D’ordinaire, je suis la première à vous vanter les multiples qualités de la fiction québécoise. Je ne taris pas d’éloges sur le dynamisme de leur industrie, sur ses drames mais aussi ses comédies, sur le ton souvent très authentique de ses dialogues, sur sa capacité à présenter plus souvent qu’à son tour des personnages intéressants et des portraits fins. Le Dieu de la Téléphagie sait combien d’exemples je pourrais vous présenter pour le prouver, mais je me suis contentée d’en mettre seulement 3 en bas d’article. Il m’est même arrivé de prendre les productions de ce pays comme exemple de à quoi la fiction française pourrait aspirer plus souvent. Vraiment, les séries québécoises, changez rien, je vous adore, big fan, tout ça tout ça. D’ailleurs je suis pas la seule, TFHein aussi est fan, au vu du nombre d’adaptations de séries québécoises commandées ces dernières années, en particulier lorsqu’elles ont un personnage central féminin…
Mais aujourd’hui, je suis un peu acculée par Un lien familial, un drame de mœurs qui a démarré plus tôt ce mois-ci chez nos amis francophones d’outre-Atlantique… et dont le premier épisode est un puissant somnifère, ce qui m’arrange bien en période d’insomnie. Pour sa défense, Un lien familial ne s’est pas choisi un sujet qui d’ordinaire m’extasie, mais ça n’est pas une excuse.
Adaptation d’un roman éponyme, le premier épisode d’Un lien familial nous fait entrer dans le quotidien de Magalie, une femme dont la vie est, comme souvent, parfaite en apparence : elle a un compagnon de longue date, Mathieu ; elles ont ensemble une petite fille adorable, une belle maison, un train de vie confortable… de quoi pourrait-elle se plaindre ?
Evidemment il y a quelque chose qui ne va pas quand même, et en l’occurrence c’est la découverte, apparemment récente, que Mathieu la trompe avec l’une de ses collègues, Sophie.
Nous ne vivons pas avec Magalie ladite découverte, qui prédate le démarrage de l’intrigue ; en revanche nous saisissons progressivement la portée de cet événement dans sa vie. En particulier, cette révélation a poussé Magalie à se lancer à son tour dans une aventure extra-conjugale, quoiqu’en pointillés, avec Olivier, lui-même mari de sa collaboratrice principale, Isabelle. Elle n’est pas fière de la situation, mais se sent bloquée : elle ne veut pas causer de traumatisme à sa jeune fille, et craint qu’une séparation ne change sa vie pour le pire. Alors elle reste dans cette situation, pas vraiment heureuse ni malheureuse, dans un étrange entre deux inconfortable.
Le premier épisode d’Un lien familial va donc, eh bien, établir ce lien familial. Bien que Magalie et Mathieu ne soient pas mariés, ça n’empêche nullement qu’il soit réel, à la fois parce que leur fille serait tout pareil bouleversée, et aussi parce que, au fil des années, le couple s’est construit une routine, une famille étendue, des amies, bref… une vie. Et que remettre tout ça en question semble énorme.
Le premier épisode concède à Mathieu quelques scènes pour s’exprimer (il utilisera l’une d’entre elles pour indiquer aux spectatrices que lui aussi considère sa fille comme le frein principal à une séparation avec Magalie), mais beaucoup moins. Si bien que son intériorité nous reste encore très mystérieuse, par exemple sur les raisons qui l’ont poussé à sauter le pas et commencer à tromper Magalie. Mais pour être honnête, personnellement moi-même à titre subjectif, ça me va très bien parce que franchement… bah, on n’en a rien à péter.
Car ce premier épisode introduit également un autre personnage masculin, Guillaume. D’abord peu présent, plus la mise en place va avancer, plus il va prendre de l’importance, et obtenir ce fameux droit à l’intériorité en nous dévoilant ses sentiments. Homme divorcé, flic (…profitez-en, je ne parle plus très souvent de flicaille dans ces colonnes) avec un salaire plus modeste, père d’une fille adolescente dont il a la garde alternée, Guillaume est dans une situation très différente de Magalie. Il va la rencontrer à l’occasion d’un dîner et immédiatement tomber sous son charme. Je vous laisse deviner la suite.
Sans aller jusqu’à prétendre que tout ce que Un lien familial pourrait avoir à dire se trouverait dans ce premier épisode (je suis de mauvais poil, pas de mauvaise foi), en tout cas on a quand même un aperçu assez net de ce vers quoi on se dirige. Il y a des éléments encore un peu flous, par exemple pourquoi la série mentionne avec autant d’insistance un cas (a priori) sans connexion avec l’intrigue, à propos de la disparition d’une mère de famille sans histoires (sus, comme disent les jeunes). Il n’empêche que pour l’essentiel, on sent bien que Magalie ne va pas rester indéfiniment insensible au charme humble de Guillaume, et que c’est certainement ce qui va la pousser, de loin en loin, à penser sérieusement à une séparation avec Mathieu, et probablement la mettre en place aussi.
Il y a toutes sortes de questions morales, mais aussi juste humaines, qui se posent dans cette situation, et en soi je ne suis pas strictement opposée à une fiction qui les aborde. Comme son titre le laisse entendre, Un lien familial s’apprête à observer comment cette famille, ce qui l’a créée et ce qui la détruit, va devoir vivre les changements qui s’annoncent, forcément avec un peu de déchirements. En soi le sujet n’est, évidemment, pas sans intérêt.
Mon problème est que, en attendant, ce premier épisode ressemble à une longue liste de qui couche avec qui, qui ne couche plus avec qui, qui sait que qui couche avec qui, qui voudrait bien coucher avec qui… Pardon mais, hein, non quoi. Le premier épisode d’Un lien familial a l’air de se captiver pour le réseau de relations ainsi créées, qui effectivement sont des préoccupations accaparantes pour les protagonistes, mais qui dramatiquement sont pour le moment assez stériles. D’autant qu’en-dehors de Magalie (qui a quelques jolies scènes, comme par exemple chez sa gynéco), personne dans ce tableau ne semble avoir d’émotions très complexes, les personnages autres qu’elle étant systématiquement là où on les attend, donnant l’impression d’être là pour la fonction tenue dans la vie de l’héroïne. Mathieu est-il par exemple un égoïste patenté, ou est-ce simplement que la série n’est pas intéressée par ce qu’il traverse ? Olivier se sent-il troublé par l’aventure qu’il entretient avec Magalie, ou estime-t-il que c’est mérité vu la façon dont Isabelle le traite ? Et d’ailleurs, Isabelle est-elle obsédée par sa propre réussite, ou se sent-elle piégée par son image alors que décolle sa carrière culinaire ? On ne sait pas, et on a un peu l’impression que la série s’en fout. Ce qui ne peut pas être vrai, je n’ose le croire. Pas venant d’une série qui a aussi méticuleusement décrit Magalie, ou qui s’est appliquée à insérer des différences de statut socio-économiques dans son intrigue. Et certainement pas venant d’une série écrite par la même autrice que le livre d’origine, basée sur sa propre expérience lors d’une séparation. Je refuse de croire que la série s’en fout, par contre je veux bien croire que ce premier épisode est maladroit.
Plus tard sûrement, peut-être, en tout cas je l’espère, Un lien familial va entrer dans le vif de son sujet, va disséquer les dilemmes, va créer des joies et des peines pour ses protagonistes, va nous en faire aimer certains (idéalement la plupart), va nous faire espérer que les personnages obtiennent ce qu’elles veulent et/ou ce qu’elles méritent… Plus tard. Certainement pas dans ce premier épisode.