Devons-nous vraiment souffrir, quasiment à chaque saison, que les networks étasuniens nous sortent une comédie pénible qui tente laborieusement d’être pertinente ? Apparemment oui.
S’il y a une raison de rire devant Home Economics, une comédie en single camera lancée cette semaine par ABC, c’est parce que ses efforts sont en grande partie risibles. Derrière son sujet, il y a un ton qui ne sonne pas comme authentique, mais au contraire profondément opportuniste. Et c’est bien dommage parce que ce sujet n’est pas sans mérite, mais son traitement laisse largement à désirer.
Pour vous donner une idée de ce à quoi on a affaire, Home Economics est une comédie en single camera mettant en scène des adelphes, qui se retrouvent dans la situation inédite de vivre à nouveau dans la même ville pour la première fois depuis leur passage à l’âge adulte. Sauf que c’est désormais leur seul point commun : chacune a désormais une vie bien différente, et notamment, une situation financière unique. La série est pourvue d’une narration en voix-off, fournie par l’aîné, Tom (au prétexte qu’il est écrivain et que les tensions familiales sont la matière de son prochain bouquin).
Le premier épisode permet d’exposer la situation de chacune : le dernier livre de Tom a fait un flop, il est marié à Marina, une avocate qui a arrêté de travailler pendant sa maternité, et il a trois enfants (dont des jumelles en bas âge). En temps normal il appartiendrait à la classe moyenne, mais ces événements récents ont complètement plombé ses finances, et désormais il est pris à la gorge par les difficultés financières. Malgré tout, cela le place dans une meilleure situation que sa sœur cadette, Sarah ; elle et son épouse Denise, une enseignante, ont toujours vécu avec peu. Elles élèvent leurs enfants Shamiah et Kelvin dans un appartement minuscule, et les choses ne sont pas en voie de s’améliorer étant donné que Sarah a perdu son job de psychologue pour enfants défavorisés il y a peu. Et puis, il y a le petit dernier de la famille Connor, qui jusque là vivait au loin avec son épouse Emily et leur fille Gretchen. Dans le premier épisode, il a récemment emménagé dans l’ancienne maison de Matt Damon, et fait visiter à toute la famille (hors les grands-parents, Muriel et Marshall, qui s’expriment uniquement par ordinateur interposé) son immense demeure, fier comme un coq de ce que sa fortune lui a permis d’acheter. L’exposition de tout ce petit monde est scolaire au possible : Tom est en train d’écrire les premières phrases de son prochain roman, et ce sont littéralement les descriptions de ces situations qui forment la page initiale. « Chapter 1 : This is the story of the Hayworth family« … même pas une accroche, rien ? Je comprends mieux les ventes du précédent ouvrage.
C’est peu imaginatif mais bon, a beginning is a very delicate time, et on n’a qu’une vingtaine de minutes. Soit.
Les problèmes commencent lorsque la visite de la nouvelle maison de Connor réunit la famille, alors que cela fait des mois, pandémie oblige, que tout ce petit monde ne s’est pas vu. Au passage, Home Economics est officiellement ma première série à évoquer COVID, j’arrive pas à croire que ça survienne aussi tard, comment j’ai fait mon compte ? Les ressentis qui jusque là n’avaient été échangés qu’avec des épouses ont donc trouvé là une occasion idéale de s’exprimer pour la toute première fois dans le cercle familial. Pour Tom mais aussi pour Sarah, cette visite est indécente ; dans cette maison (qui a appartenu à Matt Damon), le confort ne permet pas seulement de combler les besoins de Connor et sa famille, mais couvre aussi des luxes qui apparaissent comme superflus. Connor, lui, ne semble pas vraiment se rendre compte que faire partie du fameux « 1% » résonne comme une insulte à certains moments. L’épisode s’arrête pendant un moment sur les réactions de chacune face aux extravagances de cette maison (elle a appartenu à Matt Damon, l’ai-je mentionné ?), quand le véritable incident initiateur se produit : Connor a offert à Muriel et Marshall d’aller dans les îles Turques-et-Caïques pour Thanksgiving. POUR THANKSGIVING ! C’est quasiment une déclaration de guerre.
Home Economics essaie de parler de différences socio-économiques, de toute évidence, mais échoue lamentablement pour plusieurs raisons.
D’abord, c’est un peu étrange d’avoir choisi que les membres d’une même famille représentent 3 groupes très différents ; je me doute bien que ce ne soit pas irréaliste (d’ailleurs ma sœur est de la classe moyenne et je vis sous le seuil de pauvreté, donc je suis bien placée pour le savoir), et d’ailleurs cette famille est inspirée par celle de l’un des co-créateurs de la série, Michael Colton. Je le crois sur parole. Mais le premier épisode, s’il établit très bien les situations différentes, manque d’expliquer comment ces différences ont pu devenir si flagrantes en si peu de temps (les adelphes sont encore dans la trentaine).
