L’un des (nombreux) avantages de l’ère téléphagique faste qui est la nôtre, c’est que même au beau milieu du mois de novembre, il se trouve toujours une chaîne quelque part pour lancer une nouveauté. Cette semaine, cette chaîne, c’était par exemple Canal+ Afrique, qui proposait sa nouvelle série originale, Mami Wata. La branche africaine de la chaîne cryptée a en effet pas mal investi dans la fiction locale ces derniers temps ; on a pu parler par exemple de Sakho & Mangane l’an dernier.
La série gabonaise Mami Wata démarre sur le petit écran alors qu’elle a fraîchement été primée le mois dernier lors du FESPACO (le Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou, qui comme son appellation complète le souligne, propose également une sélection de séries). En effet, elle y a reçu le prix de la deuxième meilleure série, juste derrière la fiction sénégalaise Walabok, une plongée violente dans l’univers du rap réalisée dans un style documentaire.
Cependant, dans Mami Wata: Le mystère d’Iveza (son nom complet si l’on inclut la tagline), on ne fait pas dans l’hyperréalisme. Sur Canal+ Afrique, on nourrit une affinité pour les séries fantastiques. Après tout, c’était déjà le cas pour Sakho & Mangane, mais aussi la mini-série Manjak plus tôt cet automne ; en outre, c’est également elle qui diffusait Dead Places dans les pays d’Afrique francophone où la chaîne est présente.
Pourtant le plus curieux est que, malgré cet héritage, Mami Wata m’a surtout évoqué… des polars scandinaves.
Oliwina est une journaliste émérite, star de sa rédaction, qui revient au Burkina Faso après une semaine de reportage au Mali ; un déplacement pendant lequel elle n’avait aucun contact avec l’extérieur, faute d’accès à une connexion quelconque. A son retour à Ouagadougou, où elle vit et se prépare même à emménager bientôt avec son petit ami, elle découvre que son jeune frère Pao lui a laissé de très nombreux messages sibyllins, forcément restés sans réponse vu les conditions de son déplacement professionnel. Hélas, il est trop tard : quelques heures après son retour chez elle, Oliwina apprend que Pao a disparu. Elle prend alors la décision de retourner au Gabon, dans sa ville natale d’Agouwé… où elle n’a pas mis les pieds depuis une quinzaine d’années.
Mami Wata, c’est certes l’investigation autour de la disparition mystérieuse de cet adolescent (un garçon, pour une fois ; ça nous change), mais c’est surtout une portrait d’Oliwina, doublé d’une exploration de son histoire familiale compliquée.
Le premier épisode est en effet ponctué de plusieurs flashbacks nous indiquant que, si aujourd’hui elle se sent inquiète pour son jeune frère, il n’en a pas toujours été ainsi. Enfant, elle n’avait qu’un souhait : se débarrasser de ce bébé bruyant et envahissant dont ses parents (comme à beaucoup d’aînées) lui faisaient porter la responsabilité. Plus l’épisode introductif avance, plus on saisit l’ampleur de la colère de la petite fille… qui explique bien des choses sur son départ pour l’étranger, ainsi que sur le regard que sa famille comme le reste de la ville pose sur elle au moment de son retour.
Je trouve le sujet absolument fascinant parce que, dans l’ensemble, on ne parle pas vraiment de ce genre de relations entre adelphes dans les séries (et pas vraiment plus ailleurs). Ce ressentiment que, enfant, Oliwina ressentait envers son frère (qui évidemment n’y pouvait rien) parce que ses parents se déchargeaient un peu trop sur elle, je ne réalise que maintenant combien c’est quelque chose qui peine à s’exprimer dans la fiction… et pourtant assez naturel chez des ex-enfants uniques qui ne comprennent pas les besoins spécifiques d’un nourrisson. Cela n’empêche clairement pas Oliwina, une fois adulte, d’éprouver de l’affection et de la peur pour son petit frère aujourd’hui adolescent, mais les choses n’allaient pas de soi au départ. Être une sœur, et plus encore une grande sœur, ça s’apprend. De gré ou de force.
