Ce 1er octobre marque pour moi un anniversaire un peu particulier : cela fait 10 ans aujourd’hui que j’ai laissé derrière moi « mes vampires« . Enfin, bon, comme tous les vampires, il est parfois difficile de s’en débarrasser définitivement, une fois qu’on les a laissés rentrer… mais en tout cas la date est d’importance à mes yeux. Depuis mes cauchemars à base de vampires, qui avaient occupé l’essentiel de mes nuits pendant trois décennies, ont presque totalement disparu du jour au lendemain. Normalement, j’évite les fictions sur les vampires (et à l’ère dite de « Peak TV » ce n’est pas difficile de trouver autre chose à regarder), par crainte de réactiver ces cauchemars et les souvenirs qu’ils entrainent dans leur sillage, mais récemment je me suis dit : « ça fait 10 ans. Peut-être que je pourrais me confronter mes peurs et les surmonter ? ».
L’opportunité était parfaite de faire un weekend spécial vampires… mais des vampires qu’on ne peut pas prendre au sérieux ! Jusqu’à dimanche, on cause donc dans cette rétrospective appelée Suckers de comédies et dramédies à base de vampires, et je vous prie de me croire, il y a de quoi faire.
Pour le premier volet de ce weekend spécial, je vous propose un voyage en Russie. D’ailleurs si vous pensiez qu’on en avait fini avec les reviews de Séries Mania, vous voilà bien feintés. Lors de son édition d’août 2021, le festival a proposé en avant-première européenne la série Vampiry Sredney Polosy (sous le titre The Vampires of Midland), une dramédie surnaturelle qui a démarré sur la plateforme START au printemps dernier. Le succès a été si vif que la série s’est d’ores et déjà assuré un renouvellement pour une deuxième saison, attendue courant 2022. Et en attendant, en août, la série a fait ses débuts à la télévision traditionnelle sur TNT, une chaîne russe qui s’est rendue experte en comédies.
Sauf que, malgré ce que son matériel promotionnel ou sa chaîne de diffusion voudraient vous faire croire, Vampiry Sredney Polosy n’est pas une comédie en single camera comme les autres. On y trouve un mélange d’humour mais aussi de policier, de drama, et même un soupçon de period drama.
Le point de départ de la série, c’est la découverte dans les bois de deux cadavres de jeunes hommes exsangues. Très vite, la police de Smolensk (l’une des plus anciennes villes de Russie) s’occupe de l’affaire. La glaciale détective Anna Ostroumova fait à cette occasaion la rencontre d’un enquêteur venu de Moscou, le capitaine Ivan Jalinski, qui semble particulièrement intéressé par les caractéristiques de ce crime. Très vite, Anna détermine qu’il existe une troisième victime qui aurait survécu à cette étrange attaque, et, tentant de devancer Ivan, elle essaie d’en découvrir l’identité.
C’est que, dés le départ, Anna a compris qu’elle n’avait pas affaire à un criminel banal : tout indique que ce serait un vampire qui aurait pompé ainsi autant de sang. Et les vampires, elle connaît bien : elle en est une elle-même ! Son premier réflexe est d’aller poser des questions au patriarche local des vampires de Smolensk, le vieux Slava… découvrant ainsi que c’est son dernier protégé en date, Jeniok, qui est allé faire son marché de sang frais à la sortie des boîtes de nuit. Toutefois, le petit était convaincu que ses victimes étaient encore en vie au moment où il les a abandonnées en pleine forêt.
Il y avait donc bien quelqu’un d’autre sur les lieux. Probablement un autre vampire, à bien y réfléchir. Tout le défi étant de réussir lui mettre la main dessus avant le capitaine Jalinski… et avant que des représailles ne s’abattent sur la communauté vampire. Car si Slava et les vampires qu’il engendre depuis des siècles vivent dans un relatif anonymat, cela ne signifie pas que leur existence est totalement secrète. En 1749, les vampires ont en effet signé un contrat avec les autorités humaines de Smolensk, qui leur interdit de tuer des mortelles. Si le vampire coupable des deux meurtres n’est pas rapidement retrouvé, deux vampires de la famille vampirique de Slava seront reconnus coupables, et exécutés.
