En novembre dernier (et j’ai bien failli passer à côté), Nickelodeon a lancé ce qui est probablement l’une de ses plus ambitieuses séries originales depuis des années. Voyez si vous pouvez relever tous ses points forts sur le papier : The Astronauts est en effet une série de science-fiction en single camera, créée par Daniel Knauf (qui n’avait pas créé de série depuis Carnivàle), produite entre autres par Ron Howard et Brian Grazer, et dont l’un des réalisateurs est Jonathan Frakes. C’est beaucoup de monde qu’on ne voit pas trop sur des séries pour la jeunesse d’ordinaire.
Il est difficile de regarder le premier épisode de The Astronauts, d’une durée double, sans s’apercevoir immédiatement de l’ampleur de ses intentions. Mais comme je ne sais pas si vous y avez jeté un oeil, je vais tenter d’énumérer les qualités de son épisode introductif avec autant de précision que possible.
Tout démarre en Nouvelle-Zélande, où la fusée spatiale Odyssey II est à quelques jours de son lancement ; plusieurs astronautes émérites doivent, à son bord, aller étudier une étrange comète passant dans notre système solaire. Ca n’a pas l’air super excitant comme ça, en théorie, mais Odyssey II est aussi l’occasion d’envoyer dans l’espace l’intelligence artificielle Mathilda, jusque là essentiellement utilisée comme interface pour des tâches plus simples, et d’en tester les limites.
Cependant, les choses ne se passent pas comme prévu. Alors que leurs parents sont réunis lors de la soirée d’inauguration pour des raisons professionnelles, cinq enfants qui s’ennuient décident de se glisser dans la navette et aller y prendre quelques photos, par curiosité… et Mathilda choisit ce moment pour commencer la séquence de lancement. Voilà donc que Samy, Elliott, Will, Martin et Doria deviennent en l’espace de 20 minutes des astronautes.
La série étant en single camera, sa différence la plus évidente avec la majorité des séries Nickelodeon est évidemment son absence de rires enregistrés… mais pas seulement. Ici pas de décors colorés (c’est même l’inverse), des effets spéciaux impressionnants, peu ou pas d’humour, des dialogues qui prennent au sérieux la situation et les personnages qui la traversent, et globalement, on a affaire à une série produite « comme pour les adultes »… un honneur que les jeunes spectatrices étasuniennes ont rarement. The Astronauts n’est pas exactement unique en son genre, mais ces dernières années, ce genre de sursaut téléphagique dans les fictions pour la jeunesse était plutôt l’apanage des plateformes de streaming comme Netflix, Amazon Prime Video ou plus récemment AppleTV+, bien décidées à la fois à conditionner les jeunes générations à ignorer la télévision linéaire, à draguer un public international souvent habitué à mieux, et à se démarquer de l’océan de fictions produites à la chaîne par Disney et Nickelodeon jusqu’alors. Que Nickelodeon ait senti le vent tourner, et investi dans une série de ce gabarit, est une excellente indication de la mutation que les séries pour la jeunesse continuent de connaître aux USA.
La nuance est autorisée dans The Astronauts. C’est ça qui est le plus impressionnant. La façon dont sont écrites les protagonistes en est la preuve directe.
Samy, qui est clairement l’héroïne de la série (le pilote démarre par un plan braqué sur son visage), est la fille de deux professionnelles de l’exploration spatiale : Molly Wei, une analyste, et Rebecca Sawyer, elle-même astronaute expérimentée. La fillette s’entraîne, de façon autonome, depuis des années, sur les simulations de sa mère, et se révèle être prompte à prendre des décisions sensées, sans être pour autant immunisée contre la peur.
Autour d’elle gravitent (pardon) quatre autres compagnes de voyage qu’elle vient à peine de rencontrer, mais qui brillent par l’absence de stéréotypes, quand bien même leur tempérament commence à se dessiner : Elliott est un fils à papa fort en gueule, Will est un chien fou facilement exalté, Martin est un peu couard mais brillant, et Doria est curieuse et sociable. Aucune de ces quatre-là n’a, pour le moment, une qualité qui la destine à remplacer parfaitement l’équipage adulte prévu pour cette expédition dans l’espace.
En évitant ce type de poncifs, The Astronauts ouvre pour elle-même une avenue dramatique : ces enfants, par définition, sont démunies devant ce qui se produit, et l’inquiétude est réelle. Le fait que cette inquiétude ne se transforme pas uniquement en suspense (« oh non il y a une crise, va-t-on pouvoir la régler avant la fin de l’épisode ? »), mais aussi en tension émotionnelle liée aux parents, est assez rare. La plupart des séries pour enfants trouvent un moyen d’isoler les protagonistes qui ont l’âge des spectatrices, et de les faire évoluer dans un monde où les parents n’existent plus ou presque plus.
Ici c’est, paradoxalement, l’inverse. Clouées au sol, les adultes s’inquiètent pour ces enfants qui se sont retrouvées dans l’espace en quelques minutes, et s’agitent, s’énervent, parlent entre elles… Il y a des choses qui se jouent dans ce premier épisode double qui sont très subtiles, sur lesquelles la série n’appuie pas comme une brute, mais qui ne relèvent clairement pas de l’accident. C’est le cas, pendant le lancement précipité d’Odyssey II, de la façon dont les adultes traitent les enfants comme des idiotes, adoptant un ton condescendant voir en les ignorant ; nos 5 astronautes en herbe vont, en prouvant leur capacité d’adaptation, imposer qu’on les prenne au sérieux. The Astronauts interroge indirectement la place de ces gamines dans le monde adulte.
Et du coup, je le demande à tout le monde : est-ce qu’on est pas bien, là, à regarder une série pour la jeunesse ambitieuse ? Qui est une série de genre, et qui a des choses à dire ? Qui propose une production léchée ? Qui présente des personnages intelligents dans des situation nuancées ?
Je répète ma question : est-ce qu’on ne se porte pas toutes mieux devant une série qui devrait être la norme ? La bonne nouvelle c’est que la télévision étasunienne pour la jeunesse a amorcé, depuis quelques années, une transition qui semble nous diriger vers cette norme. The Astronauts en est l’un des plus récents exemples, mais pas le seul.
L’âge d’or de la série pour enfants américaine arrive à grands pas.
Oh, la série me donne envie (autant pour les gens derrière la caméra que ce qui se passe devant) ! Je n’ai pas regardé beaucoup de séries de SF ces derniers temps, il faudrait que je remédie !