Surtout dans une famille comme celle d’Oliwina. Mami Wata fait vraiment un travail épatant lorsqu’il s’agit de montrer les dynamiques de cette famille dont, de toute évidence, la jeune femme s’est éloignée autant que possible pendant une décennie et demie. Les relations avec sa mère sont tendues, mais ce n’est rien à côté de son père, un homme politique autoritaire dont elle se méfie (et qui le lui rend bien). Dans cette maison gabonaise où elle n’a plus vraiment sa place depuis qu’elle est partie vivre au loin, la voix d’Oliwina est étouffée quand elle parle de Pao, comme si elle parlait d’un mort… mais en réalité, on comprend que l’étouffement dépasse les circonstances de la disparition de l’adolescent. Ce qui est enterré, c’est le lien familial. Cette vérité prend à la gorge à chaque interaction entre la jeune femme et son père ; je doute qu’il existe quoi que ce soit qui puisse un jour les rapprocher.
Approfondir l’histoire familiale de ces personnages pendant que se déroulent les recherches pour retrouver Pao suffisait largement à garantir à Mami Wata de trouver sa « double histoire » (ce procédé narratif qui a permis la popularité internationale des polars scandinaves ces 15 à 20 dernières années, et que j’expliquais par exemple ici). La radiographie de cette famille qui n’a jamais réussi à en former une est passionnante, et en moins d’une heure, le premier épisode fait un travail formidable pour en dessiner des contours déjà très précis.
Pourtant, à ma grande surprise, ce n’est pas le seul discours mis en place par l’exposition de Mami Wata. Un autre sujet pointe son nez, légèrement plus intéressé par des considérations plus larges sur la société gabonaise. Dés ce premier épisode, il apparaît ainsi que plein de monde se désintéresse totalement de Pao, ayant décrété d’office que l’adolescent a fait une simple fugue. Il finira par reparaître, entend-on à quelques reprises comme sous le coup de l’évidence… une évidence qui n’apparaît pas à Oliwina. Celle-ci va passer une bonne partie de l’épisode inaugural à essayer de comprendre pourquoi personne ne se bouge (donnant une tournure plus naturelle à sa propre prise en main de l’enquête), et se heurte non seulement à son père mais aussi… à la police.
Mami Wata propose plusieurs scènes assez glaçantes pendant lesquelles différentes employées de la police l’envoient purement et simplement chier. Il faut revenir plus tard, le commissariat est fermé. Il faut revenir plus tard, c’est ma pause. Il faut revenir plus tard, on n’a pas le temps (…ou plutôt l’envie). Il faut arrêter de poser des questions, surtout. Même le commissaire va la foutre dehors et jeter sa carte de visite. Il semble parfaitement acquis qu’elle est la seule à s’inquiéter, mais qu’il n’y a aucune raison de le faire. Après tout, plein d’adolescents font des fugues (…la police semble se désintéresser du « pourquoi » autant que du « où », d’ailleurs). Surtout un fils de député, comme Pao, un gamin supposément pourri-gâté qui ne suscite que le mépris. Le premier épisode va vraiment insister sur cette notion que, presque contre-intuitivement, la position de pouvoir du père d’Oliwina n’ouvre pas droit à des privilèges, mais au contraire à du dédain ; en réalité, à Agouwé, personne n’aime sa famille, ce n’est pas qu’elle. La journaliste elle-même, bien que dépitée, n’est pas réellement surprise par ce manque d’entrain ; elle s’attend plus ou moins d’ailleurs à ce que le seul flic qui finit par enfin prendre l’affaire au sérieux soit simplement en train de demander un pot-de-vin…
Ce qui se dit du système judiciaire au travers de ces échanges est glaçant. Et c’est, là encore, vraiment quelque chose qu’on voit peu dans la fiction. A l’heure où l’on parle de plus en plus de la difficulté à déposer plainte dans certaines affaires, a fortiori pour des femmes (dans le cas de violences physiques et/ou sexuelles par exemple), je trouve étonnamment rare cette façon de présenter une police qui fait défaut. Rare, mais courageuse. Je me demande ce que la série va faire de cet angle à mesure que progresse l’intrigue, une fois qu’il est établi qu’Oliwina va travailler sans l’aide de l’institution policière, avec juste UN flic un peu plus consciencieux que les autres.
