The Not So Honorable Judge Altman

2 avril 2021 à 23:13

Ces derniers mois, ce sont pas moins de 3 adaptations de la série israélienne Kvodo (ou Your Honor de son titre international) qui ont fait leur apparition sur les télévisions du monde. Voilà qui fait beaucoup ! Personne ne les regardera toutes, et il y a, en dehors de l’étude de cas, peu de raisons de le faire. Alors comment choisir une version plutôt qu’une autre ? Je suis comme vous, je me suis posé la question, et pour y répondre j’ai décidé de vous livrer une review de chacune de ces adaptations… mais, histoire de lutter à armes égales, uniquement sur la base de leur premier épisode, puisque c’est tout ce que j’ai pu voir de la série originale. Et aussi parce que j’ai une réputation de pilotovore à tenir.


Pourquoi ce choix est-il compliqué ? Parce que le cahier des charges de Kvodo (comme pour beaucoup d’adaptations basées sur une série israélienne ; c’est par exemple le cas de BeTipul) est particulièrement précis. L’histoire est rigoureusement la même, pour commencer : tout commence avec un accident entre une voiture et une moto, sans témoin, sur le périph. A bord de la voiture : le fils d’un juge. Au lieu d’avertir les secours quant à l’état de la victime qu’il a percutée, le jeune homme prend la fuite, et empire ainsi passablement la situation. Que fera son père, juge respecté et respectable, pour le sauver ?
Dans aucune de ces séries, la juge ne va être une femme, ou la conductrice sa fille, par exemple. Dans un autre registre (a contrario de l’exercice similaire qui avait été le nôtre autour de Gran Hotel), aucune de ces séries ne va faire le choix de se dérouler à une époque différente, ce qui entrainerait un univers à la fois esthétique et juridique singulier. Ce serait trop facile de trouver des variations aussi visibles, mais superficielles. Non, les nuances sont plus subtiles que cela. Elles tiennent à des choix qui ne changent pas les enjeux de la série, mais plutôt la façon dont ceux-ci sont présentés et donc perçus par les spectatrices.

La troisième et, à ce jour, dernière adaptation de Kvodo nous vient… eh bien, elle n’a pas fait beaucoup de kilométrage puisqu’elle est française ! Lancée le mois dernier sous le label « Création TF1 » (vous m’avez bien lue : la chaîne française avec le plus fort taux de remakes au kilomètre carré se vante de ses créations originales), la série s’intitule cette fois Un homme d’honneur, alors que Votre Honneur aurait parfaitement fonctionné, mais soit. Big up, Corinne Touzet. Avec 6 épisodes d’une cinquantaine de minutes grand maximum (à ma montre, le premier épisode ne dépasse même pas les 45 minutes), c’est la série la plus courte du lot.

Alors forcément la question du rythme va être centrale, parce qu’il faut repackager la présentation des événements. Et bonne nouvelle, niveau rythme on n’est pas déçus : Un homme d’honneur présente rapidement l’accident (voiture – route – moto – boom! – pas de chien errant cette fois), et conduit le fils du juge Altman à avouer les faits à son père avant la 7e minute de ce premier épisode. Battant ainsi tous les records.
Si certaines séries françaises peinent laborieusement sur l’exposition, ce n’est clairement pas le cas ici, et on ne perd pas un instant. En fait, les détails de l’accident ne vont commencer à nous être délivrés que plus tard dans l’épisode (mais dans l’épisode introductif quand même), non seulement après l’aveu, mais aussi après que le juge ait dû prendre la décision d’enfreindre la loi.
C’est-à-dire qu’Un homme d’honneur a trouvé non seulement le tempo parfait… mais aussi un moyen d’avoir le beurre et l’argent du beurre sur un plan moral comme dramatique : l’accident nous est d’abord présenté comme une erreur irresponsable, puis, quand même (à la façon de la série américaine), comme un traumatisme. Et là je dis, Monsieur. C’était pas gagné d’avance.

