Initialement commandée pour HBO Brasil en 2018, mais finalement lancée sur HBO Max (entre autres au Brésil, mais pas seulement) cet automne, O Hóspede Americano est une série qui aura pris son temps… surtout lorsqu’on considère qu’elle ne dure que 4 épisodes !
Pourtant, ce n’est même pas la chose la plus curieuse à son égard. Ce qui est incroyable, c’est que cette série tournée au Brésil, avec une équipe de production principalement brésilienne (dont un réalisateur brésilien, Bruno Barreto), prenant pour décor une expédition d’exploration d’une rivière brésilienne… est en fait, au bout du compte, surtout une série étasunienne.
Pour commencer, un peu d’Histoire : en 1909, l’ingénieur militaire brésilien Cândido Rondon « découvre », lors d’une expédition destinée à étendre le réseau télégraphique à travers l’Ouest du pays, un cours d’eau inconnu, initialement surnommé Rio da Dúvida soit « rivière du doute ». Rondon, qui a derrière lui une longue carrière passée à explorer diverses jungles brésiliennes et rencontrer des tribus autochtones (il est lui-même en partie indigène), termine sa mission et entreprend de monter une expédition pour arpenter cette rivière et en tirer une carte aussi précise que possible. L’opportunité scientifique est unique, et l’American Museum of Natural History basé à New York décide de lui apporter son soutien, et envoie même le naturaliste George Kruck Cherrie pour étudier la faune et la flore locales. L’équipe militaire et civile doit prendre la route courant 1913.
…Sauf que O Hóspede Americano n’est pas un biopic de Rondon, loin de là. C’est le biopic de quelqu’un d’autre : l’ancien Président des Etats-Unis, Theodore Roosevelt.
Ce dernier vient en effet de perdre l’élection présidentielle de 1912, et c’est la première fois qu’il perd. Bref rappel : en 1901 il a pris la relève de McKinney après l’assassinat de celui-ci (dont il était jusqu’alors le Vice-Président), il a remporté ensuite un « second » mandat en 1904. Puis Taft, l’un de ses proches, lui a succédé… et c’est là que les ennuis ont commencé, Roosevelt s’est présenté contre lui, a divisé le parti républicain, et a fini avec une déculottée.
Bref Teddy a besoin de changer d’air après sa défaite, et il entend parler de cette expédition brésilienne par l’un de ses amis, le Père John Augustine Zahm, un explorateur évangélique. Comme Roosevelt a un goût prononcé pour l’aventure (il s’est offert un safari en Afrique quelques années plus tôt, notamment, chassant des milliers d’animaux pour le compte du American Museum of Natural History), il se saisit donc de l’opportunité et entame l’exploration du Rio da Dúvida aux côté de Rondon.
Le sujet d’O Hóspede Americano (« l’invité américain »), c’est tout ça. La série retrace l’expédition elle-même, mais aussi, via de très, très nombreux flashbacks, les années conduisant à cette expédition (Afrique mise à part, le safari étant très souvent mentionné mais jamais montré). Ce qui fait qu’au bout du compte, c’est une série sur un ancien Président étasunien et sur la politique étasunienne… et pas grand’chose d’autre. Il y a bien quelques exceptions lors de ce qui doit compter, en tout et pour tout, une quinzaine de minutes sur la totalité de la série ; mais très franchement, oubliez tout fantasme d’apprendre quoi que ce soit sur le Brésil du début du 20e siècle, ou vous allez être déçue.
Dites donc, ça doit faire plaisir à l’ANCINE, l’agence qui veille au financement de l’audiovisuel brésilien, d’avoir donné des sous pour ça.
Comment on dit « sadface » en portugais ? Oh bah de toute façon on s’en fout, la série est en anglais !
