En Amérique du Sud, les séries historiques sportives ne datent pas d’aujourd’hui. Je vous laisse deviner quel sport s’y retrouve le plus souvent… Amazon Prime a décidé de donner au peuple ce qu’il veut : non seulement la plateforme distribue à l’international la série colombienne La Selección, mais elle a aussi investi dans deux séries originales sur le sujet : El Pre$idente (une radiographie cynique du business du football sud-américain), et maintenant le biopic Maradona: Sueño Bendito.
C’est le genre de série qui devrait plaire dans l’autre pays du football, la France, à défaut d’avoir des séries locales sur le sujet (pas récemment en tout cas… d’ailleurs, il en est où, le projet Mercato ?).
Cela ne fait même pas un an que Maradona est décédé, et la douleur est, pour certaines, encore palpable. Est-il trop tôt pour un biopic sur pareille légende du ballon rond ? Peut-être… mais peut-être pas, car par-delà le foot et le culte de la personnalité, Maradona: Sueño Bendito a plus d’une surprise dans sa manche de maillot.
Le premier épisode de Maradona: Sueño Bendito fait un choix… intéressant. Voilà, utilisons ce mot !
On y met en parallèle le début et la fin. La série s’ouvre en effet sur une scène lançant les dernières heures du footballeur, tandis que l’essentiel de l’épisode va raconter le démarrage de sa carrière, depuis le moment où il est repéré à neuf ans à peine jusqu’à son ascension fulgurante, près de dix ans plus tard, alors qu’il devient l’un des joueurs préférés de l’Argentine. Ce qui est un peu désarmant avec ce choix, c’est que les deux époques ont un ton très différent… là où le jeune Diego est traité avec sérieux voire admiration, la série montre un Maradona dont la vie est tournée quasiment comme une dramédie, pour ne pas dire une comédie. Ce pourrait être un commentaire fin sur ce que l’homme est devenu avec le temps, peut-être même une critique ouverte de sa décadence, mais au stade de ce premier épisode, ce n’est pas certain. Ne reste que l’impression d’un grand écart tonal (qui s’accompagne, en outre, de choix de réalisation diamétralement opposés) qui donne un peu l’impression d’assister à deux séries montées ensemble par erreur.
Pourtant, malgré cet inconvénient, Maradona: Sueño Bendito est plus fine qu’il n’y paraît. Elle parvient à ne pas seulement braquer son regard sur la figure dont elle porte le nom. Le premier épisode essaye d’acquérir une vue d’ensemble non seulement de la place qu’a occupée ce héros national dans l’imaginaire argentin… mais aussi de la place de l’Argentine dans la vie de ce héros.
A quelques reprises pendant cet épisode introductif, Maradona: Sueño Bendito nous replace dans le contexte. C’est en 1969 que Diego Maratona fait ses débuts au sein de Los Cebollitas, un club pour jeunes espoirs du football… soit en pleine dictature militaire. Ses parents se revendiquent d’être peronistes, mais pas trop fort : certaines idées, certaines apparences même, peuvent coûter cher. Pour montrer leur attachement à leurs idées et celui qui les incarne, la série s’autorise même un peu d’anachronisme en faisant mourir Juan Perón quelques années plus tôt que dans la réalité. D’autres scènes, plus ou moins brèves, viennent rappeler que les militaires ont le pouvoir de changer la vie de tout le monde et n’importe qui, pour le meilleur (un gradé décide pour lui que Diego doit débuter dans une équipe adulte) mais surtout pour le pire (un homme est « disparu » sous les yeux du jeune homme après un match). La fin de l’épisode possède même une séquence purement historique, vous savez, avec du texte blanc sur fond noir, pour nous expliquer la gravité du régime à l’époque. Une série sportive aurait parfaitement pu éviter ces sujets, mais Maradona: Sueño Bendito estime que cela fait aussi partie de l’histoire de son protagoniste.
Plus largement, l’épisode s’arrête avec attention (et, sur la fin, nous délivre de nombreuses images d’archives) sur les conditions dans lesquelles Diego Maradona a grandi. Issu d’une famille très pauvre installée dans une bidonville, né parmi des adelphes nourries uniquement grâce au salaire d’ouvrier de leur père, Maradona est l’exemple-même de la personnalité partie de rien, et qui a tout obtenu.
En ce vendredi, ce sont en fait pas moins de trois séries sportives qui ont fait leurs débuts sur les écrans de la planète, Maradona: Sueño Bendito pour Amazon Prime, Colin in Black & White pour Netflix, et Swagger sur Apple TV+ ; les deux premières sont des biopics (…et toutes portent sur des sportifs masculin, certains jours Pitch manque plus que d’autres).
Ce que ces trois séries du jour (et d’autres, à l’instar de Survivor’s Remorse ou All American) nous disent, chacune à sa façon, ce n’est pas simplement que certains hommes sont destinés à de grandes choses. C’est que le sport a été, est, et sera probablement pendant un moment encore, l’un des rares outils de progression sociale disponible pour certains groupes désavantagés. Diego dans Maradona: Sueño Bendito, Colin dans Colin in Black & White et Jace dans Swagger n’ont pas seulement redoublé d’efforts pour l’amour du sport, bien que la passion les anime aussi, mais dans l’espoir d’en tirer quelque chose : un avenir. Être performant, c’est espérer tirer le gros lot à la loterie de la société. Le sport permet de devenir quelqu’un… au moins pour les rares élus qui parviennent à en faire leur carrière. D’ailleurs on ne raconte jamais l’ascension spectaculaire d’un fils de millionnaire qui a trouvé la gloire et la fortune par le sport…
On ne devient pas une superstar du football, ou du football américain, ou du basket, ou de quelque sport que ce soit, sans adhérer au mythe que le sport nous sauvera. Mais il ne sauvera pas tout le monde, et pas sans contrepartie… Lorsque ces séries commencent, leur héros est encore jeune, mais que devra-t-il sacrifier au nom de cette réussite tant espérée ?
Ces séries modernes sur des personnalités sportives (réelles ou imaginaires) ne se contentent plus, comme ont jadis pu le faire d’autres fictions équivalentes, de parler du sport pour le sport. L’effort comme simple dépassement de soi. La performance en tant que fait de gloire. Le sport a une dimension sociale, économique, historique même, dans la construction des individus, des communautés et des pays, que ces fictions refusent d’ignorer.
Malgré ses maladresses, ce premier épisode de Maradona: Sueño Bendito rappelle aussi, implicitement, par les nombreuses images d’archives et l’accent mis sur les interviews du jeune Diego, que ce mythe de la progression sociale par le sport s’auto-entretient. Il tient aux mêmes médias qui l’ont construit, de le déconstruire. C’est, au moins en partie, ce que tentent de faire les trois séries sportives qui ont débuté aujourd’hui.