Ce weekend j’ai eu envie de regarder une série médicale, et comme évidemment rien n’est simple avec moi, j’ai entrepris d’en profiter pour me chercher une série très vieille. Par chance, je suis tombée sur le premier épisode de Salle n°8, une série médicale française de 1967. Parfait ! En plus ça me permettra de parfaire ma culture télévisuelle française, qui comme nous le savons toutes n’est pas souvent ma priorité.
Salle n°8 est à la fois une longue et courte série : elle a duré seulement 3 mois sur les écrans de l’ORTF, certes, mais elle l’a fait avec la bagatelle de 65 épisodes ! Cela signifie qu’il s’agissait d’une série quotidienne, diffusée à 19h25 les soirs de semaine… à raison d’environ un quart d’heure par épisode. A bien des égards, des séries comme ça, on n’en fait plus.
Salle n°8 s’ouvre sur le monologue d’une voix-off laconique : « Un hôpital, quelque part dans la banlieue parisienne. Avec ses longs couloirs interminables. Une salle parmi tant d’autres, la salle n°8. Médecine générale pour hommes. Le patron, le professeur Montade. Son assistant, Jacques Pernet. Philippe Deltec, l’interne en médecine, responsable de la salle. Anne Badel et Serge Groppard, deux jeunes externes attachés à la salle. Madeleine, l’infirmère responsable. Mamadou, le garçon de salle. Et puis… Maurice et Françoise, internes en pharmacie ; Marc Dauzat, interne en chirurgie ; Raymond Clabaurout, interne en médecine. Pour eux tous, l’hôpital, c’est leur vie ». Les visages se succèdent. On n’en saura guère plus pour le moment.
Beaucoup de séries auraient très bien pu montrer ce défilé de visage pendant un générique (celui de Salle n°8, qui précède cette tirade, est bien plus court), mais ne vous y méprenez-pas, il ne s’agit pas vraiment d’une exposition. Le but n’est pas de dire qui sont nos personnages (à plus forte raison parce que la plupart n’est pas amenée à apparaître dans le premier épisode), mais à donner des éléments de contexte. Un contexte très spécifique (ce sont ces gens-là, avec ces fonctions-là), mais qui en parallèle qui indique de manière prononcée que cette salle d’hôpital, c’est toutes les salles d’hôpital. Salle n°8 a l’ambition d’être quelconque, en quelque sorte.
La suite de l’épisode est plus conventionnelle, mais insuffle la même énergie à son propos. Elle propose de suivre Anne Badel à la veille de son arrivée à l’hôpital. Elevée dans une famille aisée et où tout le monde réussit (le père est avocat spécialisé dans les divorces, la mère est juge pour enfants, le frère vient d’être admis à Polytechnique…), Anne a hâte de commencer son externat. Mais elle est aussi inquiète, parce qu’elle a été convoquée une semaine plus tôt que prévu, et qu’il s’agit donc de sa dernière soirée avant de prendre ses fonctions.
Le lendemain, elle se présente à l’hôpital, un peu anxieuse ; elle y fait la connaissance d’un autre externe, Serge Groppard, qui entreprend de la draguer lourdement (ok, le « lourdement » est de moi), et trouve même le moyen de se faire affecter à la salle n°8 afin d’être à ses côtés. L’épisode s’achève alors qu’ensemble, elles ont enfilé leur blouse blanche et s’apprêtent à pousser les portes de la fameuse salle n°8.
Voilà, c’est le premier épisode. Bon, en à peine 13 minutes, il ne fallait pas attendre une intrigue trop complexe, non plus. Mais si vous croyez qu’il n’y a rien à en dire, vous vous méprenez : l’air de rien il se dit des choses assez intéressantes dans ces quelques premières scènes.
D’abord, le fait que la série prenne Anne comme sujet principal est intéressant, car sur le papier ce sont les deux externes, Anne et Serge (…zut, je vais avoir ce générique dans la tête pendant des jours, maintenant), qui sont supposément les protagonistes centrales. On peut imaginer que c’est parce qu’Anne ignore tout de ce milieu, alors que c’est déjà le deuxième stage de Serge ; mais je soupçonne que ce soit aussi parce que Salle n°8 est, comme beaucoup de feuilletons, plutôt destinée à un public féminin, et qu’il y a un facteur d’identification. A cela il faut ajouter que Salle n°8 semble avoir très intentionnellement établi que les deux parents d’Anne travaillent (on est dans les années 60, ce n’est pas exactement la représentation la plus courante de la famille typique à la télévision). Anne elle-même, comme elle s’en offusquera après un commentaire un peu cavalier de son père, s’apprête à devenir docteure et non infirmière. Dans la façon qu’ont ces personnages de parler, au dîner, il y a une volonté claire de placer tout le monde à pied d’égalité, y compris quand les deux générations de Badel s’asticotent mutuellement.
Et puisqu’on parle de représentation, soulignons autre chose à propos de Salle n°8, que peut-être vous aurez remarqué lorsqu’on parlait de son monologue introductif : il y a des personnages racisés dans cette série médicale. Eh oui, n’en déplaise aux révisionnistes imbéciles qui prétendent le contraire, il y avait des noires en France dans les années 60, et des actrices noires aussi. Salle n°8 compte un personnage majeur, Mamadou (incarné par l’imposant Serge Nubret), parmi le personnel de la salle, qui d’ailleurs dans le deuxième épisode va être la première personne à accueillir Anne et Serge dans la fameuse salle 8. C’est pas un spoiler si vous n’étiez pas née quand l’épisode a été diffusé. Une dizaine d’épisodes de la série présenteront aussi, plus tard, l’infirmière Malou (interprétée par l’actrice américaine Marpessa Dawn), qui apparemment va même être un enjeu amoureux pour Serge si j’en crois la description qu’en fait l’INA.
Certes les deux personnages occupent des fonctions subalternes, mais c’est quand même intéressant. En 1967, sur l’ORTF, il se trouvait donc au moins une série française pour présenter quotidiennement (ou presque) des noires à la télévision, et même pour mettre en scène une potentielle romance interraciale. C’est plus que ce que je ne peux dire de certaines chaînes françaises aujourd’hui.
Enième preuve qu’on peut faire beaucoup de choses même avec un petit format, donc, Salle n°8 est certes plutôt désuète aujourd’hui (Serge est forceur pas possible alors qu’il est supposé être charmant… nos aînées ont vraiment eu du mérite de pas tout cramer) mais elle a aussi une approche nettement plus progressiste que la moyenne. Cependant, on fait peu de médecine dans ce premier épisode, cependant (on n’a même pas encore pénétré la salle qui donne son nom à la série !), et je suis un peu restée sur ma faim, aussi je pense que je vais encore regarder quelques épisodes pour confirmer ma première impression…
Oh ! Merci pour l’article ! On manque vraiment de connaissances de culture générale sur la télé du passé. Et puis 1967, c’est aussi tôt, mes grands-parents n’en ont eu une que quelques années après.