Du fait de la question du format, et de l’efficacité de la mise en place de ce premier épisode, j’ai presque eu l’impression d’être spoilée pendant la deuxième partie de cette introduction. C’est un peu idiot à dire, formulé comme ça, mais comme l’intrigue va vite, que l’émotion est limitée au strict minimum, et que la série est plus courte dans son ensemble, ce premier épisode couvre beaucoup plus de terrain.
En particulier, Un homme d’honneur se fait une force de détailler les ramifications de l’affaire avant la fin de sa première heure. Les scènes au sein de la famille de la victime (une famille criminelle, donc) s’arrêtent brièvement sur le choc ressenti, avant de bifurquer vers le nerf de la guerre, c’est-à-dire la quête de vérité. Cette vérité, parce qu’elle menace le juge Altman et son fils, est évidemment dangereuse, mais l’enquête, officielle comme officieuse, avance rapidement, pour ne pas dire inexorablement. La toile qui se tisse des relations s’étend très rapidement, bien plus rapidement en fait que dans la version américaine (dont le premier épisode est pourtant plus long), et commence à détailler où se situent, dans l’affaire, les personnages introduits. Au point que l’aspect de série chorale prenne son sens beaucoup plus vite ici (et au passage, décidément, je suis fascinée par la présence à l’écran de Manon Azem).
On rentre donc dans le cœur de l’intrigue, avec un accent mis non pas sur les conséquences dramatiques, mais surtout, sur l’aspect thriller. Qui va gagner la course ? Le juge Altman qui essaie de camoufler la responsabilité de son fils, le système judiciaire, ou les criminelles qui sans aucun doute seront bien moins clémentes ?

Dans tout cela la question morale passe un peu à la trappe, mais pas du tout pour les mêmes raison que dans la version US.
Le volte-face du juge Altman est rapide (il n’en faut vraiment pas beaucoup pour le convaincre de mentir à la police et commencer à maquiller les preuves), mais les difficultés se dressent aussi plus vite sur son chemin. En un seul épisode, on commence déjà à voir son plan vaciller, menacé par la probité des autres autour de lui. On pouvait s’y attendre dans les autres versions, mais ce n’était pas encore abordé : la façon dont il a géré la situation était imparfaite. Le piège s’apprête à se refermer sur lui, et la priorité, c’est de le voir se dépêtrer avec cette conséquence, pas l’abstraction morale derrière.
D’ailleurs il n’est pas réellement présenté comme quelqu’un de particulièrement attaché à la Justice, en fait. C’est « intéressant », comme nuance, mais le procès par lequel le juge Altman est présenté, dans lequel il rend un jugement à la fois en faveur et à la défaveur des prévenues, semble vouloir verser plutôt dans le bothsiderism : les criminelles jugées ont tort, mais les policiers aussi. Et du coup on ne se mouille pas, hop, perché ! Traitement peu courageux pour une affaire prétendant parler de violences policières… mais bon, on est sur TFHein, je ne sais pas ce que j’espérais !
D’ailleurs, curieusement, Un homme d’honneur est, de toutes ces séries, celle qui ne représente pas vraiment l' »autre ». Peu de cas est fait de l’affaire ouvrant la série, même sur un plan purement symbolique, je l’ai dit ; et par la suite, il n’y a pas vraiment de signifié au-delà de la course entre la famille Altman et la famille criminelle. Un homme d’honneur semble avoir totalement laissé tomber (au moins dans son épisode introductif, mais à un moment on ne peut pas non plus tout caser dans une exposition) tout ce qui pourrait dépasser l’individuel. On en déduira ce qu’on voudra.

Et ainsi, Un homme d’honneur ne fait vraiment pas du vilain travail… au moins sur le papier. Car mon dernier bémol quant à cette version relève du jeu de certains membres de la distribution, et bon sang ! c’est dommage. En France, même quand on a une bonne base et des bonnes idées pour la traiter, on arrive quand même à foirer le coup. A un moment je vais me demander si c’est pas fait exprès…


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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

1 commentaire

  1. Tiadeets dit :

    Ce que tu dis me fait penser à ce que je pense à chaque fois que je tombe sur une des séries policières françaises que ma mère regarde. En France, on a du mal à faire plus, à aller plus loin (surtout sur TF1) et à présenter des vrais dilemmes moraux autres que « tous des pourris »/ »rester propre ou devenir ripou ». Dommage. Avec notre système judiciaire et policier, il y a moyen de faire beaucoup plus.

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