Bon je suis un peu mauvaise langue, mais vous admettrez que le procédé est un peu cavalier. L’expédition était à l’initiative du Brésil, sur son propre sol, et co-dirigée par un homme brésilien (pas n’importe qui : non seulement c’est lui qui avait « découvert » le cours d’eau, mais il a aussi été nommé au Prix Nobel de la Paix, et plus tard on a donné son nom à un Etat du Brésil !), on pourrait imaginer qu’un petit effort serait consenti pour adopter ce point de vue là en priorité, et voir Teddy Roosevelt comme un invité. Après tout c’était dans le titre ! Bah non.
D’un autre côté, vous me direz, c’est à peu près toujours ce qui se produit quand les USA sont invités quelque part…
Mis à part le petit soucis de phagocytage de l’Histoire brésilienne, toutefois, il me faut reconnaître que O Hóspede Americano a quelques mérites, et non des moindres.
Il ne s’agit en effet pas d’une simple série d’aventures sur l’expédition géographique RR (Roosevelt-Rondon en anglais… mais Rondon-Roosevelt en portugais), mais d’une fresque qui, parce qu’elle couvre en réalité plus d’une décennie de l’Histoire américaine, s’offre des opportunités de parler de beaucoup, beaucoup de choses. Et très franchement, c’est mieux comme ça, parce que l’alternative aurait probablement eu de gros relents colonialistes (déjà que). D’ailleurs je donne des guillemets à cette découverte parce que, soyons claires : les abords de la rivière vont s’avérer abriter plusieurs tribus autochtones, donc le cours d’eau n’est pas inconnu pour tout le monde ! Mais enfin, globalement, O Hóspede Americano veut éviter de tomber dans le piège de ce type de fiction, c’est pas Indiana Jones ici ; sa volonté est d’utiliser ce voyage comme un prétexte à disserter de divers sujets, même s’il n’y a aussi strictement aucun effort pour essayer de sortir du point de vue de Theodore Roosevelt, homme blanc cis de pouvoir.
L’un des angles d’O Hóspede Americano consiste toutefois à confronter l’ancien président étasunien à Cândido Rondon, un homme avec lequel il a très peu en commun. Certes, ils ont environ le même âge, mais en-dehors de cela ils sont très différents. Rondon, en particulier, est un positiviste, attaché à des valeurs pacifistes, et à plusieurs reprises ses valeurs prendront Roosevelt par surprise. Il devient cependant assez vite évident que les deux hommes, malgré ce qui les oppose, vont apprendre au cours de ce voyage à se respecter mutuellement. Leurs philosophies sont assez éloignées, mais dans le fond ils font preuve d’une droiture morale similaire, qui les unit.
Ils auront aussi quelques discussions abstraites à quelques reprises sur la nature de leur entreprise : Roosevelt comme Rondon sont des hommes épris d’aventure et de progrès, mais ils sont conscients que ce ne sont pas des traits universellement partagés. Il y a un passage assez saisissant pendant lequel la conversation s’oriente sur ce que leur expédition va susciter pour la jungle et ses habitantes… O Hóspede Americano s’interroge sur les conséquences à long terme de la « découverte » des deux hommes : une fois que l’on connaître parfaitement le tracé de la rivière, celle-ci sera en danger s’il n’y a pas de volonté politique de la préserver… Mis en parallèle avec une intrigue secondaire sur l’insistance de Roosevelt à créer des parcs nationaux pendant son mandat, on comprend les lourds sous-entendus de la conversation, bien entendu.
En fait, O Hóspede Americano fait le pari très souvent de tenir des propos à la limite de l’anachronisme. On pourrait dire que son but est d’aborder des sujets très modernes en s’appuyant sur des situations vieilles de plus d’un siècle.
Ce qui captive énormément la série, dans ses multiples flashbacks sur la présidence de Roosevelt, c’est la relation que Teddy entretenait avec JP Morgan. Oui, celui-là même.