L’autre problème est que Home Economics, je le disais, essaie désespérément d’avoir l’air actuelle. Son emploi d’un vocabulaire militant à tous bouts de champ est lourd, et souvent méprisant. Par exemple quand la petite famille arrive pour la visite de la maison (…de Matt Damon), Gretchen accueille ses cousines avec excitation et leur annonce qu’elle veut leur présenter ses poupées ; réaction de Shamiah ? « Cool !!! what are their pronouns ?« … Cringe, comme disent les jeunes. Quant à Sarah, elle va passer la moitié de ses répliques à accuser son entourage « toxique »/ »problématique »/ »sexiste », et bien-sûr toujours un peu de façon ridicule, par exemple lorsqu’elle reproche à Tom que son dernier livre en date n’ait inclus aucune femme (il se déroulait dans une prison pour hommes au début du 19e siècle). Home Economics semble avoir compris, sur le papier, ce qui était socialement acceptable ou non pour son public ; comme quand Muriel se vante que deux de ses belles-filles sont ethnic, et que tout le monde grimace genre « oh non, ça ne se dit pas ». Mais c’est une conscience de surface, qui consiste uniquement à collecter les bons points, ce qui est d’autant plus odieux qu’il y a justement un dialogue sur le fait qu’il ne devrait même pas exister de bons points. Qu’importe, Home Economics n’en est pas à une hypocrisie près. L’essentiel c’est d’avoir l’air woke, pas d’être vraiment intéressé par ce qu’on raconte sur les différences socio-économiques.
D’autant que le troisième problème de cet épisode inaugural, c’est son angle d’approche. En choisissant Tom pour narrateur et donc personnage central, une fois de plus c’est un homme blanc de la classe moyenne qui occupe l’espace, et raconte les choses de son point de vue. Un point de vue qu’on a déjà entendu dans à peu près toutes les comédies familiales de la création. Il y avait pourtant d’autres options : raconter les choses depuis le point de vue de Sarah (une psychologue, ça s’y prêtait pourtant), parce qu’elle est la plus pauvre de la fratrie ; du point de vue de Muriel et/ou Marshall, parce qu’elles ont élevé ces trois enfants dans une famille qui a l’air de la classe moyenne, et qu’il serait légitime qu’elles se demandent pourquoi leurs enfants ont connu un succès financier si variable ; voire même, et ça ce serait vraiment intelligent, du point de vue de n’importe laquelle les enfants de la famille, puisque non seulement Tom, Sarah et Connor ont désormais des destins différents, mais la prochaine génération va grandir avec un fossé encore plus grand. Peut-être que tout ou partie de ces choses est amené à se produire dans les épisodes suivants, mais je persiste à penser que cela aurait apporté beaucoup plus à la série de prendre d’emblée le partie d’embrasser ces points de vue.
Sauf que, et dans le fond c’est l’évidence-même, Home Economics est destinée principalement à trouver une résonance auprès du public qui ressemble à Tom. C’est-à-dire qui ressemble aux créateurs de la série.
Tout au long de ce premier épisode, il est clair qu’il représente la normalité (gesticulations physiques mises à part). Les autres, ce sont, dans le désordre, les riches, les pauvres, les lesbiennes, les latinas (outre l’épouse de Tom, Connor a une employée de maison, Lupe, qui a exactement trois répliques dans cet épisode), les vieux, les jeunes… j’oublie quelqu’un ? Ne vous inquiétez pas, si Home Economics a oublié de cocher une case, les épisodes à venir combleront sans nul doute cette erreur, en tout cas superficiellement.
Si tout cela me met de mauvaise humeur, c’est parce que sur le papier, Home Economics avait le potentiel de raconter quelque chose d’intéressant, et d’encore rare. Peu de séries font se mélanger différentes classes sociales ; quand elles le font, c’est souvent en diabolisant les plus riches (j’ai dû en parler dans 712 reviews, mais les premiers exemples à me venir en tête sont sud-coréens, genre Sangsokjadeul), mais le contexte d’une série familiale rend ce genre de dynamiques compliquées voire impossibles. Gilmore Girls s’y était par exemple essayée et avait été obligée, sur le long terme, de réhabiliter ses personnages les plus riches. La plupart des séries familiales ont d’ailleurs élégamment évité le sujet (au risque de faire passer pour middle class des membres de la famille qui vivent déjà de façon très aisée, genre Modern Family).
Il y avait donc quelque chose à faire… et le plantage est d’autant plus rageant. Je veux espérer, sans pouvoir réellement croire, que Home Economics va s’améliorer par la suite, mais le ton employé et l’angle adopté dans ce premier épisode me rendent très pessimiste.
Bon bah je vais laisser cela de côté :’D En soi le concept me parlait plutôt bien, d’autant que pour le coup la disparité entre familles c’est quelque chose que je connais, parce qu’on est dans la classe moyenne nous, et que côté tantes maternelles, une a une famille hyper aisée et l’autre une famille qui galère bien plus financièrement, et je me souviens des tensions que ça crééait parfois (genre je me souviens d’un été où, quand on était tous enfants, mon cousin riche était allé passer les vacances chez ma tante pauvre, et avait fait des commentaires drôlement blessants… ce genre de choses). Mais ce que tu décris me fatigue à l’avance et j’ai cringé rien qu’à la lecture, donc bon… nope.
« L’essentiel c’est d’avoir l’air woke, pas d’être vraiment intéressé par ce qu’on raconte sur les différences socio-économiques. » – Il y a tant de séries qui sortent qui se retrouvent avec ces mêmes travers, c’est rageant. Le fait que la représentation derrière la caméra de personnes venant des classes populaires et de populations racisées joue vraiment. C’est dommage.