Depuis cette semaine, c’est officiellement l’automne, et on a toutes un peu le moral dans les chaussettes (qu’il a fallu remettre). Mais du côté de la chaîne turque TRT1, on refuse de se soumettre aux saisons, et c’est la raison pour laquelle la chaîne a lancé, en ce mois de septembre, une nouvelle série pleine d’action, se déroulant en pleine mer.
Barbaroslar: Akdeniz’in Kılıcı suit les aventures de quatre frères : İshak, Oruç, Hızır et İlyas, qui ont formé au 16e siècle une puissante dynastie de corsaires dans les eaux de la Méditerranée. Deux d’entre eux ont conservé une certaine notoriété sous le surnom de « Barberousse », qui ne vous est probablement pas inconnu.
Barbaroslar démarre sur une scène plutôt classique pour une fiction parlant de corsaires ou de pirates : un bateau s’introduisant de nuit dans un détroit brumeux est accosté par un autre, et une gigantesque bataille maritime s’engage. Cependant, pas de méprise : Barbaroslar n’est pas qu’une « simple » série de piraterie, où il s’agirait d’admirer les exploits des personnages. Enfin, elle est cela aussi, mais son pilote de 2h30 (…bah oui c’est une série turque, je sais pas quoi vous dire de plus) a tout le temps du monde de développer des dynamiques bien plus complexes. C’est que, avant toute autre chose, Barbaroslar: Akdeniz’in Kılıcı est une série historique, bien décidée à tirer autant de substance que possible de la situation géopolitique de l’époque…
Lorsque démarre Barbaroslar, nos quatre frères sont tous adultes, et leurs trajectoires déjà bien distinctes.
İshak, le plus âgé, a fait fortune comme marchand et il vit avec sa famille sur l’île de Lesbos (Midilli en turc), qui est la terre natale de la fratrie. Cela fait des années qu’il n’a pas vu ses frères, or justement, Hızır vient lui rendre visite. Oruç (surnommé « Baba Oruç« ) est de son côté à la tête d’un navire de corsaires, où officie également son jeune frère İlyas ; ils ont été engagés pour transporter un émissaire, Hayrabay, qui apporte des cadeaux prestigieux à un sultan.
İshak et Hızır d’une part, et Oruç et İlyas d’autre part, ne se sont pas adressé la parole depuis des années, pour une raison qui nous sera expliquée assez tard pendant cet épisode ; mais on sent très vite qu’İshak réprouve le mode de vie d’Oruç et İlyas ; comme Hızır est plutôt un intellectuel qu’un aventurier, l’aîné espère qu’il va le seconder dans ses affaires. Cependant, notre grand frère se trompe : le jeune homme a récemment parcouru la Méditerranée à la recherche de mystérieuses clés, et la raison principale de sa venue sur l’île est qu’il vient rendre compte de sa quête au sultan de Midilli, son mentor. La prochaine étape ? Kalymnos, en Grèce, où il a bien l’intention de libérer un membre de la famille royale qu’un certain Pietro, à la tête de l’ordre des Hospitaliers de Saint Jean, retiendrait dans ses geôles.
Bon, là comme ça, la série paraît très masculine, mais ce n’est pas tout. La série s’intéresse également à plusieurs femmes résidant à Alexandrie, port où Oruç et İlyas ont leurs attaches pour le moment. Il y a d’abord une certaine Isabel, une jeune femme vénitienne qui dirige pour le compte de son père une taverne du nom d’Unita, d’où elle fait affaires avec les marchands qui transitent par le port. C’est certainement l’une des personnes les plus influentes de toute la région : tout le monde passe par elle pour acheter/vendre des biens ou des services. La scène qui l’introduit montre d’ailleurs que toute la ville lui fait confiance (à part UN ancien employé qui lui en veut pour des raisons opaques). Et puis il y a Despina, la compagne d’Oruç, qui espère désespérément lui donner un jour un enfant, en vain pour le moment. C’est en toute honnêteté le personnage le moins intéressant du lot, défini uniquement par sa relation à Oruç : son désir d’enfant est pour lui, sa jalousie envers Isabel est due à son obsession pour lui, et très honnêtement je ne suis pas certaine qu’il y ait eu une seule scène dans laquelle elle ait dialogué avec un autre personnage. Enfin, il y a aussi Zeynep, qui dirige un orphelinat. C’est une femme indépendante et volontaire, qui lorsque commence la série s’inquiète pour l’un de ses petits pensionnaires qui semble avoir contracté une sorte de bronchite ; elle se met en quête d’un remède, qui va la conduire à faire un voyage en bateau pour rendre visite à l’une de ses connaissances, Hekim Giovanni, un médecin auquel elle n’est pas indifférente. Celui-ci travaille entre autres pour… Pietro.
