Officiellement le festival SeriesMania est fini pour cette année… mais la bonne nouvelle c’est qu’il me reste des reviews dans ma manche ! C’est d’une série scandinave dont on va causer aujourd’hui, Furia, présentée en avant-première à Lille, et prête à débuter plus tard ce mois-ci sur la plateforme Viaplay. Au passage, c’est à peu près ma 712e review d’une série Viaplay cette année, après Älska Mig, Dystopia, Mädät omenat, Pørni, ou Try Hard (suivez les tags)… et ce ne sera sûrement pas la dernière !
Elles ne sont pas nombreuses, les séries à s’intéresser (à oser s’intéresser ?) à l’extrême-droite et sa place à notre époque ; pour comparaison, c’est plus facile pour des séries historiques. Mais étonnamment, rien que sur les écrans scandinaves, au moins trois exemples me viennent à l’esprit : Blå ögon et 22. juli, et maintenant Furia. Cela ne signifie pas que seuls ces pays s’y intéressent (comme le prouve l’existence de Romper Stomper en Australie), mais c’est quand même intéressant à noter. Au moins sur le papier. Et en pratique ?
En pratique, je confesse être peu enthousiaste à l’issue de ce premier épisode. Furia a pour personnage central un flic répondant au nom d’Asgeir, qui vient d’être muté dans une petite ville de la vallée de Romsdalen. L’endroit est magnifique autant que paisible, et semble parfait pour qu’il commence une nouvelle vie avec sa fille.
Très vite pourtant, Furia établit que la petite communauté qui vit dans cette bourgade logée entre les montagnes n’a rien d’inoffensif : pour son premier jour en fonction, Asgeir prend la plainte d’une responsable du foyer d’accueil pour demandeuses d’asile, un endroit fréquemment vandalisé et qui, la veille au soir, a même fait l’objet d’une tentative d’incendie. Un geste criminel qui aurait pu avoir de graves conséquences et loin d’être isolé, qui en réalité traduit combien, derrière l’apparente quiétude des environs, l’extrême-droite y est secrètement très active. Quelques uns des dignitaires les plus en vue de la ville s’avèrent même jouer un rôle actif dans le groupe identitaire local, et la police tente de jouer mollement l’apaisement.
Asgeir ne mange pas de ce pain-là, d’autant qu’il veut protéger sa fille (qui est métisse) de toute la violence raciste qui pourrait se déchaîner contre elle dans leur nouvelle ville. Lorsque le jeune homme qui était suspecté d’être l’auteur de la tentative d’incendie, est retrouvé mort, Asgeir passe à la vitesse supérieure et se met sur la piste des extrémistes qui vivent parmi ses voisins.
…Et c’est à peu près tout ce qu’il y a à retenir du premier épisode de Furia, honnêtement. Il y a bien un léger rebondissement sur la fin de cet épisode d’exposition, mais on l’avait tellement vu venir qu’on ne peut pas vraiment parler de twist… et surtout, sur le fond, Furia est d’une grande vacuité.
Pour être honnête, je ne sais pas exactement ce que j’attends d’une série se penchant sur l’extrême-droite, et plus encore sur le terrorisme d’extrême-droite. Je vous le dirai quand je le verrai, et pour le moment je ne l’ai pas vu ; il faut dire qu’il y a quand même beaucoup moins d’exemples de fictions se penchant sur le sujet que pour d’autres formes de terrorisme. Pourtant, de mes quelques visionnages au fil des années, il en ressort souvent une impression de tiédeur : la condamnation n’est jamais aussi franche qu’elle devrait l’être.
Le premier épisode de Furia nous montre en effet, progressivement, que plusieurs personnages sont des racistes/xénophobes, et que certains sont ouvertement virulents dans leurs propos voire leurs actes. Mais pas tous ! Il y a des… écoutez, ça me fait mal à dire, mais on dirait un peu des gentils identitaires, à certains moments. Ils ne font que s’organiser, et que rédiger des articles de blog, et que noyauter la communauté, et que recruter des jeunes. Le personnage ouvertement dépeint, dés sa première apparition, comme un antagoniste, est celui qui est aussi décrit comme le plus ouvertement enclin à la violence physique, mais eux, eux ça va, un peu. Ils ne font rien de mal. Ils font même des trucs bien en fournissant plusieurs dizaines d’emplois aux habitants de la ville. Le commissaire les aime bien, il leur fait confiance, il leur demande des faveurs à l’occasion… Du coup, la série semble vouloir dire, pas totalement mais un peu quand même, que le problème, c’est la manifestation violente de leurs idées, pas leurs idées elles-mêmes.
D’ailleurs dans ces séries-là, on ne parle en fait que très peu d’idées (c’était légèrement différent dans Romper Stomper qui mettait en place un groupe d’antifas parmi ses personnages secondaires). On les dévoile juste assez pour faire les présentations : voilà, eux ce sont les extrémistes de droite. Vous les reconnaîtrez aisément au fait qu’ils n’aiment pas les immigrés. N’en parlons donc plus.
