Je confesse avoir toujours un peu de mal avec les séries qui me sont présentées comme « générationnelles ». Déjà parce que (mais il paraît que c’est typiquement un truc de Millennial, ça) je ne suis pas entièrement convaincue que ces histoires de génération aient autant de sens qu’on veut bien le dire ; l’idée de ce qu’est une Millennial typique est en grande partie une idée de ce qu’est une Millennial blanche de la classe moyenne, par exemple. Mais aussi, voire surtout, parce qu’il me semble que ce genre de choses ne se décide pas sur le moment, quand la série sort, mais au contraire avec le recul, des années plus tard.
Toutefois j’ai vu de nombreuses publications décrire Mr. Corman comme une série sur ce que cela signifie d’être un Millennial, et si c’est supposément son sujet, ma foi… prétendons que nous partons de ce principe pour parler de son premier épisode.
Josh Corman est un type quelconque. Totalement quelconque. Au fil du premier épisode, on va apprendre à le connaître et découvrir plus de choses sur lui, mais tout ce que nous allons apprendre va systématiquement nous conduire à la même conclusion : rien à son propos n’est exceptionnel.
Et c’est ce qui en fait un personnage intéressant aux yeux de la série : à quel point lui, comme sa vie, sont quelconques.
En fait c’est même le problème central de son existence : tout dans son quotidien est quelconque. Son job de prof n’est ni ingrat ni gratifiant, la façon dont il passe ses soirées avec son coloc et ses potes n’est ni déplaisante ni excitante, sa relation à sa mère n’est ni hostile ni fusionnelle… Il n’y a rien dans la vie de notre fameux Monsieur Corman qui se distingue de quelque façon que ce soit. C’est un merveilleux problème à avoir si vous me demandez mon avis (et une ligne de dialogue en début d’épisode semble indiquer que la série est d’accord avec moi), toutefois je peux comprendre qu’il en résulte une grande frustration.
Mr. Corman démarre un vendredi en fin d’après-midi, à l’issue de la première semaine de cours de l’année, que Josh finit de façon ambivalente. Ses élèves, qui naturellement sont parfaitement quelconques, l’ont un peu mis mal à l’aise, mais au bout du compte la classe ne s’est pas si mal déroulée que ça. Il rentre chez lui et commence son weekend par une sieste, qui est moins l’expression d’une fatigue que d’une lassitude. Mais la question à son réveil est : que faire du reste de son vendredi soir ? Pour être honnête, cette question est surtout née d’un sentiment d’envie : en rentrant, il a entendu une femme au téléphone qui parlait de ses plans pour le weekend, et il aurait aimé ressentir la même excitation qu’elle. Qui n’a pas envie d’être excité à l’idée d’avoir des choses à vivre dans un avenir proche ? Sauf que Josh n’a pas de plan, ni pour la soirée ni pour le weekend ni jamais, rapport au fait que sa vie est quelconque. Alors il va passer la soirée à essayer de trouver quelque chose à faire. Pas parce qu’il veut faire quelque chose de précis, mais parce que, désespérément, il veut que quelque chose dans sa vie ne soit pas quelconque.
Ce premier épisode de Mr. Corman met le doigt sur un sentiment qu’on peut, je crois (ou alors je fais ma Millennial) tous comprendre pour l’avoir ressenti à un moment ou à un autre : cette impression qu’il doit bien y avoir quelque chose à ajouter à son quotidien. Une insatisfaction à avoir ce qu’on a (quand bien même on est consciente, au moins dans une certaine mesure, qu’on pourrait avoir bien moins), et à espérer « plus » sans jamais déterminer de quoi il s’agirait. There’s gotta be more to life.
Dans le cas de Josh, tout serait mieux que ce qu’il a, mais rien n’est vraiment excitant. Quand, avec son colocataire, il commence à essayer de trouver quelque chose à faire pour la soirée, il écarte toutes les suggestions qui lui sont faites. Même rencontrer une fille dans un bar apparaît comme dérisoire, parce qu’il imagine déjà une conversation quelconque avec une personne quelconque qui ne tiendrait que des propos quelconques, et avec laquelle il finirait par avoir des relations sexuelles quelconques. Ce n’est pas que Corman se sent seul, c’est qu’il espère quelque chose d’immense, comme une vague qui puisse le faire chavirer et le submerger, et tout semble pâle en comparaison, par avance. C’est aussi ce qu’on appelle une prophétie auto-réalistrice, les enfants.
Il y a eu, jadis, quelque chose de similaire dans la vie de Josh : la musique. Pendant un temps il a même essayé d’en faire sa carrière, avant de laisser tomber et devenir enseignant. On va progressivement comprendre qu’il a perdu non seulement son ambition (si tant est qu’il ait jamais eu le feu sacré), mais aussi son attrait pour la musique ; il n’a rien à en dire, et même pour lui-même, il ne joue plus.
Comment on transforme une vie quelconque en une vie qui vaille la peine d’être vécue ? Eh bien… je ne suis pas sûre que ce soit la question à laquelle Mr. Corman tente de répondre, la série semblant, au moins au stade de cette exposition, plus intéressée par les frustrations qui découlent de la question elle-même. Peut-être que dans les épisodes suivants, Josh va commencer à mettre en place des choses, mais ce n’est pas la solution qui intéresse la série, et c’est limite à l’opposé de son sujet.
L’insatisfaction est son sujet. Une insatisfaction qui est peut-être générationnelle, mais peut-être pas exclusivement (l’est-elle jamais exclusivement ?). Après tout les Millennials approchent de la crise de la quarantaine…
Cela signifie que par certains aspects, Mr. Corman est inconfortable à regarder, parce qu’on a l’habitude de fictions dans lesquelles les personnages évoluent… mais qu’à la minute où Josh va réussir à évoluer, il n’y a plus vraiment de série. Cela dit, c’est un défi intéressant, et malgré certains poncifs de ce premier épisode, cela en fait tout le contraire d’une série… quelconque.
Pas sûre que je sois d’accord avec le pitch de la série. C’est vraiment une question de personnes plus que de générations ce genre de choses. Peut-être aussi que c’est parce que je suis optimiste et que je n’aime pas rester les bras ballants en attendant que ça me tombe tout cuit dans le bec donc ce genre de pitch me donne envie soit de secouer la personne, soit de passer à autre chose parce que de quoi parler avec quelqu’un comme ça ?
Je ne suis pas entièrement convaincue que ce soit une question de « rester les bras ballants en attendant que ça tombe tout cuit dans le bec ». Il semblerait que Josh ait, par le passé (on ne sait pas avec quelle intensité pour le moment), tenté sa chance, mais raté sa « vocation ». C’est plus une désillusion due à un échec qu’une forme de mollesse. Ce que je ne sais pas après ce seul premier épisode, c’est si cette insatisfaction est supposée dire quelque chose sur les Millennials en tant que génération désenchantée, ou si Josh est tout simplement… dépressif. Parce que de mon point de vue le tableau colle, mais j’admets volontiers, en la matière, être un marteau qui voit des clous partout.