Ce soir je vous propose de parler d’une série de science-fiction brésilienne. Enfin… oui et non.
On a déjà eu l’opportunité de discuter de séries comme 3% ou Onisciente, mais Pico da Neblina, dont il va être question ici, est un peu spéciale : elle est aussi un crime drama sur le trafic de drogue. Comme le prouve son très sympathique matériel promotionnel…
Bon alors plus concrètement, de quoi on cause ? Eh bien d’une série qui imagine un Brésil dans lequel le cannabis a été entièrement légalisé : consommation, mais aussi vente et cultivation, deviennent quasiment du jour au lendemain parfaitement possibles au grand jour. C’est la partie science-fiction parce que, dans la réalité, la weed est décriminalisée au Brésil, mais avec Bolsonaro ça n’est pas près d’aller d’aller beaucoup plus loin.
A ma connaissance aucune série n’a fait de cette question son sujet central (ce que j’ai vu de Disjointed était puissamment dépolitisé, mais j’admets bien volontiers n’être jamais venue à bout de cette fichue saison), mais Pico da Neblina ne recule pas devant le challenge. Le premier épisode démarre précisément alors que la loi légalisant la marijuana est votée (mais pas encore entrée en vigueur), en profitant au passage pour résumer les arguments pour et contre dans l’arrière-plan de l’intrigue. Pourquoi le cannabis est-il illégal, pour commencer ? Et quelles ont été les conséquences de son illégalité, en particulier sur les populations pauvres et/ou racisées ? Le premier épisode va glisser, un peu l’air de rien, de nombreuses observations sur la question.
Le sujet principal de Pico da Neblina, un vingtenaire du nom de Biriba, est confronté aux changements induits par la légalisation. Le premier épisode le présente sous les traits d’un vendeur de beuh compétent, qui a réussi à se faire une clientèle fidèle et qui, à force d’efforts, a réussi à écouler des quantités impressionnantes. Il a un certain goût pour le travail bien fait, un bon sens du contact, et il tire une forme de fierté à l’idée qu’il ne fait de mal à personne. Jusqu’à cette histoire de légalisation, les choses allaient donc plutôt bien, en fait.
Pour ses clients, le changement de législation va dans le bon sens, car ils n’ont plus besoin d’acheter sous le manteau ; pour lui (bien que Biriba reconnaisse que beaucoup de personnes racisées ont fini en prison à cause de la marijuana et que cette légalisation marque la fin d’une persécution qui ne dit pas son nom), c’est beaucoup moins positif. Avec son pote Salim, qui trafique toutes sortes de drogues et est également son fournisseur principal, ils se lamentent : que le cannabis soit désormais légal met du plomb dans l’aile de leur business (la scène pendant laquelle le gang de Salim regarde à la télévision les débats au parlement m’a un peu rappelé une scène similaire dans le premier épisode d’une autre série de HBO Latin America, O Negócio). Et comme la famille entière de Biriba compte sur l’argent qu’il ramène grâce à son business illégal, les choses sont vraiment compliquées pendant cette phase de transition.
Eh bien justement, c’est cette transition que Pico da Neblina veut suivre. Deux voies s’ouvrent à Biriba à partir de là : soit continuer le trafic de stupéfiants, en suivant Salim dans le monde criminel (sauf que cette fois il s’agirait de vendre des drogues dures), soit essayer de profiter de la légalisation pour se ranger et tenir un commerce légal tout en cultivant son don pour vendre de l’herbe (chose qui serait peut-être envisageable avec l’un de ses riches clients, qui l’a à la bonne). Deux chemins très différents, et un choix à faire. Mais est-ce vraiment un choix ?
Progressivement le premier épisode va nous expliquer d’où vient Biriba, dans quelle famille il a grandi, quelles sont ses circonstances… Et si les choix avaient été faits bien avant cette histoire de légalisation ? Quel est la dose de libre-arbitre quand les circonstances sont contre soi ?
Je vous avoue que ça fait des années que je voulais voir la série, et tomber sur son premier épisode cette semaine a été un peu doux-amer. Avec le temps, à force d’anticiper le visionnage d’une série (a fortiori si elle est difficile d’accès), on finit un peu par l’idéaliser, et je craignais un peu d’être déçue. Ce n’est pas le cas, fort heureusement !
Malgré sa réalisation parfois déroutante, Pico da Neblina essaie de s’attaquer au genre éculé du crime drama (surtout en Amérique du Sud) pour en dire quelque chose d’unique. On y retrouve certains poncifs, notamment vers la fin de l’épisode, mais également des problématiques abordées avec intelligence. La prohibition de cette drogue a une longue histoire, et des conséquences qui ne s’évaporent pas au moment où la légalisation intervient. Biriba, qui est un homme noir, a qui plus est une histoire familiale, une situation financière, et des amitiés qui conditionnent ses options pour la suite, que le statut du cannabis ne va pas miraculeusement changer…
Ce qui ne veut pas dire qu’il ne faut pas essayer.
Oh très intéressante comme série !