Et par là-dessus, enfin, il me faut dire quelques mots de l’aspect surnaturel de la série. Parce que Mami Wata, décidément très ambitieuse, plante aussi quelques graines qui devraient germer dans les épisodes suivants. Décidément, quel premier épisode dense !
Le choix qui est fait ici est d’autant plus intrigant que l’aspect fantastique s’impose dés les premières minutes de l’épisode, pour ensuite faire uniquement des apparitions sporadiques et allusives. J’ai pourtant ressenti un frisson véritable, de concert avec Oliwina, lorsque cette dimension s’est présentée à elle dans sa salle de bain en début d’épisode. La sensation ne m’a plus vraiment quittée.
La récurrence de l’eau comme danger dans Mami Wata fait rapidement son petit effet. Elle commence déjà à s’expliquer en partie, bien-sûr, dont on prend la mesure au gré des flashbacks. L’effet est réussi, parce qu’amené rapidement et ensuite rappelé par petites touches pour perpétuer l’inconfort. Dans cette série, l’eau n’augure de rien de bon, ni pour les vivants ni en ce qui concerne… l’inexplicable. Et pourtant, Agouwé est complètement encerclée par l’eau, que ce soit celle de l’océan ou celle des mangroves ; on ne peut y échapper. Encore moins quand il pleut. Le clapotis des vagues ou le filet d’eau du robinet comme menace, je n’aurais jamais pensé que ça fonctionne autant, et pourtant j’ai commencé à être nerveuse à chaque fois que je voyais de l’eau apparaître. Il me manque sûrement quelques références pour en comprendre tous les tenants et aboutissants (« Mami Wata » est par exemple le surnom donné à Oliwina dans sa ville natale… et je ne suis pas certaine d’avoir exactement compris ce qu’il signifie, même si j’ai mes soupçons), mais reste qu’il est impossible de ne pas se figer quand, soudain, le liquide fait son apparition. Qui sait ce qui se trame sous la surface…
Est-ce qu’on s’imagine des choses ? Mami Wata fait semblant de cultiver pendant un court temps une légère ambiguïté ; mais qu’on ne s’y trompe pas. Si l’eau est effrayante, c’est qu’il y a une bonne raison. Même si on ne la connaît pas encore totalement, en tout cas on la perçoit.
Cet épisode introductif de Mami Wata marquait mon tout premier visionnage d’une série gabonaise ; je suis donc bien en peine de vous dire comment elle se situe par rapport au reste de la production nationale (je ne demande qu’à ce qu’on me fournisse des éléments de comparaison !). Certes il semble que le budget soit confortable (les scènes de nuit ont vraiment un éclairage envoûtant), mais pour le reste je ne saurais trop dire. En tout cas, entre les éléments dont je vous ai parlé et ceux que j’ai tus, au cas où il vous viendrait l’envie de découvrir la série (pour l’instant avec les moyens du bord), je suis plus que convaincue. La maîtrise de Mami Wata est évidente même en low resolution, et d’ailleurs sa créatrice Samantha Biffot n’en est pas à son coup d’essai (et même pas à son premier prix au FESPACO).
C’est le genre de séries pour lesquelles il n’y a aucune raison pour ne pas les importer chez nous, en tout cas aucune raison valable, à plus forte raison parce que Mami Wata était également projetée (même si pas en compétition officielle) lors de CANNESERIES. Les responsables de chaînes n’ont aucune excuse. Je ne veux rien entendre.
Avec ou sans leur aide, j’espère que je pourrai voir les épisodes suivants, et si possible dans une qualité qui me permette de profiter des splendides scènes de nuit de la série. Même si, bon, dans le même temps… je vais prendre ma prochaine douche avec l’esprit pas très tranquille, ce soir.