un public adolescent ou jeune adulte, ça semblera sûrement un peu risible. Et pour les adultes ça semblera n’avoir aucun bon Dieu de sens.
Je l’ai regardé fin novembre et c’était un bon mix Halloween/Noël pour la période disons mais effectivement j’ai aussi trouvé que certaines choses manquaient de sens, et j’ai tellement crié sur certains des persos ^^ »
Pour moi c’est typiquement le genre de séries qui prouve que Netflix n’intervient PAS ASSEZ dans ses séries originales. Genre, si à la place d’une série c’était un article, je te dirais que cet article a besoin d’une éditrice pour remettre des choses dans le cadre ; Netflix ne semble pas faire son travail d’éditeur, laissant la bride sur le cou à ses showrunners. C’est presque laisser TROP de liberté, souvent, et ça s’en ressent sur la qualité finale. Mais quand on produit 712 séries par an, même en embauchant des flying producers à la chaîne, il y a bien un moment où on ne peut pas maintenir un contrôle de qualité partout. C’est exactement ce que j’ai ressenti devant Nisser : en peaufinant un peu, ç’aurait été mieux, mais ma foi, pour remplir le programme de sorties, c’est assez bien come ça.
Alors le 24 n’est pas Jul qui est bien le 25 aussi, c’est juste qu’on fait la fête le 24 qui est le Julafton, litt. la veille de Noël. 😉
Oui, bon, encore une série que je ne regarderai pas même si l’idée d’utiliser des tomtes est pas mal.