Vu que je suis une vieille conne, il m’arrive régulièrement de dire des teen dramas modernes (en particulier s’ils sont étasuniens) qu’ils manquent d’authenticité par comparaison avec les teen dramas de mon époque, c’est-à-dire les années 1800. C’est une généralité odieuse mais à mon âge on le droit.
Bon, ce n’est pas tout-à-fait vrai, parfois je vous dis du bien de teen dramas, et il m’arrive même de dresser des comparaisons élogieuses (comme dans le cas de Zoe Valentine par exemple, qui a reçu un des plus beaux compliments auxquels je puisse penser). Et puis pour être honnête, les teen dramas, en vrai de vrai, je ne les aimais déjà pas souvent quand j’étais dans la cible, de toute façon. Mais c’est vrai que globalement j’ai tendance à penser, et encore une fois, particulièrement à la télévision US, que les séries pour ados, parce qu’elles s’adressent aussi (voire principalement) aux jeunes adultes, et qu’elles recherche un certain effet qui attirera l’attention (voir aussi : shock value), sont quand même assez décevantes généralement.
Aujourd’hui est l’un de ces jours providentiels pendant lesquels je fais mon mea culpa, et admets que lorsque je fais ce genre de commentaires, j’ai tort. Et je vous explique pourquoi à l’occasion du pilote de The Republic of Sarah.
The Republic of Sarah est exactement la démonstration inverse de ce que je décrie si souvent. C’est effectivement une série orientée en partie vers la tranche d’âge YA, mais elle a suffisamment de personnages et d’intrigues adolescentes pour tout de même courtiser ce public (en outre, elle est diffusée sur The CW, qu’on peut difficilement accuser de snober les ados).
Mais la différence majeure, c’est son sujet.
La série démarre alors que Sarah, une jeune femme avec un tempérament un peu rebelle (mais qui est quand même prof d’Histoire en parallèle), vit une vie banale à Greylock, une petite ville ressemblant à s’y méprendre à Stars Hollow de Gilmore Girls. J’ai pas trouvé de références mais je suis quasiment sûre que c’est le même backlot. Elle y a toujours vécu, bien entendu, y a son groupe d’amies qui ont chacune des problèmes individuels, elle habite à proximité de sa mère, elle flirte aussi avec le séduisant Grover, bref, elle y mène une existence des plus ennuyeuses.
Comme dans toutes les Small Town, USA où l’automne semble permanent (sans déconner, ça vous intrigue pas que toutes les séries de ce type, de Gilmore Girls à Everwood en passant par October Road ou maintenant The Republic of Sarah, les arbres soient TOUJOURS oranges ?), on y tient des réunions municipales, à l’occasion desquelles Sarah et ses amies apprennent un beau jour une nouvelle pour le moins surprenante.
La compagnie Lydon, une multinationale dont plusieurs employées allaient et venaient au cours des derniers mois, a découvert une veine de coltan sous la ville. En soi ce n’est pas un matériau miraculeux, mais il peut être exploité dans le secteur de l’électronique et Lydon veut donc procéder à son extraction. Le maire de Greylock est heureux d’apprendre aux résidentes qu’il leur sera proposé de vendre leur terrain et d’être relogées un peu plus loin, que Lydon va investir dans la ville et que des emplois vont être créés, c’est merveilleux.
Sauf qu’évidemment ce n’est pas merveilleux pour Sarah et les gens qui, comme elle, pensent qu’il faut préserver Greylock. Sarah se met donc en tête de trouver un moyen de sauver la bourgade de l’exploitation de Lydon, et découvre en cours de pilote une façon pour le moins originale de le faire ! En fouillant dans des vieilles cartes (et ses souvenirs d’un vieux cours), Sarah a en effet réalisé que techniquement Greylock n’est pas située aux USA, ni au Canada… elle pourrait proclamer son indépendance !
Voilà pourquoi aujourd’hui je mange mon chapeau : parce que The Republic of Sarah prouve aussi que les séries pour les ados (et les jeunes adultes) ont vécu une mutation majeure depuis l’époque de ma propre adolescence. Dans les années 90, les séries pour adolescentes n’étaient pas politiques ; il pouvait leur arriver de l’être passagèrement, mais ce n’était pas leur mission première. Dawson Leery ne passait pas des nuits entières à parler à Joey de la school-to-prison pipeline, Buffy Summers se plaignait plus de l’ennui d’un boulot dans un fast food que de la stagnation du salaire minimum, Angela Chase ne s’est jamais demandée si la teinture de ses cheveux était cruelty-free, et ne me lancez même pas sur les résidentes de Beverly Hills. Personne ne semblait présumer que la politique allait intéresser ce public (presque paradoxalement, tout ce petit monde se retrouve dans des campagnes « Rock the vote » au moment des grandes échéances électorales) et du coup personne ne faisait de série incluant des propos politiques, à plus forte raison parce que les années 90 étaient déjà, même du côté des séries pour adultes, très souvent apolitiques, à quelques salvatrices exceptions près évidemment.
De mon temps, et j’ai le droit d’utiliser cette expression rapport au fait que je suis une vieille conne, de mon temps on pensait les ados complètement obnubilées par leurs affaires de cœur, de cours, de popularité, de teenage angst, bref, de nombril.
Certes il y a toujours de ça aujourd’hui, et il y a des séries qui ont même poussé la superficialité aussi loin que possible, mais justement ça dépend des séries. Il y a plus de choix, plus de tons. Et des séries comme The Republic of Sarah peuvent émerger, avec un propos clairement anti-capitaliste et assez révolutionnaire, que ma génération n’aurait même jamais imaginé voir à la télévision.
Je ne dis pas que The Republic of Sarah est le The West Wing de la télévision adolescente ou quoi que ce soit. Ohlà, non ! En fait je trouve son premier épisode parfois tiède par moments, en partie parce qu’il s’attarde beaucoup sur l’aspect dramatique de façon peu subtile. Je suis aussi déçue (tout en n’attendant pas grand’chose) par le traitement de la question des violences intrafamiliales, soulevée et écartée en moins de trois quarts d’heure. Il y a des choses qui franchement sont bateau pendant ce premier épisode, comme si la série avait essayé de compenser, d’une certaine façon.
Toutefois, il y a quelque chose qu’on ne peut pas enlever à The Republic of Sarah : son intrigue principale repose sur une dénonciation de la main-mise des grandes entreprises et de la complicité des élus, et l’un de ses axes majeurs va clairement être de poser des questions sur l’engagement politique. Vu la tournure que prennent les évènements, The Republic of Sarah va probablement aussi parler de lois (celles qui sont et celles dont on décide, et pourquoi) et donc de ce qui est juste.
Et avec tout le respect que j’ai pour les teen dramas de ma génération, on ne nous a jamais posé ces questions, quelles que soient les réponses que la série leur apporte ensuite.
« Vu la tournure que prennent les évènements, The Republic of Sarah va probablement aussi parler de lois (celles qui sont et celles dont on décide, et pourquoi) et donc de ce qui est juste. » – Oh, c’est très, très cool ça ! Tout ce qui peut être fait pour encourager les jeunes à se préoccuper de politique, surtout au niveau local où on peut avoir une réelle incidence sur ce qu’il se passe me met en joie !
Oui c’est une démarche à 1000 lieues de celle de Gilmore Girls, où on n’assistait aux réunions locales que pour se moquer. Je ne sais pas à quel point la série ira loin dans son propos politique, mais le simple fait qu’elle en ait un peut déjà faire une différence énorme.