Il y a quelques semaines, j’ai tenté le premier épisode du drama australien Wakefield, bien décidée à en parler. Une série se déroulant dans une institution de santé mentale ? C’est encore rare, et le sujet, de toute évidence, m’intéresse personnellement. Le problème c’est que justement j’ai eu du mal avec le premier épisode, parce que le sujet m’est si personnel, et qu’au final je n’ai pas pu le finir, et encore moins en écrire une review.
On remet le couvert aujourd’hui avec Mädät omenat (ou Bad Apples de son titre international, une traduction littérale), une série finlandaise de la plateforme Elisa VIIHDE Viaplay, qui se déroule également dans le monde de la psychiatrie.
Prenons une grande inspiration, serrons les dents, et allons-y. Allons-y ? Si, si, allez, je tente le coup.
Mädät omenat a la particularité de se dérouler en 1973, et commence alors qu’une jeune femme se réveille, menottée, dans la cale d’un petit bateau. Elle ne sait pas comment elle est arrivée là. Elle est bientôt débarquée sur une île au large de Helsinki, occupée par une institution psychiatrique. Pardon : sanatorium.
Onerva Kristiina Poikelus est évidemment terrifiée. Comment ne le serait-elle pas ? On la traite et on parle comme si elle n’était pas là. Après une inspection d’hygiène faite par une infirmière antipathique, elle finit par rencontrer le Dr Lundsten, psychiatre et responsable (avec sa femme) de l’établissement. Il se montre rassurant, mais Onerva continue d’être inquiète, bien-sûr. En outre, on lui assure que les téléphones ne marchent plus depuis une tempête récente, et elle est donc obligée d’attendre, sur une île coupée de tout, de pouvoir contacter son mari, Tuomas.
Il y a pas mal de choses qui se jouent dans ce premier épisode de Mädät omenat, qui sont devenues des passages obligés pour toute série s’intéressant de prêt ou de loin aux institutions de santé mentale. En particulier, une façon de jouer sur la question : « les protagonistes méritent-elles d’être là ? ».
Il y a une oscillation perceptible au fil de ce premier épisode. D’une part on trouve des passages qui incitent les spectatrices à s’identifier à Onerva, et qui par voie de conséquence (parce qu’on présume que les spectatrices sont en bonne santé mentale ou en tout cas que c’est ainsi qu’elles se perçoivent elles-mêmes), consiste à dépeindre les réactions de l’héroïne comme normales face à une injustice. Onerva est étudiante en sociologie, mariée, organisatrice de manifestations politiques, et c’est supposé être à son crédit ; elle est arrivée à l’asi-… au sanatorium contrainte et forcée, dans des circonstances qui ne lui ont pas été expliquées, et ça aussi, c’est quelque chose que la série nous invite à admettre à plusieurs reprises. La comparaison implicite avec les autres pensionnaires de l’établissement est aussi là pour souligner qu’Onerva est normale, qu’elle ne présente pas les symptômes évidents de ce que l’on considère représenter la folie. Pourtant il y a aussi, d’autre part, des moments pendant lequel l’épisode veut semer le doute. Ce sont des scènes pendant lesquelles la rage d’Onerva est inquiétante, non dans sa motivation mais dans son degré, ou des moments pendant lesquels elle semble un peu paranoïaque alors qu’elle peut, au moins dans une certaine mesure, parfaitement vérifier qu’on ne lui ment pas. Il y a même deux scènes très brèves qui posent la question de savoir si elle a des hallucinations. Pendant que ces instants de flou se produisent, les spectatrices sont invitées à prendre de la distance (elles ne sont pas comme Onerva, elles), et de loin en loin, à juger que l’emprisonnement de la jeune femme, certes contre son gré, a une raison d’être.
Derrière le titre et le propos de Mädät omenat, il y a une métaphore assez grossière : l’île où se trouve l’hosp-… le sanatorium est aussi un immense verger, où poussent entre autres de nombreux pommiers. La camarade de chambre d’Onerva, et vraisemblablement d’autres patientes (…et au passage, ce sont effectivement toutes des femmes), travaillent dans ce verger, dont les meilleurs fruits sont exportés hors de l’île, et les pommes pourries sont utilisées (une fois les parties abimées retirées) pour alimenter en jus de fruit le sanatorium, notamment pour la tournée quotidienne de médicaments. Onerva se verra expliquer que ces fruits sont invendables, mais toujours consommables, à condition d’être tenus à l’écart des belles pommes, qu’elles pourraient contaminer. Mais sur l’île, les fruits avariés trouvent quand même une utilité.
Comme je l’ai dit ce n’est pas la métaphore la plus subtile au monde ; cependant il est difficile de ne pas la trouver profondément choquante.
La fin de l’épisode, bien-sûr, apporte une forme de réponse à la question posée sur la santé mentale, et plus encore, sur la raison d’être de l’enfermement (puisque dans Mädät omenat ces deux choses sont inextricables…). Est-ce que l’ambiguité va totalement disparaître des épisodes suivants ? Après tout, il a été établi que l’héroïne avait une position politique qui pouvait faire craindre une forme de persécution (a fortiori étant donné le contexte de la psychiatrie dans les années 70).
Vous ne me verrez pas le vérifier. En tant que personne fréquentant la psychiatrie, à qui on a déjà évoqué l’hospitalisation par le passé, et terrifiée par la perspective potentielle de perdre mon autonomie, c’était déjà assez difficile de regarder UN épisode. Notez bien que ce n’est pas la réalisation qui est a blâmer (au contraire, Mädät omenat est très soignée), ou l’interprétation (Satu Tuuli Karhu, déjà vue dans le polar Karppi, est phénoménale). Le problème, c’est qu’on est mises dans cette position de valider ou non l’enfermement de personnes, par une fiction qui utilise des éléments d’identification mais aussi en montrant que la maladie mentale est autre. Sous un certain angle, Mädät omenat peut parfois paraître comme essayant de décrire une frontière vague entre la normalité et la folie, déplaçant le curseur à plusieurs moments, mais cette frontière n’est vague que parce que la série n’a pas tranché avec autorité pour nous dire où tout le monde dans notre affaire se situe. Une fois que c’est fait, il est attendu que notre attitude s’adapte, et idéalement celle de la patiente aussi. Ce serait fantastique qu’une fiction nous rappelle de la sorte qu’il est question de docilité ici, mais le but est rarement d’interroger le public sur cette docilité ; seulement de décréter si elle est justifiée.
C’est une question qui me devient intolérable avec le temps.
Il y a quelque chose avec les séries finlandaises et 1973. Toujours intéressant ce genre de sujet, mais je comprends aussi à quel point cela peut être compliqué à regarder.