Des règles que le clan a jusque là respectées, et il n’est évidemment pas question de porter le chapeau pour quelqu’un d’autre…
Vampiry Sredney Polosy est donc en grande partie une enquête policière ; l’une des rares dont j’aurai parlé dans ces colonnes cette année. On y trouve quelques tropes communs à ce genre (par exemple l’un des membres de la famille de Slava, le docteur Jean-Claude Deschamps, est un expert du sang et sert de légiste vampirique), mais pas seulement.
La série insiste aussi sur la façon dont la famille s’est constituée autour de Slava, au fil du temps. Si toutes forment une famille (largement dysfonctionnelle) autour de lui, c’est pour la bonne raison que le vieillard a engendré chaque membre de cette étrange famille. Slava est un vampire sage, aux allures quasiment inoffensives ; il semblerait qu’il n’initie de nouveaux vampires que lorsque c’est nécessaire.
J’ai beaucoup aimé ces aperçus du passé. Déjà parce qu’ils tirent pleinement partie de la compétence légendaire de la télévision russe à produire de la fiction historique de qualité, et nom d’un chien ces scènes sont vraiment réussies (j’ai un petit faible pour l’aperçu de la vampirisation de Deschamps, sur fond de Burlaki na Volge). En un sens ils m’ont évoqué les flashbacks de Highlander, et leur propension à expliquer comment des relations peuvent se nouer sur des décennies ou des siècles, au fil des événements historiques. Dans ces moments-là (et quelques autres), la série est effectivement bien plus qu’une comédie, et tisse des relations riches… certes avec une touche de gore. Vampiry Sredney Polosy n’hésite pas à cultiver une mythologie non seulement fantastique mais aussi dramatique, qui n’est peut-être pas (ou pas encore ?) très complexe, mais qui rappelle qu’on est devant une série qui fait un excellent usage de son épisode d’une heure. Il y a aussi ce moment surprenant, vers la fin de cet épisode inaugural, pendant lequel l’un des personnages devient réellement terrifiant (c’est là qui se focalisent l’essentiel des effets spéciaux de l’épisode, d’ailleurs), surtout pour quelqu’un qui comme moi, est encore bien faible sitôt qu’il s’agit de vampires. La comédie s’efface alors, au profit des autres genres dont la série s’enrichit.
Mais il reste que Vampiry Sredney Polosy n’oublie pas d’être drôle. C’est souvent (single camera oblige) un humour pince sans rire, d’ailleurs… une forme d’humour qui s’avère avoir ma préférence. Qu’il s’agisse de l’exaspération palpable d’Anna devant le sexisme obstiné de ses collègues masculins (la pauvre, ça fait des décennies qu’elle endure leurs conneries) ou des nombreuses altercations entre les vampires et cet abruti de Jeniok (faut quand même comprendre que cet idiot streame en costume de Dracula sur Youtube…), en passant par les tribulations de notre famille vampirique pour essayer de découvrir la vérité, Vampiry Sredney Polosy écorne à la fois le mythe du vampire, et le monde humain dans lequel la petite famille évolue. On ne se tape pas nécessairement sur les cuisses, mais cet humour est appréciable, et fait plus qu’insérer des respirations dans l’intrigue : c’est un véritable modus operandi.
Mortelles, immortelles… personne n’est parfait. Les aventures des disciples de Slava promettent quelques intéressants rebondissements, et des rictus amusés. C’est vraiment le genre de série russe qu’on pourrait parfaitement importer sur nos écrans d’Europe de l’Ouest si quelqu’un s’en donnait la peine, et je ne comprends d’ailleurs pas que ça ne se produise pas plus souvent.
Je me suis fait la réflexion que ça fait un certain temps que je n’avais pas regardé de séries de vampire (à part le court drama coréen, Kissable Lips, dernièrement). Quand tu parles de la qualité des productions historiques russes et en comparant avec ce que tu disais dans l’article sur la série de pirates turque, j’aime tellement comparer les spécialités des différents pays pour différents genres. Qu’est-ce qui fait qu’un pays produit ce genre plutôt qu’un autre, mais aussi comment une série arrive à prendre les points forts et les connaissances qu’iels ont pour l’inclure dans une série d’un autre genre.
Si le cœur t’en dit toujours (pardon pour le délai de réponse), j’avais écrit il y a des années un article sur les séries historiques russes à l’occasion d’une semaine spéciale : It’s just a little bit of history repeating.