Il est assez rare que les séries sud-africaines nous parviennent.
Deux explications principales à ce phénomène : d’une part, ces séries sont sud-africaines, et on sait à quel point les diffuseurs de tous poils font mine d’ignorer l’existence de tout le continent dans leurs acquisitions autant que possible. Je ne me permettrais jamais de présumer du pourquoi de la chose, bien entendu… Et d’autre part, historiquement, ces séries sont souvent des soaps. Enfin, bon : là-bas, on dit « soapies ». Il ne s’agit pas de séries de daytime (la plupart du temps, les épisodes originaux sont diffusés entre 18h et 20h30 les soirs de semaine), mais des séries quotidiennes ou semi-quotidiennes tout de même.
Et si ces soapies ont connu des évolutions de format depuis environ une décennie, notamment avec la création d’un nombre grandissant de telenovelas locales (donc des soaps à durée limitée), ils ont encore, très souvent, la préférence des spectatrices sud-africaines… or, il ne vous aura pas échappé que l’import de séries quotidiennes n’est pas exactement la priorité des diffuseurs européens non plus.
A cela faut-il encore ajouter le fait que beaucoup de ces soapies sont tournés dans un mélange de plusieurs langues (dont l’anglais et/ou l’afrikaans, l’isiZulu, le setswana, ou encore le xhosa), pour lesquelles je ne suis même pas convaincue que nos amis de chez Dubbing Brothers ou Nice Fellow aient le personnel de traduction nécessaire. Il est vrai que cela conduit parfois des nuances socio-culturelles pas toujours faciles à transcrire dans de simples sous-titres, ou pire, un doublage (un exemple de ces nuances est visible dans la série de Netflix How to Ruin Christmas: The Wedding, et j’en ai parlé il y a quelques mois, si vous êtes curieuse).
L’accès à ces séries est donc compliqué, l’affaire est entendue. Aussi, lorsque j’ai réalisé que je pouvais regarder le premier épisode du soapie uBettina Wethu, j’ai sauté sur l’occasion.
Lancée au printemps dernier, uBettina Wethu est une série qui devrait vous en évoquer une autre. Essayez de voir laquelle, mais sans tricher !
Bettina Sikhakhane est une jeune femme qui ambitionne de s’élever socialement, et tirer sa famille vers le haut, surtout depuis le décès de sa mère qui l’a poussée à s’occuper à elle seule du bien-être de son père et son jeune frère. Pour cela, elle espère décrocher un emploi au sein de la rédaction du prestigieux magazine Nubia, et quitte donc la petite maison où elle a toujours vécu, dans un township de Hammanskraal, pour les gratte-ciel de Johannesburg. « Betty » (je vous aide, là, franchement) n’est pas très jolie, et un peu maladroite, mais elle est pleine de bonnes intentions et intelligente, quand bien même elle n’est pas coutumière de la vie dans une grande ville.
Et encore moins habituée à la survie dans un panier de crabes comme Nubia !
Vous l’aurez deviné, uBettina Wethu (« notre Bettina ») n’est nulle autre que la dernière adaptation en date de Yo soy Betty, la fea ; cette dernière, dont la diffusion remonte au siècle dernier (…bon, 1999, mais quand même) est la série colombienne la plus populaire de tous les temps, diffusée et/ou adaptée dans plus d’une centaine de pays.
C’est pas moi qui le dis, c’est le Guinness des records ! Inde (Jassi Jaissi Koi Nahin), Brésil (Bela, a feia), Allemagne (Verliebt in Berlin, diffusée en France sous le titre Le Destin de Lisa/Le Destin de Bruno), Pologne (BrzydUla), Vietnam (Cô gái xấu xí), Algérie (Timoucha), et bien-sûr USA (Ugly Betty, où pourtant les adaptations de telenovelas en anglais sont plutôt rares)… 20 ans que le format voyage. Il n’y avait qu’une région qui avait été épargnée jusqu’alors, l’Afrique noire, et uBettina Wethu vient donc combler ce manque. Bettina est d’ailleurs la première « Betty » noire, toutes nationalités confondues.
Ce qui est intéressant dans cette version, c’est que Bettina n’est pas vraiment dépeinte comme laide ou même inélégante pendant la majeure partie de l’épisode. Elle est au contraire très attentive à sa tenue pendant cette introduction, pendant laquelle elle s’apprête à la fois à faire son grand voyage vers JoBurg, et courir un marathon de 3 entretiens avec quelques unes des entreprises les plus en vue de la ville. Tout ça dans la même journée ! Dans la toute première scène de la série, nous la découvrons devant son miroir, dans sa chambre de jeune fille, en train de vérifier que sa coiffure est impeccable avant de prendre la route. Et lorsque, comble de malchance, un pigeon chie plus tard sur l’un de ses accessoires (le malotrus), elle se dépêche de faire un crochet par un magasin de vêtements, pour acheter un foulard de rechange assorti à sa tenue. On est loin du laideron négligé dépeint par certaines des autres versions.
Ce n’est que sur la fin de l’épisode, lorsqu’elle rencontre un homme qui lui plaît, puis lorsqu’elle entre enfin dans le saint des saint, c’est-à-dire les locaux de Nubia, que la série commence à faire un petit commentaire… Bref, lorsque la série introduit le regard de tiers (et de tiers se considérant comme une élite). Renvoyée à une apparence que pourtant elle pensait soignée, Bettina est un peu blessée, et sûrement pas pour la dernière fois.
Au juste je ne saurais pas dire si uBettina Wethu adopte une approche totalement différente ; l’intrigue, les personnages, les dynamiques sont pour l’essentiel similaires, au moins pour le moment. Même sur le plan de la beauté, thème cher à la série dans toutes ses incarnations, c’est moins une question de body positivity que d’origine : la série affirme ouvertement qu’il y a un rapport direct entre classe sociale et critères de beauté. Et un rapport entre classe sociale et accession à la beauté, aussi. La beauté est, dans uBettina Wethu comme dans la vie réelle, une construction sociale, qui dépend en grande partie du milieu dans lequel on a grandi et/ou auquel on a été exposé ; là-dessus le premier épisode n’a évidemment pas le temps de s’épancher, mais on en trouve tout de même une amorce explicite.
D’une façon générale, traiter des différences entre classes sociales est un objet récurrent du soap opera ; les pauvres sont presque toujours dépeintes comme armées de bonnes intentions et nobles de cœur, et les riches comme superficielles et dépravées. On en a la démonstration dans ce premier épisode, via l’introduction de Dingaan Jiyane, un coureur de jupons et menteur invétéré, obsédé par l’argent et le luxe (…et aussi la luxure). Je vous laisse deviner qui va devenir son assistante par la suite.
Proposée comme une exclusivité de la plateforme Viu (qui n’en finit pas d’investir en Afrique sub-saharienne), mais aussi co-produite avec la télévision publique SABC1, uBettina Wethu a de toute évidence trouvé le succès, malgré sa formule vieille de plus de deux décennies : la telenovela sud-africaine est d’ores et déjà assurée d’obtenir une deuxième saison. Une énième confirmation que l’histoire du vilain petit canard Betty n’en finit pas de séduire le public du monde entier.
Je ne savais pas que la telenovela datait déjà de 1999, ça ne nous rajeunit pas ma bonne dame. J’avoue que j’avais regardé le Destin de Lisa à l’époque et Ugly Betty, que le temps passe vite.