Vous l’aurez peut-être compris, ce qui est impressionnant dans Barbaroslar, c’est l’échelle. L’intrigue se déroule dans non pas une, pas deux, mais trois villes du pourtour méditerranéen, en plus de l’action qui se déroule sur l’eau… et c’est juste le premier épisode !
Ce que cela signifie, c’est qu’en matière de décors, Barbaroslar: Akdeniz’in Kılıcı ne se mouche pas du coude. Les trois villes principales où se déroulent cet épisode inaugural se trouvent dans des contrées différentes. Midilli (longtemps grecque, à ce moment-là, l’île fait partie de l’empire ottoman), Alexandrie (cité portuaire égyptienne, qui vu la période s’apprête à ou vient de rejoindre l’empire ottoman), et Kalymnos (une forteresse aux mains des Hospitaliers, après avoir un temps appartenu à Venise) ont chacune une histoire, une architecture, une ambiance uniques. La série se fait également un plaisir d’y reconstituer la vie quotidienne (les plans des rues d’Alexandrie, en particulier, sont un régal).
Ce sont là des signes extérieurs de richesse : Barbaroslar a vraiment entrepris de plonger ses personnages dans le grand bain de l’Histoire. Le sort des frères İshak, Oruç, Hızır et İlyas est intimement lié à celui de la région, alors qu’on est en queue de comète des croisades (et franchement peu de télévisions de la planète sont aussi intéressées par les croisades que les séries turques… bien qu’évidemment, pas sous l’angle qui nous a été proposé sur les bancs de l’école française). C’est même ce sur quoi repose l’essentiel de sa mythologie : les clés que Hızır cherche pour le compte de son mentor sont directement liées à la lutte pour les terres saintes. Pietro lui-même, qui est notre Vilain Méchant™, ambitionne de trouver des artéfacts sacrés, seule raison pour lui de tolérer être affecté par le Pape à ce qu’il considère être (et je paraphrase à peine) le trou du cul du monde. Les guerres de religion ne sont donc pas loin, mais il faut aussi compter sur un autre danger : Antuan, un dangereux pirate qui terrorise toute la région sous le surnom de « Poséidon » (rien que ça), et qui dans ce premier épisode va avoir une bonne raison d’en vouloir à Oruç et ses frères.
On ne s’ennuie pas une seconde pendant cette introduction. Il y a certes des protagonistes moins intéressantes que d’autres, et l’exposition entre parfois dans des détails que, dans une série d’une autre nationalité, on aurait simplement abordés plus tard. Mais pour l’essentiel, Barbaroslar: Akdeniz’in Kılıcı est fascinante, esthétique et pleine de rebondissements, bien que l’action n’y soit pas omniprésente. C’est le genre de série historique pour lesquelles les Turcs possèdent un réel savoir-faire, et ça se sent (même si j’ai aussi lu que la production avait fait appel à des professionnelles égyptiennes et sud-africaines, notamment pour les cascades).
La passion de la télévision turque pour la période ottomane n’est plus un secret pour personne depuis Muhteşem Yüzyıl, mais qu’une production arrive à trouver un angle aussi intéressant pour en parler nous rappelle qu’il y a quand même une sacrée bonne raison pour laquelle les séries turques sont aussi populaires aux quatre coins de la planète.
Il y a tellement de séries turques que je voudrais regarder, mais j’ai déjà du mal avec le k-drama qui dépasse l’heure alors 2h30, mon dieu.
J’aime toujours les personnages de marchantes influentes, je ne sais pas pourquoi, mais dès que j’en entends parler d’un, ça me fait plaisir.
Nan mais je sais, sur le papier 2h30 ça a l’air de faire beaucoup, mais au risque de me répéter, ya des séries turques pour lesquelles on les sent vraiment pas passer. (accessoirement ya des séries turques qui, quand elles sont diffusées à l’étranger, sont redécoupées pour un format plus « international », et même si je ne cautionne pas la pratique personnellement, il faut quand même admettre que ça aide à convaincre certaines…). A ma connaissance ce n’est pas encore le cas pour celle-ci, mais ne te décourage pas !
Bonjour ou bonsoir
Merci pour vos résumés/analyses, depuis Décembre je suis tombée dans le chaudron…
Je découvre les series historiques et modernes, je ne connaissais pas du tout la qualité des » mousselssels » , je suis épatée. Idem pour les BO, du coup j’ai découvert des artistes comle le groupe Athena et d’autres.
En bref, suus devenue diziaddict mais avec un regard critique, car en filigrane il y a toujours nationnalsme, religion etcetc et quelques arrangements avec l’histoire, comme dans Barbaroslar ( l’importance de l’Algerie y est minimisée, mon cote chauvin ?).
Merci donc pour votre blog
Tous les pays font un peu cela, et dans l’idéal il faudrait toujours avoir un regard critique sur ce que certaines séries disent de leur pays ; pour certains pays c’est plus facile que pour d’autre, cependant ! C’est sûr que les séries historiques se prêtent mieux que toute autre à des arrangements avec la réalité…