Une belle et grande demeure près de la plage. Deux cambrioleurs. Une intrusion en pleine nuit.
Malheureusement, la maison n’est pas sans défense ; alors que sa femme Rebecca et leur amie Angela sont endormie, Sam Hickey, lui, est encore debout, bien que passablement ivre et un peu drogué. Les bruits de l’intrusion le conduisent à tomber nez-à-nez avec l’un des deux cambrioleurs. Dans la panique qui s’en suit, Sam essaie d’empêcher le jeune homme de s’enfuir par une fenêtre, et au moment où Rebecca et Angela interviennent, plante un couteau dans le dos de l’intrus.
Horrifiées, toutes les trois décident de maquiller les faits pour que cela ait l’air d’un acte banal de légitime défense.
Spontanément, on se dit qu’avoir poignardé un cambrioleur n’est pas exactement l’acte le plus criminel au monde. Pourquoi donc essayer de faire paraître les faits sous un jour différent auprès de la police ? Ce n’est pas mentir que dire que l’intrusion a eu lieu, que le cambrioleur a été surpris, et que, bon, dans le feu de l’action… Rebecca personnifie ce point de vue dans ce premier épisode, alors qu’elle voit Sam essayer à tout prix de prendre le contrôle de ce qui se passe dans les minutes suivant la mort du cambrioleur.
Mais ce qui fait l’étrangeté d’Intruder, c’est aussi sa force ; les nuances que son sujet explore ont beaucoup d’intérêt. D’abord, un cambriolage n’est pas une aggression physique ; poignarder quelqu’un n’est pas l’équivalent de subir une effraction. En fait, même dans le pire des cas, selon la loi britannique un cambriolage n’est tout simplement pas passible de la peine de mort. Par-dessus le marché, il y a le fait que le cambrioleur a été poignardé dans le dos, ce qui diminue encore plus l’effet de menace.
Alors bien-sûr, il n’y a pas d’aspect intentionnel dans tout cela ; Sam n’a pas voulu tuer le cambrioleur, c’est juste arrivé, comme ça, dans le feu de l’action. La définition-même d’un homicide involontaire, et probablement avec des circonstances atténuantes. Sauf qu’après être passées par des événements aussi traumatiques en si peu de temps, les protagonistes d’Intruder n’arrivent pas à penser pragmatiquement à tout cela, ni à s’en remettre au système judiciaire pour faire la lumière équitablement sur ces faits. Alors elles trouvent plus normal d’essayer d’influencer l’enquête, en disant à la police que le cambrioleur a attaqué Sam et que c’est Rebecca qui, pour lui venir à l’aide, a poignardé l’intrus dans le dos. Totale légitime défense. Rien à se reprocher. Mains propres.
Evidemment Sam, Rebecca, et dans une certaine mesure Angela, ont des choses à se reprocher : maintenant elles vivent avec l’angoisse que le mensonge soit découvert, pendant que l’enquête se déroule. Et puis essayer de faire en sorte que la police ne pose pas trop de questions, c’est une chose, mais ça n’empêche pas leur conscience de les travailler…
Outre ces nuances très appréciables, et souvent absentes des séries policières, j’apprécie que Channel5 (une chaîne qui doit une grande partie de ses grilles au genre policier, importé aussi bien que local) tente quelque chose d’un peu original avec l’une de ses protagonistes centrales, Karen Bailey.
Bien que travaillant au sein de la police, Bailey est avant tout une chargée de liaison dont la mission est de travailler auprès des familles de victimes. Comme elle l’indique d’elle-même, son travail n’est pas d’enquêter, et c’est très intéressant pour moi qu’un thriller policier accepte de présenter ce genre de personnage en 2021. Je m’attendais à vrai dire à voir beaucoup plus d’angles comme celui-ci dans les séries, après les événements de l’an dernier. Des manifestations massives ont eu lieu aux quatre coins de la planète pour dénoncer les violences policières, et des discussions ont pu se faire de façon plus mainstream sur la police, la façon dont on pourrait moins investir en elle et plus dans des rôles sociaux, ou encore les représentations de la police dans la fiction. Il y a moins d’un an, il semblait que tout cela allait aboutir à une remise en question de nos certitudes collectives. Et puis, et puis rien. On voit bien aujourd’hui que rien n’a changé, ni dans la réalité ni même dans la plupart des séries.
Intruder semble avoir saisi le message, au moins en partie, en ne se focalisant pas sur le travail d’investigation, mais sur le travail social, à travers ce personnage. Bailey parle à Sam, Rebecca et Angela, mais aussi au père du cambrioleur, dont on découvre qu’il a un nom, Syed Khalil. Il n’est pas une menace sans visage dont on peut juste se dire « allez, bon débarras ». Il est une victime, lui aussi : il est mort, et sa mort a de la valeur.
Il y a donc de vraies bonnes idées dans ce premier épisode, et je suis curieuse de regarder les épisodes suivants (la mini-série est déjà achevée sur Channel5 mais j’avoue n’avoir pas eu le temps de la finir encore). Je pense qu’Intruder aurait pu pousser sa réflexion plus loin, par exemple en prenant un couple de personnes racisées pour incarner Sam et Rebecca (cela aurait permis d’aller plus en détail dans leur méfiance envers les mécanismes de la Justice, par exemple). Mais même comme ça, c’est l’une des rares séries policières à parler de vies et de morts plutôt que faire de la police le point focal de l’intrigue. C’est, je suppose, un bon début.
Intéressant comme point de vue. Si elle arrive en France, je la conseillerai à ma mère !