Murder on the dancefloor

9 avril 2021 à 23:47

Jusqu’à présent, dans ces colonnes, lorsque j’avais parlé d’industrie musicale asiatique, et en particulier du monde des idols, c’était surtout dans le cadre de séries japonaises (par exemple ici). Eh bien aujourd’hui pour changer, direction la Thaïlande, avec une série se déroulant dans le milieu des idols. Mais avec un intéressant twist.

The Debut a démarré sur WeTV, l’app à vocation internationale de Tencent, à la mi-mars, et elle est toujours en cours de diffusion. Je ne vais donc vous parler aujourd’hui que de son premier épisode… je veux dire, bien-sûr, de son début.

Si vous n’avez pas lu les articles précédents (pour une raison qui m’échappe !), alors récapitulons vite fait : dans plusieurs industries musicales asiatiques, on nomme idol une personne (j’ai tendance à parler d’idols féminines parce que c’est ce que je connais le mieux, mais tous les genres sont concernés), qui a commencé une carrière dans le divertissement très jeune, généralement à l’adolescence. Il y a une dimension musicale à leur carrière, avec la sortie régulière de chansons, des apparitions dans des music shows hebdomadaires, des concerts (quand les concerts existaient encore), mais aussi de personnalité au sens plus large. Les idols sont en effet souvent présentes dans des émissions télévisées, ou dans des publicités, ou dans des magazines, ou dans des fictions, même. En 2021 ça va même plus loin que cela : souvent elles enregistrent des vlogs et/ou tiennent des livestreams sur une plateforme ou une autre, répondant aux questions de leurs fans tout en vaquant à une quelconque activité anodine.
Selon les pays, des choses différentes sont attendues des idols : en Corée du Sud, par exemple, où l’entraînement est rigoureux, une préparation professionnelle est essentielle et peut durer des années. Au Japon, on préfère recruter des ados sans expérience et aussi peu de formation artistique ou technique possible, l’idée étant qu’elles seront formées sur le tas, et que les voir progresser fait partie de l’attachement que les fans forment avec elles.

Dans tous les cas, le lien parasocial créé avec elles est le fondement de leur carrière : tant qu’une idol a un public fidèle, elle peut continuer à multiplier les contrats en tous genres et ajouter des cordes à son arc. Aussi, plus que la formation, plus que le talent, plus que toute autre chose, c’est la personnalité (ou personnalité perçue) de l’idol qui fait sa carrière. Il lui faut une personnalité que les gens vont aimer. Du coup, se conformer à des attentes sociales très particulières est son véritable emploi.
Pour ce qui concerne les idols féminines, une idol se doit d’être jolie, souriante, énergique mais pas impertinente, drôle mais pas trop intelligente, innocente (ce qui inclut la sexualité, mais n’est pas exhaustif)… En outre il lui est impératif d’aimer prendre soin de son apparence, d’aimer manger (mais sans jamais peser plus de 50kg toute mouillée, bien-sûr), d’aimer tout ce qui est « mignon ». Il lui sera demandé de chanter des chansons d’amour (alors qu’elle n’a [officiellement] pas le droit d’avoir de relations amoureuses tant qu’elle est sous contrat), et lorsqu’on lui demandera pourquoi elle a voulu devenir idol, il lui faudra répondre des clichés du style « je voulais apporter le bonheur aux gens » ou « je crois qu’on peut toujours réaliser ses rêves si on travaille dur » avec des étoiles dans les yeux.
Bref plus la performance de la féminité est poussée, plus elle conquiert le public. Quelques exceptions d’idols réussissant hors de ces stéréotypes peuvent apparaître passagèrement, mais qu’on ne s’y trompe pas : ce sont des anomalies. Et le pire c’est qu’avec le succès de certains groupes d’idols qui se sont ensuite exportés dans toute l’Asie, ces caractéristiques sont loin d’être spécifiques à un pays.

Dés lors, il y aurait des tas de choses à faire en termes de fiction sur le monde des idols, et a fortiori les idols féminines. Peu de séries s’y sont attelées avec sérieux, d’autant qu’en général, une série sur les idols… eh bien, compte des idols au générique. Et on va pas cracher dans la soupe.
J’attire votre attention une fois de plus sur le fait que, sur un sous-genre très particulier, celui de la gravure idol japonaise, Taranai de Kudasai!! reste la référence indispensable en matière de série ayant osé cracher dans la soupe malgré tout.
The Debut a le potentiel de raconter certaines de ces choses, au vu de son premier épisode, à cause non seulement de son personnage central, mais aussi du fil rouge lancé pour les épisodes à venir.


L’héroïne de The Debut s’appelle Fame, mais malgré ce surnom pourtant voué à la réussite, c’est sous le nom de MiuMiu qu’elle se présente à une audition pour un groupe d’idols du nom de Newtype.
Le groupe s’apprête en effet à accueillir sa troisième « génération » (dans le monde des idols, la première génération représente les membres du groupe présentes au lancement, et chaque génération suivante symbolise l’arrivée de nouvelles membres ; je savais la pratique courante au Japon, apparemment c’est le cas en Thaïlande aussi). Leur compagnie a lancé une gigantesque campagne où toutes les jeunes filles peuvent tenter leur chance. Il n’y a pas spécialement de pré-requis, et du coup il y a beaucoup d’appelées mais peu d’élues. Ce jour-là Fame se réveille à côté de son petit ami, pas démaquillée, encore dans son jean de la veille, puis traine sa misère jusqu’à la salle-de-bains, avant de se transformer laborieusement en jeune fille jolie et mignonne pour aller à l’audition. Une fois bien réveillée, elle commence à paniquer : et si elle n’était pas prise ? La nervosité va dés lors ne plus la lâcher de la journée.