Au prétexte de vouloir montrer que les suprémacistes blancs sont des suprémacistes blancs, bah on a beaucoup de personnages qui emploient de la rhétorique idéologique de suprématie blanche… mais en face, aucun personnage supposément non-raciste ne tient de propos idéologiques contraires ; parce que l’intrigue les dédie entièrement à lutter contre les suprémacistes blancs. D’ailleurs la principale motivation d’Asgeir est de l’ordre du personnel : il a emménagé ici et il veut que sa fille grandisse dans un endroit où elle soit en sécurité. Comme sa fille a hérité de sa maman noire (décédée avant le début de l’intrigue de Furia) d’une peau foncée et de cheveux nappy, elle semble être une cible de choix pour des suprémacistes blancs… mais si son enfant avait été blanche, il n’est pas certain que notre gentil flic se donnerait autant de mal, si ? En tout cas à aucun moment cet épisode d’introduction ne se donne la peine de lui faire tenir des propos à ce sujet, même pas en passant.
De même, en ville, on ne va rencontrer personne au cours de cet épisode qui soit particulièrement ulcéré par ce qui s’est passé au foyer. La responsable de celui-ci est furieuse, bien-sûr, mais principalement parce qu’il y a des enfants qui vivent parmi les demandeuses d’asile et que l’incendie aurait pu être tragique (…j’exagère à peine). De toute façon, elle n’a qu’une scène dans ce premier épisode, on ne lui demandera pas plus son avis. En revanche tout le monde, police et presse y compris, prend très au sérieux la mort du jeune vandale raciste. Ce qui serait intéressant si la série prenait le temps de souligner cette différence de traitement, voire même d’y apporter de la nuance (il n’y a effectivement pas encore eu de mort au foyer d’accueil), mais pas vraiment non plus.
On a un peu l’impression qu’en fait, ce serait un groupe mafieux qui ferait du trafic de drogue dans la vallée de Romsdalen, il n’y aurait pas beaucoup de changements : l’exposition se déroulerait à peu près pareil, et son personnage central conduirait son enquête exactement de la même façon (au moins dans ce premier épisode). Les méchants sont les méchants, on va démanteler leur structure et les mener devant la Justice. Alors que non : le trafic de drogue n’a pas de motivations idéologiques, en tout cas pas à la base. Les fondements du trafic de substances illicites ne sont pas politiques, alors que c’est la raison d’être du trafic d’idées racistes.
Furia semble intéressée par un aspect bien spécifique : l’extrême-droite ne se balade pas nécessairement en kaki militaire à faire des saluts nazis toutes les cinq minutes. Elle peut revêtir des apparences plus innocentes (l’insistance de la série à s’arrêter sur la beauté de la vallée dans divers plans contemplatifs le démontre, entre autres choses). Des gens qu’on ne soupçonne pas, qui s’imposent comme des piliers de nos communautés, vivent parmi nous sans jamais être inquiétés. Et du coup la montée de l’extrême droite se produit sans qu’on le remarque avant qu’il ne soit trop tard. Comment on fait une fois que les choses en arrivent là ?
Je crois que tout le monde sera d’accord avec ce constat comme cette problématique. Mais au-delà ? Les séries comme Furia partent du principe que les spectatrices seront d’accord : le racisme et la xénophobie, c’est mal ; vouloir révéler au grand jour l’organisation d’un réseau de suprémacistes blancs, c’est bien. Sauf que précisément, la montée de l’extrême-droite, la popularité de certains groupes politiques, et/ou les débats tenus dans les médias grand public, ont contribué ces dernières années à banaliser une partie de la rhétorique d’extrême-droite. Par conséquent, je ne suis pas convaincue que faire une série sur la lutte contre l’extrême-droite puisse se passer d’un discours activement anti-raciste, au moins de la part de quelques personnages. Encore plus quand une même série laisse ses personnages les plus racistes ouvertement déblatérer des horreurs à longueur d’épisode. A qui donne-t-on la place de détailler son idéologie ? Qui conforte-t-on dans certaines idées, au final ?
Je n’ai pas trouvé de sous-titres pour 22. juli, diffusée début 2020 en Norvège. Cependant, je sais au moins que cette série a sciemment décidé de montrer le moins possible l’attentat d’Utøya pour ne pas mettre en vedette ni les actions violentes, ni les idées, ni la personnalité d’un terroriste d’extrême-droite. C’est d’ailleurs pour ça que j’aimerais bien voir la série un jour.
Parce qu’à un moment il n’y a pas que le sujet d’une série qui importe, il y a aussi le traitement. C’est là qu’est logée la véritable audace.
Ils m’énervent à sortir toutes ces séries sur Viaplay, je n’ai pas envie de me prendre un abonnement, mais tant de séries intéressantes xD 22. juli a été diffusé sur SVTPlay tiens, je me demande si je peux réussir à la chopper avec des ST suédois quelque part.