L’administration de Roosevelt a en effet été particulièrement engagée dans la lutte contre le monopole privé (faisant usage d’une loi votée quelques années avant son arrivée au pouvoir). La série décide de faire de lui un « trust-buster » convaincu, même si dans la réalité je lis qu’il était seulement opposé à certaines formes de monopole, pas au principe, mais O Hóspede Americano décide d’embrasser complètement le mythe. Cela vaudra à Teddy de nombreuses passes d’armes au fil des ans avec JP Morgan, banquier et industriel qui incarne tout ce que la corporatocratie peut représenter de pire. Une énorme partie de la série consiste à donner l’occasion au Président Roosevelt de s’indigner quant à la main-mise de quelques puissants sur les ressources du pays, et le pouvoir débridé des entreprises privées sur le bien commun. O Hóspede Americano lance clairement des appels du pied à ses spectatrices pour leur faire passer un message (d’autant plus urgent que la série a été créée alors que Trump et Bolsonaro étaient en même temps au pouvoir) sur l’importance de réguler l’économie et surtout ses acteurs, et ainsi veiller à l’indépendance des pouvoirs publics.
Les flashbacks ne se lassent pas de montrer Morgan essayer d’échaffauder un plan machiavélique (vraiment, sinon à caresser un chat angora depuis son fauteuil en cuir, il ne pourrait pas faire plus Villain Méchant) pour essayer de corrompre Roosevelt de façon plus ou moins indirecte, pour quand même échouer devant l’obstacle, le Président s’avérant intransigeant. Franchement à ce stade, O Hóspede Americano n’a plus grand’chose à voir avec une rivière au Brésil, mais enfin, on ne peut pas dire que la série n’ait rien à raconter, ça c’est certain !
Le moins qu’on puisse dire, c’est que, toute partiale qu’elle soit (et clairement, elle l’est) dans sa façon de choisir comment représenter Roosevelt ou sa présidence, O Hóspede Americano est une série hautement politique. Et volontairement politisante : il y a une volonté affichée d’attirer l’attention des spectatrices sur des dangers imminents.
Alors c’est sûr, j’aurais bien aimé que la série n’utilise pas cette fascinante exploration du Brésil et d’une partie de son Histoire y compris celle des autochtones, comme un prétexte. Toutefois, il est certain qu’en faisant ce choix, la série a donné un sens à son intrigue. Dans O Hóspede Americano, il y a une part de dépassement de soi dans son intrigue, Roosevelt ayant failli mourir pendant l’expédition en plus ; il y a une part incompressible d’intrigues d’aventures qui étaient à prévoir et sont des passages obligés du genre (un accident mortel dans des rapides, par exemple, ou la perte d’une partie des vivres) ; il y a des choses assez banales qui se passent entre Theodore Roosevelt et son fils aîné Kermit, qui l’accompagne alors qu’ils ne sont pas très proches… Honnêtement, si O Hóspede Americano n’avait raconté que ça, ç’aurait été une série très banale pour ne pas dire barbante.
Là, le choix surprenant de monter sur une boîte à savon donne au final beaucoup d’épaisseur. O Hóspede Americano n’est pas forcément la série que j’espérais voir, mais elle n’était vraiment pas inintéressante (d’autant que son discours est quand même assez minoritaire à la télévision, quel que soit le pays).
Je finis ma review, une fois n’est pas coutume, sur un fun fact que j’ai découvert en faisant mes devoirs, et que je n’ai réussi à caser nulle part ailleurs dans cette review mais ne veux pas laisser perdre : le scénariste de la série, Matthew Chapman… est l’arrière arrière petit-fils de Charles Darwin !
Intéressant fun fact et intéressante review. Je ne sais pas si je la regarderais, mais une chose est sûr, comme tu le dis, le parti pris pour raconter l’histoire n’est pas commun et si ça permet de faire réfléchir les personnes regardant, même avec des gros sabots, alors je dis oui.
Je me faisais la réflexion que c’est quand même assez rare qu’on puisse dire (certes avec une pointe d’exagération) qu’une série historique est une bonne grosse série de gauchistes 😛 Mais là, entre le discours écologique et surtout le discours anti-trust, c’est une originale exception.