On n’est qu’en novembre et il peut se passer encore plein de bonnes choses (le legal drama Le Code, par exemple ? en tout cas j’y ai placé quelques espoirs), mais je soupçonne avoir trouvé ma série française préférée de 2021. C’est une série originale Canal+ Décalé qui, à ma grande surprise, n’a pas fait tellement de bruit au début de mois lorsqu’elle a été lancée, mais qui est définitivement un bijou : VTC, à bout de course.
Si vous n’avez pas envie de vous farcir toute ma review de la première saison, alors voici un résumé : tout ce que j’aime dans les thrillers high concept est condensé dans ces 5 épisodes de 15 à 25 minutes chacun. Il y a une ambiance impeccable, une inquiétude qui prend à la gorge, un portrait tremblant d’un personnage aux abois, et un soupçon de discours social. Le parfait cocktail pour se donner environ une heure et demie de frissons réussis !
Restez quand même pour la review !
Comme son nom l’indique, VTC, à bout de course se déroule dans le monde des « voitures de transport avec chauffeur » (on pouvait pas appeler la série « Uber, à bout de course« , les avocates de C+ en auraient eu des sueurs froides), et strictement de nuit. UNE nuit, pour être précise, car la série cultive une impression de temps réel (faussée, en réalité, mais ça fonctionne quand même), chaque épisode reprenant où s’est arrêté le précédent, et l’action d’un épisode couvrant une à deux heures de la vie de ses personnages, guère plus.
Le premier épisode s’ouvre sur une scène comme on en voit encore peu à la télévision française, sur une jeune femme du nom de Nora qui se réveille dans sa voiture, où elle vit. Après un brin de toilette, elle commence à sillonner la capitale pour se faire un peu d’argent avec des courses de nuit. Sa seule préoccupation dans tout cela : sa fille, qui vit avec son ex (ainsi que la nouvelle compagne de celui-ci), et dont elle espère obtenir un jour la garde. Mais pour ça, elle a besoin d’un logement… et donc d’argent.
Nora est une working poor, et sa seule possession terrestre est sa voiture. Sa vie dépend littéralement de ce véhicule à tous les égards. Enfin, non, elle a aussi un téléphone, et l’exposition de VTC nous démontre à quel point cet outil est vital aussi bien socialement (cela lui permet de parler avec sa fille, ou avec son frère Ben qui est également chauffeur) que professionnellement, puisque c’est ainsi que les courses des VTC sont systématiquement réservées. Sans avoir ni prendre le temps de l’expliciter, la série souligne quand même en creux les ressorts d’une situation économique dramatique : la pauvreté extrême de Nora pourrait encore facilement empirer, si l’un de ces deux outils venait à lui manquer. Ce qui n’est pas peu dire.
L’événement perturbateur, car dans tout thriller il y en a toujours au moins un, se produit lorsque, pendant une conversation au téléphone avec son frère, elle assiste en direct à l’accident de celui-ci. Utilisant les outils de géolocalisation, elle se précipite dans la rue où il a envoyé sa voiture dans le décor, et a tout juste le temps d’échanger quelques mots alors que les secouristes qu’elle a appelé l’emmènent aux urgences. Ben n’est préoccupé que par une chose pendant tout cet incident/accident : le sac qu’il était en route pour remettre à un client. Nora promet de finir la course pour lui, ignorant les avertissements de son frère qu’elle met sur le compte de l’état de choc.
Sauf qu’en amenant ledit sac à sa destination, elle se retrouve malgré elle embauchée pour des missions supplémentaires. D’autres sacs. Des courses d’autant plus suspectes qu’un mystère plane autour de tout : ce qui est transporté, par qui, pour qui, et pourquoi.
Mais à plusieurs centaines d’euros la course, Nora s’imagine mal refuser vu sa situation. Au cours de la saison, l’un de ses mystérieux interlocuteurs lui confessera d’ailleurs que « ce business est florissant grâce à des gens comme vous ». Quelqu’un aux abois. Au début, bien-sûr, les choses se passent bien. Quand bien même elle ne comprend pas les tenants et aboutissants de ce qui lui arrive, l’opportunité est unique. Mais ensuite, les choses se compliquent, et plus Nora en apprend sur le guêpier où elle vient de mettre les pieds, plus tout va empirer… et elle est dans une position vulnérable qui l’empêche de s’en extirper. C’est un cercle vicieux d’une situation personnelle désastreuse dont des personnes peu scrupuleuses et puissantes prennent avantage. Le commentaire social s’écrit tout seul.
