Est-il possible de faire une série de survie sans forcément s’aventurer dans le post-apocalyptique ? Si oui, dans quel genre de contexte, et pour raconter quel genre d’histoire ? C’est le défi relevé par la série koweïtienne Dumue Farah (ou Tears of Joy de son titre international), et on va parler aujourd’hui de son premier épisode.
A l’origine proposée en 2020 par une application portant le nom de « Watch » (c’est bien, c’est pas du tout chiant à googler…), Dumue Farah est également proposée par la plateforme Shahid, dont je vous dressais un aperçu le mois dernier (et qui, pour rappel, peut être testée gratuitement pendant une semaine). La série ne comporte que 8 épisodes, et de ce que je comprends de sa conclusion vu que je m’autorise quelques spoilers dans ce genre de circonstances, elle n’est pas amenée à avoir de suite. On est donc plus sur une mini-série.
De par le format, l’idée de départ est donc que la problématique de la survie va être intense, mais brève.
Pourtant la première scène de Dumue Farah commence comme beaucoup de dramas domestiques du monde arabophone, avec une confrontation entre un mari et sa femme. Aziz est un chirurgien, il est marié à Farah depuis 10 ans, et ils ont une petite fille, Sarah ; mais tout cela n’a rien d’idyllique, et Farah, délaissée depuis des années, a passé le point de non-retour. Elle est en train d’organiser un voyage en Géorgie avec sa famille et, une fois de plus, Aziz se montre indisponible pour passer du temps avec elles, privilégiant son travail. Farah et sa fille partent donc en voyage sans lui, et la situation est loin d’être réglée : le conflit les attend au retour. Pourquoi la Géorgie ? Ce n’est pas clair, mais en tout cas la destination a l’air populaire, parce que les parents de Farah sont également de la partie. Il ne manque vraiment qu’Aziz…
Alors que leur bus s’arrête sur une aire d’autoroute (et encore, le terme est généreux) située à une heure de leur destination, Farah et sa famille en profitent pour manger un morceau. Malheureusement, l’endroit est au beau milieu de la forêt géorgienne, et la petite Sarah se perd rapidement. Dans la panique qui s’en suit, Farah se lance à son tour dans les bois à sa recherche, et se trouve perdue aussi ; elle ignore que quasiment au même moment, sa propre mère a fait un arrêt cardiaque sur l’aire d’autoroute, et que ses parents sont conduits en urgence à l’hôpital géorgien le plus proche. Où, évidemment, le père de Farah ne parle pas le géorgien…
Toutes les membres de la famille sont donc séparées, et la situation semble avoir atteint un point critique.
Pour parler correctement de Dumue Farah, il faut mentionner un « personnage » important de la distribution : la forêt géorgienne. Et à travers celle-ci, la réalisation sans faille de la série.
Dans ce premier épisode, il y a beaucoup de monde qui panique, et ce n’est certainement pas fini, mais la réalisation met moins l’accent sur une potentielle atmosphère « hystérique » (ce qui aurait été la tentation de tant de séries…), et plus sur l’impression de vertige provoquée par cette immensité d’arbres rigoureusement identiques, au beau milieu desquels il est si aisé de perdre son chemin. En plus, pour des raisons qui n’appartiennent qu’à elle (pouvait pas choisir d’aller à Dubai, non ?!), Farah a décidé de faire ce voyage au début de l’hiver, donc ces arbres nus ont cet air froid et menaçant, le tapis de feuilles mortes couvrant le sol de la forêt semblant ajouter à l’impression de désert angoissant. Toute forme de vie semble étouffée par la forêt. La camera tourne dans toutes les directions, comme étourdie, finissant de nous dérouter ; en l’espace de quelques plans, nous aussi avons perdu tout sens de l’orientation.
On comprend progressivement que Dumue Farah a toutes les intentions de faire de cette forêt une corne d’abondance de problèmes. Tout y est effrayant, et évidemment, la nuit, dans le noir et le froid, cette impression est démultipliée. En plus, même s’ils ont l’air déserts, les arbres géorgiens abritent parfois… des humaines géorgiennes. Et du peu qu’on en voit dans ce premier épisode, elles ne sont pas commodes (il faut dire que vivre dans une forêt pareille ne vous met pas spécialement en liesse).
Farah s’est lancée à la poursuite de sa fille sans équipement, sans préparation, parce qu’au départ elle pensait que la petite jouait non loin de l’aire de bus ; et la petite Sarah n’a sur elle qu’une maigre barre de chocolat que sa grand’mère lui a donné un peu plus tôt dans l’épisode. C’est donc rapidement de survie qu’il va être question. Bien-sûr, dans l’esprit de la mère, le problème est que Sarah est seule dans les bois, mais en fait toutes les deux vont devoir survivre, avec les moyens du bord c’est-à-dire rien. Le matériel promotionnel laisse entendre qu’elles vont se retrouver à un moment, mais qu’il faudra alors survivre ensemble et essayer de retourner à la civilisation.
C’est une épreuve, indéniablement, qui attend Farah. Une triple épreuve, en fait. L’épreuve qui consiste à craindre d’avoir perdu sa fille, celle que représente la survie dans une nature hostile, et celle de traverser tout cela dans un pays étranger. La terreur cumulée de tous ces défis est l’aspect « survie » que veut explorer Dumue Farah.
Dans tout cela je ne sais pas encore quoi penser du rôle d’Aziz, posé en ouverture de la série. A la fin de ce premier épisode, il apprend qu’une femme koweïtienne et sa fille ont disparu en Géorgie (il était en salle d’opération pendant les faits), et son mauvais pressentiment est vite confirmé. Mais il est, par définition, à distance. La question de la survie n’est pas la sienne, et j’ose espérer que même s’il se rend en Géorgie par la suite, il n’aura pas l’idée saugrenue d’aller se perdre dans les bois à son tour !
Du coup, Dumue Farah n’a pas exactement posé les jalons d’une quelconque utilité pour lui. Limite au contraire. Farah lui reproche au début de l’épisode de n’être pas là pour elle, et, eh bien, perdue dans la forêt géorgienne, il n’est pas plus là. Elle ne peut compter que sur elle-même, une fois de plus.
Je n’arrive pas à voir où la série veut en venir avec ce conflit ; était-ce uniquement une façon de justifier l’absence de l’homme, et expliquer pourquoi Farah est seule à gérer la crise en Géorgie ? J’aurais tellement aimé avoir le temps de voir les 7 autres épisodes de la série pour comprendre ce qu’elle comptait faire d’Aziz.
Ce détail mis à part, je suis impressionnée par cet épisode introductif. Dumue Farah est une série où le monde est hostile, mais où il n’est pas besoin d’aller sur le terrain de la science-fiction ou du fantastique pour expliquer cela. La solitude et l’inconnu suffisent. Isolée et perdue, Farah n’a personne sur qui compter pour survivre à l’hiver géorgien… et ça pourrait arriver à n’importe qui. Dans cette série, la peur de tout perdre n’a rien d’imaginaire.
Oh intéressant comme prémisses. L’hiver géorgien serait-ce parce que la météo koweïtienne tend à être chaude en permanence ?
Probablement ! Mais la série ne donne pas envie d’aller se foutre dans les forêts géorgiennes par cette saison XD