On pressent toutefois que Fame/MiuMiu ne s’est pas présentée à l’audition juste par fascination pour le show business. Dés la première scène de cet épisode inaugural, The Debut insiste sur l’ambiguité qui règne.
Les premiers plans présentent en effet les différentes membres de Newtype en train de se maquiller, pendant qu’en voix-off on les entend successivement lancer leurs catchphrases à leur public avant de commencer un concert. Mais dans ce montage en apparence innocent, viennent se glisser des plans inexpliqués pour le moment, dans lequel le corps d’une idol (on ne sait pas qui) se vide de son sang dans un couloir, encore dans sa tenue de scène pleine de rubans et de froufrous.
Et ça, c’est pas très idol.

Alors que s’est-il passé ? Eh bien c’est justement ce que veut savoir Fame. A l’origine elle n’était absolument pas destinée à devenir une idol (pire, son petit ami et ses amies ont formé un groupe de rock indé), et c’est sa jeune sœur Farn qui était fan de Newtype. Si elle connaît quoi que ce soit sur le comportement des idols, et en particulier sur la conduite à tenir lors de l’audition, c’est grâce à son ami Kla, qui est un fanboy invétéré.
Le premier épisode nous apprend que par le passé, Farn a participé à l’audition de la deuxième génération de Newtype, et qu’elle a même fini par être acceptée dans le groupe. C’était inespéré. Bien que ne comprenant pas la passion de sa sœur pour ce groupe d’idols, Fame a tout fait pour l’aider à réaliser son rêve. Est-ce Farn qui gît dans le couloir au début de l’épisode ? Tout semble l’indiquer, mais peut-être les choses sont-elles plus complexes. En tout cas, il devient progressivement clair que Fame ne suit les traces de Farn que pour faire la lumière sur ce qui est arrivé à sa sœur ; il n’y a pas de rêve à réaliser ou quoi que ce soit ; le cauchemar a déjà eu lieu, même. D’où l’emprunt par Fame d’un nouveau nom, MiuMiu, pour ne pas attirer l’attention. Et de toute une identité empruntée autour : Fame doit apprendre cette fameuse performance de la féminité si spécifique du monde des idols. Cela compte moins que de savoir chanter ou danser.
The Debut inclut des scènes vraiment solides pour faire ce travail d’exposition, et progressivement nous faire comprendre que cette audition n’est pas là pour vendre du rêve. En outre ce premier épisode montre bien qu’il s’agit d’un microcosme à part : à l’instar de la mère de Fame et Farn, qui vit à la campagne qui plus est, la plupart des gens vivent très bien sans savoir comment tout ce petit monde fonctionne. Même Fame n’y aurait jamais prêté attention si Farn n’avait pas été une telle fan. Une très longue scène dans laquelle elle lui a rapporté des objets collector nous montre bien à la fois l’enthousiasme adolescent de Farn pour l’objet de son affection, et l’incompréhension amusée de Fame. C’était le bon temps…
A charge pour Fame maintenant d’essayer de rejoindre la troisième génération de Newtype. Vu le matériel promotionnel (et le fait qu’il n’y aurait pas de série sans ça), il est évident que Fame/MiuMiu va intégrer le groupe, et poursuivre son enquête de l’intérieur. Il est intéressant d’ailleurs de voir la jeune femme avoir du mal à en trouver le courage une fois au pied du mur, et faire preuve d’hésitation ; trop souvent des séries reposant sur ces infiltrations informelles semblent faire de leur enquêtrices en amateur des professionnelles au sang froid. Ici Fame passe une bonne partie de l’épisode à avoir des hésitations très compréhensibles, dues à l’anxieté.

Une fois dans la place, cela devrait lui permettre de comprendre non pas ce que les idols ont de si extraordinaire, mais, sans nul doute, ce qu’elles ont d’ordinaire. D’humain, en fait. Et les humaines, je ne sais pas si vous avez remarqué, sont rarement parfaites, bien au contraire. Rendre humaines des idols ?! Vous n’y songez pas ! Pourtant, vu le ton adopté par la série, j’ai l’impression que The Debut veut précisément pointer les projecteurs sur les personnalités qui se cachent derrière les performances de la jeune fille parfaite. Qui sont, à n’en pas douter, des façades ; ironiquement, c’est Farn qui, instinctivement, répondait à tous les critères, et en particulier sur le point de l’innocence, sans qu’il ne s’agisse d’une performance. Nul doute que peu des autres membres de Newtype vont nous apparaître comme innocentes à mesure que se déroule l’intrigue.
Démanteler les hypocrisies (qui, si on est honnêtes, ne sont pas tellement la faute des idols individuellement, mais du système dans son ensemble) et montrer que tout n’est pas rose dans le show business, même quand les tenues de scènes le sont : telle est la mission de The Debut.

Alors certes je n’ai pas toujours été convaincue par certaines interprètes de la série, et The Debut n’a pas d’énormes moyens. En revanche, sur le fond, je la crois capable d’aller où peu de séries asiatiques ont osé aller sur le sujet, si elle continue sur sa lancée. Fighting !


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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

1 commentaire

  1. Tiadeets dit :

    C’est passionnant ! Ça me fait penser à Lovely Writer que je regarde en ce moment et est également une série thaïlandaise très méta et qui critique l’industrie, mais du drama BL cette fois (par le prisme d’un drama BL) et qui arrive à avoir une bonne histoire de dramas avec les tropes qu’on aime bien tout en faisant une critique de l’industrie du BL dans le pays qui est très bien faite (et quand on la suit et qu’on connait un peu, on voit les références qui sont faites à d’autres dramas en particulier, c’est génial). Je te conseille le pilote !

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