La montée en puissance progressive de la tension dans VTC est vraiment réussie. Il y a très peu de temps morts, et la réalisation comme la narration prennent le soin de ménager des pauses sans vider ces respirations de sens, comme dans les incontournables montages observant à la fois Nora et ses clientes normales (entre deux commandes spéciales, elle a le droit de continuer son travail de VTC habituel). Les unes menant une vie ordinaire tandis que le stress de l’autre ne cesse de grimper…
VTC a une relation d’amour-haine envers les nuits parisiennes, et capture avec une déconcertante acuité et une toute aussi désarmante beauté des vignettes de la vie de Nora, mais aussi de noctambules de toutes sortes. Les rues de la ville, souvent réduites à des ombres et des lampadaires, défilent de l’autre côté des vitres. Il y a une forme de poésie dans ces plans et ces moments, mais qui ne laisse jamais oublier que Paris n’est pas glamour, et surtout pas la nuit. Paris de nuit, ce sont les gens qui triment pour des revenus de misère, des deals et trafics en tous genres, des crimes étouffés dans l’eau dégueulasse de la Seine. Et en même temps, c’est le quotidien de tout un monde que les Parisiennes et touristes qui vivent le jour ne verront ni comprendront jamais. Pour Nora et celles qui vivent comme elle, c’est tout ce qu’il y a… en tout cas, à part sa fille.
Il y a assez peu de place dans VTC pour la beauté, cependant. Les épisodes courts s’en assurent, et l’intrigue continue sa fuite en avant sans se vautrer dans le contemplatif. Cependant il faut quand même admettre que c’est de la belle ouvrage, en particulier pour une série majoritairement tournée dans ou autour d’une voiture. D’une façon générale, la profession de taxi/VTC est parfaite pour une série high concept, mais cette variation sait en tirer partie mieux que bien d’autres qui ont choisi, souvent, une articulation plus procédurale, voire anthologique (voir aussi : Suteki na Sen TAXI).
VTC brille en outre par des dialogues plutôt réussis qui, fait rare pour une série française, sonnent très peu comme étant écrits… mais aussi ne sonnent pas du tout comme improvisés, et sont donc en grande partie épurés des tics de language courants dans ces deux cas. L’interprétation sèche et nerveuse de Golshifteh Farahani n’y est pas pour rien, elle parvient à insuffler beaucoup de colère (plus ou moins rentrée) envers à la fois la situation au sens large, et les événements que son personnage vit cette nuit-là. C’est un beau rôle, et elle le porte bien. Je ne connaissais pas du tout cette actrice mais apparemment c’est une bonne année pour elle, vu qu’elle est aussi au générique de la série américaine Invasion cet automne (que je n’ai pas encore tentée). Après ce que je viens de voir, je ne lui souhaite que du bien.
Je ne vous révèlerai pas la conclusion de cette saison (oui, saison, pas série : avec un final comme celui-là, il DOIT y avoir une seconde saison), mais je l’ai trouvée étrangement satisfaisante dans son ultime twist. Les quelques plot holes que j’avais relevés pendant les épisodes ont trouvé, peut-être pas une solution parfaite, mais une explication parfaitement tenable, qui ouvre la porte à d’autres pics de tension à venir. VTC est un ovni de par son format, son sujet, son ambition, son ton, ses méthodes. C’est aussi le genre de série que j’imagine sans mal se bonifier avec le temps.
C’est exactement de ça dont j’avais besoin après m’être farci ces derniers mois des épisodes moins brillants d’autres séries françaises qu’on ne nommera pas, pour la paix des familles. Vous l’ignorez pour le moment, mais c’est de ça dont vous avez besoin aussi. La première saison de VTC, à bout de course mérite amplement l’heure et demie de votre vie que vous allez (je n’en doute pas) lui consacrer, idéalement… de nuit.
Tiens, c’est typiquement le genre de séries qui pourrait plaire à ma meilleure amie, maintenant est-ce que c’est trouvable quelque part avec des sous-titres en anglais, c’est une très bonne question.